Avec 12 hectares 90 ares 31 centiares, c’est le cœur historique de l’ensemble, le champ d’un certain Bertin qui aurait imité les moines de Bèze en défrichant la terre voisine et en la plantant en vigne comme eux. Mais c’est le fameux Claude Jobert qui va rendre le cru célèbre dans la première moitié du 18e siècle en nommant d’ailleurs Chambertin ses vignes du clos de Bèze.
En fait, depuis la nuit des temps la vigne du Chambertin proprement dit a toujours été morcelée. Le journaliste, écrivain et homme politique, Jean- François Bazin rappelle qu’on comptait douze propriétaires en 1829, quinze en 1910, vingt-cinq en 1990.
Situé directement sous le bois qui coiffe le coteau et descendant jusqu’à la route des grands crus, le chambertin possède un dénivelé de plus de vingt mètres, avec une pente beaucoup plus forte dans sa partie haute. Au dessus, la marne blanche tranche avec la couleur brun-rouge du bas où la terre semble plus profonde, moins sujette au ravinement.
Mais le plus surprenant est la nature des courants d’air avec un tout petit couloir de vent froid issu de la combe Grisard et qui retarde un peu la maturité du raisin, sur les parcelles des domaines Tortochot, du clos Frantin et la partie haute du domaine Rousseau.
Ce vent froid disparaît complètement de la partie nord du cru, en limite du clos de Bèze (vignes Damoy, Rebourseau, Leroy- Elvina et Prieur) dont le raisin peut mûrir une semaine avant. L’idéal serait d’avoir des parcelles couvrant toute la pente mais les hasards des constitutions des propriétés l’ont permis sur le clos de Bèze et moins sur le Chambertin .
Les domaines Trapet, Rossignol- Trapet, Camus et, pour partie, les héritiers Latour et un hectare du domaine Rousseau sont seuls à avoir cette chance. Mais même dans le cas de parcelles découpées dans le sens de la pente, le micro-climat du côté Latricières sera toujours un peu plus froid qu’à l’approche du clos de Bèze .
Typicité
Comparé à ses voisins directs, le chambertin à sa naissance est toujours un peu plus strict et austère dans sa définition aromatique, plus ferme dans son tannin, plus linéaire dans sa forme, plus lent à vieillir.
Beaucoup sont encore inférieurs à ce que le public attend : les raisins sont souvent rentrés à maturité insuffisante (largement inférieure à 12°) sur des vignes pas assez soigneusement cultivées, trop chargées, mal équilibrées dans leur feuillage.
Ces raisins ne donneront jamais le nectar dont tous les livres parlent. De mauvais partis pris de vinification comme le chauffage excessif de la vendange, des extractions de tannins trop violentes et surtout des corrections intempestives et souvent stupides (chaptalisation calamiteuse de plus de deux degrés dans les années 70 et 80, acidifications systématiques ou l’addition précautionneuse de tannins exogènes) ont trop souvent masqué le naturel véritable du raisin par des arômes cuits ou animaux aussi lourds que vulgaires.
Mais si l’on travaille avec plus de précision ou de discipline d’un millésime sur l’autre, une constante apparaît : le raisin atteint une vraie maturité de peaux avec un peu moins de richesse en sucre que sur les terroirs plus sudistes du clos de Vougeot, de Vosne-Romanée ou de Nuits-Saint-Georges. Il donnera donc un vin moins capiteux, mais paradoxalement plus marqué par une saveur de réglisse de raisin complètement mûr.
Avec l’âge et d’autant plus que le raisin aura mécaniquement été plus respecté (vendanges plus ou moins entières, comme au domaine Leroy ou délicatement égrappées) cette note reglissée évolue vers la violette et, après vingt ou vingt cinq ans en beau millésime, vers la rose fanée, un arôme particulièrement noble et émouvant.
Les vins mythiques
Un grand chambertin affirme vraiment sa différence ou sa supériorité à trente ans d’âge ou même davantage comme le montrent le sublime 1949 du domaine Trapet, les merveilleux 1961 de Remy, les 1962, 1964, 1969 de Leroy ou les incroyables 1945 de Faiveley (que je soupçonne d’ailleurs provenir du clos de Bèze), de Camus ou de Rousseau.
Quand on tombe sur la bouteille parfaite, épargnée par le bouchon et conservée en cave fraîche, on reste éberlué par le fait que le vin a conservé toute l’intensité et la jeunesse de sa forme avec un bouquet irradiant et kaléidoscopique où la fameuse note de réglisse se reconstitue miraculeusement à partir d’innombrables nuances de cuir frais, de musc, de rose-pivoine, de réséda, de vanille-bourbon délicatement maltée dont la subtilité, le cachet et la poésie vous tirent littéralement des larmes d’émotion.
Dans le cas du vin du domaine Rousseau, autre référence indiscutable depuis plus d’un demi-siècle, où la partie plus haute du cru joue un rôle important, cette saveur reglissée se minéralise davantage et tend à rejoindre l’esprit du clos de la Roche de Morey avec un peu plus de finesse et de tension dans la saveur.
Déviations
Mais tous les chambertins à la saveur appuyée de cuir et de renard doivent leur caractère plus à des déviations fermentaires qu’au terroir. Leurs producteurs commencent à en prendre conscience et, dans le futur, on trouvera peut être plus d’homogénéité dans la qualité et on pourra mieux vérifier l’hypothèse intuitive suivante : Chambertin tend à s’affiner progressivement du sud au nord et gagne peut-être en élégance aromatique ce qu’il perd un peu en individualité.
C’est donc en son « centre » (des vignes des héritiers Latour aux dernières vignes de Camus) qu’il est peut être le plus lui-même. Bien entendu, tous les contre exemples possibles et imaginables se rencontreront en dégustation et c’est sans doute mieux ainsi.
Michel Bettane
Crédit photo : BIVB / MONNIER H.