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La Loire, ses génies, ses pinots noirs

Guillaume Sorbe – Les Poëte,
Odyssée, Vin de France 2019

Pourquoi lui
Ce garçon est un artiste, un auteur, un vrai. Sept hectares pour 28 parcelles, cultivées comme autant de jardins, de jardinets. Il a une manière de traiter le pinot noir qui donne envie d’envoyer quelques fameux faiseurs de grands bourgognes en stage chez lui. Je n’insiste pas, je ne veux vexer personne. Pour info, il vinifie aussi un blanc d’anthologie, sa cuvée Argos. C’est peu de dire que nous sommes tous fans de

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Le mondovino de la semaine #197 tourne à fond

Une escapade dans le Médoc • À la redécouverte des chenins de Loire • La Paulée d’Anjou • La reco’ de la semaine : un champagne rosé tout en fraîcheur • Chaque jour du nouveau, en voici quatre

Dans le vignoble


Une escapade dans le Médoc

De mai à septembre, cinquante propriétés classées crus bourgeois du Médoc proposeront une visite intitulée « L’Escapade Bourgeoise, une aventure en Médoc » pour découvrir le vignoble et comprendre les singularités des propriétés médocaines. Une immersion en trois parties :

–  comprendre l’histoire, le terroir et l’environnement

– l’explication du classement, du savoir-faire des producteurs, de la vinification jusqu’à l’élevage des vins avec une visite du chai

– une dégustation avec accord mets et vins

La liste complète des châteaux est disponible sur https://www.crus-bourgeois.com/

À la redécouverte des chenins de Loire

Du 17 au 24 juin 2023, La #CHENINFANWEEK est de retour pour sa troisième année consécutive. Des animations et dégustations seront organisées dans toute la France et dans 290 établissements partenaires (cavistes, bars à vins, restaurants ou vignerons). Au programme, découverte des AOC et IGP de chenins ligériens (sec, moelleux, liquoreux ou effervescent), des dégustations, des expériences mets et vins et des balades dans le vignoble.

L’ensemble des établissements participants est disponible sur www.fandechenin.com

La Paulée d’Anjou

Rendez-vous pris cette année le 19 juin à Angers au Musée Jean Lurçat pour une journée de dégustation et de découverte des vins d’Anjou. Les vignerons seront là pour faire découvrir les vins, les terroirs et lieux d’exception de l’Anjou Noir, de l’Anjou Blanc, de Saumur, de Bourgueil et de Saint-Nicolas de Bourgueil. Au programme, Conférences, dégustations, excursion géo-sensorielle à Savennières et dîner de gala.

Plus d’informations sur www.pauleedanjou.com

Dans le verre


La reco’ de la semaine : un champagne rosé tout en fraîcheur

De Saint Gall s’appuie essentiellement sur les approvisionnements de la côte des Blancs de la montagne de Reims. On plonge le nez dans ce rosé premier cru pour admirer les jolies notes de griottes et de fruits rouges. Composé de 63 % de chardonnay et 24 % de pinot noir dont 13 % de vin rouge tranquille, ce champagne est agréablement construit sur la fraîcheur et la vivacité. Il sera le compagnon parfait des apéritifs d’été.

Champagne De Saint Gall, Rosé premier cru rosé, 42 euros

Besserat de Bellefon, les raretés d’une collection

On savait, cette maison capable de finesse, d’élégance, de style. En révélant le dessous de ses caves, elle bascule dans une autre dimension, celle de l’émotion

Besserat de Bellefon fait partie d’un cercle restreint de maisons qui, nées il y a longtemps – en 1843 en ce qui la concerne – ont su traverser les siècles, avec leur lot de heurts et de bonheurs, en cultivant une image et parfois un style bien à elles. Cette question du style est primordiale. Dès 1930, la maison met au point une pression en mousse moins forte que ce qui se pratique en Champagne pour créer une cuvée des Moines au style crémant unique. Moins singulier, mais extrêmement significatif, la maison bloque les fermentations malolactiques de ses grands millésimes de manière à leur conserver une tension et une acidité qui leur permettent de défier le temps. Cet atout prend toute sa saveur avec la sortie de quatre millésimes nés il y a plus de trente ans, présentés dans la nouvelle Réserve Collection que propose désormais la maison. 1992, 1990, 1986 et 1985 comptent parmi les années majeures de la Champagne contemporaine. Les chardonnays sont issus des grands crus de la côte des Blancs, les pinots noirs, de grands crus de la vallée de la Marne ou de la montagne de Reims, les meuniers sont la spécialité des vignobles de la vallée de Marne (Damery et Cumières). Avec un dosage de trois grammes par litre qui respecte la nature des vins, dégorgés en 2019, cette collection est un juge de paix qui consacre avec éclat l’aptitude de Besserat à produire de grands champagnes de garde.

1992
93/100
50 % chardonnay,
25 % pinot noir,
25 % meunier.

Origine des raisins : Avize, Mesnil, Oger, Chouilly, Verzenay, Cumières, Damery.

Avec sa dominante chardonnay, le vin exprime une palette aromatique brillante qui associe les notes minérales et iodées à des touches de fruits compotés et de pomme au four. En bouche, c’est un vin ample et gourmand, de belle fraîcheur et vivacité. Un feu follet qui séduit et virevolte.

1990
97/100
32 % chardonnay,
44 % pinot noir,
24 % meunier.
Origine des raisins : Cramant, Mesnil, Oger, Vertus, Verzy, Ay, Bouzy, Cumières, Damery.
Magnifique d’équilibre et de plénitude, un grand champagne à la hauteur de ce millésime hors norme. Le pinot noir majoritaire structure superbement le vin, qui développe au nez comme en bouche un bouquet tertiaire de noisettes caramélisées, fruits confits, épices. Le corps est long, velouté, porté par une belle énergie et une fraîcheur brillante.

1986
94/100
35 % chardonnay,
35 % pinot noir,
30 % meunier.
Origine des raisins : Mesnil, Oger, Chouilly, Verzenay, Bouzy, Cumières, Damery.
Le bouquet entre fruits blancs et fruits jaunes, associé à une remarquable minéralité, est encore juvénile. Droit et pur, ce champagne construit autour du chardonnay et du pinot noir (38 % de l’assemblage chacun) ne montre aucun signe d’affaiblissement. Les rendements généreux ont apporté au vin une véritable souplesse et une élégance profonde et fraîche. Direct et précis.

1985
95/100
38 % chardonnay,
38 % pinot noir,
24 % meunier.
Origine des raisins : Avize, Mesnil, Oger, Chouilly, Verzenay, Cumières, Damery.
Ce grand millésime rigoureux, marqué par un hiver très froid et un été superbe, se montre à la hauteur de sa réputation. Notes de nougatine et de miel accompagnant les épices et les fruits compotés, corps énergique et profond, sans la moindre lourdeur ou opulence, raffinement et élégance. La bulle est discrète mais présente, l’ensemble est évolué et vigoureux.

Laure Gasparotto et la Bourgogne à livre ouvert

Après avoir relaté son parcours chaotique de néo-vigneronne dans le Languedoc, Laure Gasparotto, notre consœur du Monde revient dans son nouveau livre sur ses années bourguignonnes et son passé de jeune historienne. Un témoignage que nous saluons pour sa portée universelle

Vos premiers pas en Bourgogne, dans les années 1990, ont tracé votre voie. Direz-vous que vous étiez au bon moment, au bon endroit ?
Le bon moment, oui. Au début des années 1990, le monde du vin est en plein changement. La maitrise de l’œnologie bouscule les hiérarchies. Le recours aux fûts neufs, le pigeage mécanique, les tables de tri provoquent une rupture. J’ai pu mesurer ce qui se faisait avant et ce qui pouvait se faire à ce moment. Et au bon endroit, c’est vrai aussi. J’entendais beaucoup de vignerons dire : « Il est hors de question je fasse un vin pour plaire, je le fais comme le terroir le donne. » C’est une région complexe mais cette complexité m’est apparue comme naturelle. J’ai compris en visitant d’autres régions à quel point la Bourgogne m’a donné des clés pour comprendre les autres vignobles.

Le titre de votre livre fait référence à la fameuse locution latine Si vis pacem para bellum (si tu veux la paix, prépare la guerre). Comment en êtes-vous arrivé à ce « détournement » ?
C’est inspiré par l’esprit du traité d’Arras, texte qui scelle la réconciliation de la France avec la Bourgogne en 1435. La paix permet alors au duc Philippe Le Bon de se recentrer sur le mécénat : peinture, musique et aussi agronomie. Le vin de Bourgogne devient le meilleur de ses ambassadeurs. Le pouvoir encourage les Bourguignons à s’occuper de leurs terres et définit le cadre qui leur permettra de faire des vins uniques.

Votre livre rend hommage à une génération d’hommes et de femmes qui a marqué la Bourgogne ces dernières années : Louis-Fabrice Latour, Aubert de Villaine, Hubert de Montille, Dominique et Éric de Surmain, etc. Et parmi la nouvelle génération ?
Je pense à Olivier Lamy à Saint-Aubin, qui a une certaine générosité pour faire découvrir son travail. Je pense aussi à Claire Naudin dans les hautes-côtes-de-nuits. Ils sont des représentants de ces nouveaux territoires de la Bourgogne et montrent que l’on n’a jamais fini de l’explorer. Ils rendent ce vignoble contemporain tout en étant dans la transmission.

Vous écrivez : « La Bourgogne n’a cessé d’être elle-même, même dans ses moments les plus difficiles ». C’est le message que vous voulez faire passer aux vignobles de France et ailleurs ?
S’inspirer de la Bourgogne, ce n’est pas la copier, c’est comprendre ce qu’elle est. Reprendre des codes d’ailleurs pour recréer des vins dans un autre lieu n’a pas de sens.  En Australie, j’ai vu des gens qui cherchaient à faire du meursault. À l’inverse, j’ai rencontré des vignerons en Israël, formés à Beaune, qui ont compris qu’il leur fallait se chercher eux-mêmes, comprendre leur territoire, plutôt que de planter du chardonnay sur un côteau comme on le ferait Bourgogne.

Laure Gasparotto, Si tu veux la paix, prépare le vin, Editions Grasset
17,50 euros

Photo : J.-F. Paga

Raphaël Enthoven : « L’ivresse est une exigence »

Étrange rapport que celui que nous entretenons à l’ivresse, plaisir heureux pour certains, coupable pour d’autres. Si c’est bien souvent un moyen comme un autre d’arriver à quelque chose, c’est un état fragile qu’il faut savoir maîtriser. Le philosophe nous parle

Propos recueillis par Julia Molkhou


Cet article est paru dans En Magnum #26. Vous pouvez l’acheter sur notre site ici. Ou sur cafeyn.co.


À la question de savoir si nous devrions nous accrocher à l’ivresse de peur que, bientôt, on nous l’interdise, Raphaël Enthoven ne voit pas les choses de cet œil-là : « Le vin français fait l’objet d’une fierté nationale et l’ivresse est perçue comme une vertu sympathique, bien qu’évidemment cet état soit une victime collatérale de l’hygiénisme généralisé et du sentiment que l’on vit mieux quand on vit plus longtemps ». Ainsi, l’ivresse resterait un vice sociétalement toléré, contrairement au tabagisme. « L’ivresse n’est un tabou en rien. L’homme saoul est une image d’Épinal. On lui reconnaît même ses tentatives de dignité. On lui sait gré de bien vouloir se tenir droit ou de dresser un doigt qu’il a du mal à maintenir en direction du ciel, parce que le ciel tangue. On est assez sensibles aux tentatives que fait l’homme ivre pour ne pas avoir l’air ivre. La seule chose qu’on ne supporte pas, c’est l’exhibition et la désinhibition. Ce moment où l’homme saoul trouve absolument passionnant pour tous ce qui n’intéresse que lui. En fait, l’ivresse est un génie des intervalles. L’ivresse désigne le moment où l’on est suffisamment ivre pour être attentif à des choses que l’on négligeait ordinairement et suffisamment lucide pour le raconter. Et cet état, cet entre-deux, se rapproche bien souvent de la rêverie. C’est aussi ce qu’explique Baudelaire quand il écrit que, sous l’effet des paradis artificiels, le monde est revêtu d’une intensité d’interêt. » Alors ce serait donc ça la première propriété de l’ivresse, rendre le monde intéressant en rendant l’être humain à la fois attentif et capable de raconter ce qu’il voit. « Dans À la recherche du temps perdu, quand le narrateur s’en va à Balbec avec sa grand-mère, qu’il est très malheureux parce qu’il part sans sa mère pour la première fois, à 18 ans, il obtient de son médecin le droit de boire avant de prendre le train. Donc il arrive pété comme un coing. Et là, Proust fait une page entière sur la couleur grise, sur le gris des boutons et le bleu de la veste du contrôleur. C’est un texte sublime, mais c’est surtout quelque chose qu’il n’aurait pas vu s’il n’avait pas été ivre. » L’ivresse nous fait nous attarder et nous étonner. On regarde les choses pour elles-mêmes et sans leur demander d’avoir un sens, séparément de leur fonction. « On regarde un robinet comme un miroir, c’est un des lieux communs de l’ivresse. »

« la modération est encore la meilleure façon que l’on a de jouir de l’ivresse et de tout
ce qu’elle permet. C’est donc une pédagogie de l’ivresse qui nous prémunit contre le moment fatal ou l’alcool devient sa propre fin »

À consommer avec modération ?
« Il y a un texte de la pensée classique où l’ivresse est le préalable à la contemplation d’une beauté supérieure. C’est Le Banquet de Platon. Socrate raconte ce que lui a confié Diotime, prêtresse de Mantinée, sur le secret de la beauté et le secret de l’amour. Et le chemin qui conduit à ce récit, qui constitue clairement l’apogée du banquet, est une ivresse croissante. C’est une perte progressive de lui-même. Socrate expérimente par son récit la parole de celui qu’il appelle son démon, c’est-à-dire l’être qui parle en lui, qui parle à sa place. » Dans l’Antiquité, les femmes travaillaient à la vinification et ne devaient pas boire. L’ivresse libérait la parole et il n’était pas question pour les femmes de penser et donc de parler. Ensuite, l’ivresse était perçue comme dangereuse car elle pouvait libérer la sexualité, conduire à des incartades et donc à des enfants illégitimes. De nos jours, l’ivresse est-elle tolérée de la même façon chez l’homme et chez la femme ? « Je suis plein d’admiration pour quelqu’un qui serait ivre en talons. Homme ou femme d’ailleurs. Je ne genre pas la question de l’ivresse. » Si cet état permet l’observation intense et la rêverie, alors il devient nécessaire, et peut-être pourrions-nous enseigner ce juste entre-deux ? « Je ne sais pas si on peut l’enseigner, mais ça peut faire l’objet d’une pédagogie stoïcienne, une éducation en somme à un savoir-vivre, à un savoir-être, qui doit conduire à la sagesse et au bonheur. Sénèque a dit une phrase qui a connu une bonne fortune : à consommer avec modération. Chez Sénèque, la modération n’était pas un précepte moral, il ne s’agissait pas de dire que c’était mieux d’être modérément saoul que totalement ivre. C’est simplement que la modération est encore la meilleure façon que l’on a de jouir de l’ivresse et de tout ce qu’elle permet. C’est donc une pédagogie de l’ivresse qui nous prémunit contre le moment fatal ou l’alcool devient sa propre fin et n’est plus le vecteur d’une perception accrue, mais au contraire un but en soi. »

Une ligne de crête
Alors Alfred de Musset aurait raison ? Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ? « Il y a deux façons d’entendre cette phrase. La première, évidente, consiste à dire qu’un homme dépendant peut se saouler à la vodka, à l’eau de Cologne ou au grand bordeaux. En somme, l’objet, la qualité du breuvage a disparu, dans l’effet qu’il produit. Tous les moyens sont bons. Mais on peut aussi l’entendre comme la métaphore de l’art par excellence. C’est-à-dire qu’il n’y a pas d’objet noble pour un artiste. La matière est neutre, c’est la manière qui fait l’art. Et par conséquent, peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse, c’est-à-dire la faculté de s’étonner de choses qui nous auraient laissé indifférents. Soit parce qu’on n’en a pas besoin, soit parce qu’elles ne sont pas spectaculaires. » Cet abandon devient parfois une excuse à des comportements ou des propos tenus alors qu’on était ivre. « C’est intéressant parce que c’est comme lorsque l’on dit “Les mots ont dépassé ma pensée”. En général, ce qui s’est passé, ce n’est pas ça. Les mots n’ont pas dépassé notre pensée. Non. Quand on dit quelque chose de terrible à quelqu’un sous l’effet de l’énervement, c’est seulement que ce que l’on retenait jusqu’alors, on peut enfin le dire. Et si on cherche tant ensuite à s’excuser d’avoir dit ça, c’est parce que ce qu’on pensait, l’autre l’a entendu et l’a pris brutalement. L’ivresse comme la colère sont des révélateurs. » Vous décrivez l’ivresse comme la révolte. C’est une flamme fragile. Ce n’est pas un incendie et ce n’est pas le froid. C’est menacé de s’éteindre et de s’embraser. « C’est l’équivalent esthétique de la révolte en politique. Un individu révolté ne se satisfait d’aucune solution révolutionnaire ou d’aucun retour en arrière. Il continue de mal dormir parce que le monde lui fait mal et lui pose de grandes questions. Ça, c’est l’homme révolté. L’homme ivre, c’est celui qui a déserté la sobriété, mais n’a pas basculé dans l’oubli de lui-même. C’est cette ligne de crête qu’il faut réussir à défendre. Et pas pour des raisons morales encore une fois. » Raphaël Enthoven ne boit pas beaucoup et encore moins souvent quand il travaille. « Il m’arrive très peu d’être ivre. Mais en vérité, je n’ai pas besoin de l’ivresse pour m’intéresser aux choses qui n’ont a priori pas d’intérêt pour moi. » Déformation professionnelle. « Faire de la philo, c’est constamment attirer l’attention des gens sur des choses qui n’ont pas d’intérêt pour eux. »

« La légèreté conquise par le vin est parente, jumelle presque, du désarroi révélé par le vin. Combien de personnes que le vin rend aimables finissent la soirée en larmes ? »

La légèreté et ses lendemains
Et la tendresse dans tout ça ? Alain a dit l’ivresse abolit les scrupules du sentiment. Quand on est ivre on se sent pousser des ailes n’est-ce pas ? « Oui, mais si l’ivresse est l’illusion salutaire qui nous donne les moyens de faire ce qui nous semblait impossible avant, elle n’est pas la seule. Le courage fait ça aussi. Mais c’est intéressant de penser que l’ivresse peut être un substitut du courage. Prenez Julien Sorel. Il se donne pour but de prendre la main de Madame de Renal sous la table, sous les yeux du mari qui ne verra rien, à dix heures sonnantes. Et si elle retire sa main, alors il ira se brûler la cervelle. Ce en quoi il n’est pas cohérent parce que le vrai défi pour lui, c’est d’essayer de prendre la main de Madame de Renal. Qu’elle laisse sa main ou qu’elle ait peur, ça ne dépend pas de lui. Et pourtant, il en fait un enjeu. Mais le courage qu’il lui faut pour attraper la main de Madame de Renal à dix heures du soir eût été sans doute facilité par deux verres de vin avant. On emprunte pour parvenir à ses fins le chemin moins frontal de la perte de conscience plutôt que celui plus direct du courage. De la même façon qu’un homme peut avoir moins peur de se battre parce qu’il est ivre. » Si le courage et la sympathie viennent avec l’ivresse, c’est aussi le cas de la tristesse et de la nostalgie. « La légèreté conquise par le vin est parente, jumelle presque, du désarroi révélé par le vin. Combien de personnes que le vin rend aimables finissent la soirée en larmes ? La légèreté acquise de cette manière-là est ambivalente et menace sans cesse de se retourner. Le prix de la légèreté est une exposition accrue à la réalité d’un désarroi. » Pour autant est-ce que les lendemains d’ivresse sont des jours tristes ? « Je ne crois pas. Ce sont plutôt des jours intéressants. Ce sont des occasions données de se faire le serment intenable qu’on ne fera plus jamais la fête ou qu’on reprend la vie à son commencement parce qu’on a enfin rangé sa maison. C’est une aube. Une aube difficile, mais plutôt une aube qu’une descente. »

Poésie, amour, bonheur
Peut-on faire confiance à quelqu’un qui ne boit pas ? « La question ce serait plutôt, peut on faire confiance à quelqu’un qui ne sait pas mentir. Quelqu’un qui dira toujours la vérité, qui ne t’épargnera jamais parce qu’il se fait une trop haute idée de sa vérité. » Si le mensonge est l’équivalent de l’ivresse alors la vérité serait celui de la sobriété ? « La fameuse fausse franchise du type qui, sous couvert de t’aimer bien, te dit tout le mal du monde de ce que tu fais. Celui qui dit ne pas mentir est en général quelqu’un qui se sert de son amour de la vérité pour te dire des choses désagréables. C’est pour ça que ceux qui disent qu’ils ne savent pas mentir se mentent à eux-mêmes et ne méritent pas les amis qu’ils perdent. Très différente est la situation de l’individu ivre qui, parce qu’il est ivre, se met à dire ce qu’il avait sur le cœur jusque-là. » Mais la blessure est la même, non ? « Je ne suis pas sûr. Baudelaire, encore lui, explique très bien que les paradis artificiels sont une béquille substituable et amovible. Que l’on peut donc s’en passer. Mais il faut être très fort pour s’en passer et c’est en ça que l’ivresse est une exigence. » Pourquoi alors ne pas considérer celui qui ne boit pas comme suffisamment fort pour s’en passer ? « Oui, bien sûr. On peut aussi penser qu’il n’a pas l’idée des vertus que cela procure ou qu’il ne cherche pas la même chose, qu’il passera sa vie à côté de ce genre d’émotion. Ce qui est secondaire dans l’ivresse, c’est le biais par lequel on y parvient. Si la sobriété nous y conduit, alors tout va bien. L’ivresse en elle-même n’a pas besoin d’alcool, mais l’alcool peut y conduire. L’alcool est un marchepied, donc certains n’en ont pas besoin puisque cet état-là, ils y sont naturellement ou y parviennent autrement. » On peut donc être ivre d’autre chose que d’alcool ? La poésie, l’amour, le bonheur, nous rendent-ils également plus intensément sensibles aux choses qui nous entourent ? « Et bien, je vois un équivalent à l’ivresse dans la jubilation musicale. L’écriture, aussi. Écrire, c’est se faire l’intercesseur de ses perceptions et de ses idées et leur donner forme humaine. On est à l’endroit de l’ivresse et de la rêverie. »

Photo : Mathieu Garçon

[Fête des parents] Un tour de France en 23 étapes

Pour être sûr de trouver du plaisir sous chaque bouchon, voici un tour de France de bouteilles qui ont été médaillés au Concours prix-plaisir 2023. Ces vins sont bons et au bon prix

Alsace
Jean Sipp, Pinot Noir Réserve rouge 2021
Très joli pinot noir d’Alsace au nez expressif et séducteur entre notes de cerise griotte, fraise écrasée, touche de fumée. La bouche, séduisante et gourmande, s’achève dans la minéralité. Un joli vin, souple et élégant.
12 euros

Wolfberger, Gewurztraminer Féerie d’Hiver 2021
Un gewurztraminer gourmand, porté par des notes de mangue et de litchi. Excellent rapport qualité-prix qui plaira au plus grand nombre.
15 euros

Beaujolais
Domaine Chignard, Le petit impermanent 2018
Nez agréable de fruits rouges avec une belle longueur en bouche. On aime les tannins fondus de cette belle réussite.
13,50 euros

Domaine du Mont Verrier Pierres Dorées 2022
Nez sur le fruit noir et les notes grillées, on l’apprécie en bouche pour sa belle mâche, son grain de tannin et son joli fruit frais intense et savoureux. La finale puissante ira parfaitement avec des viandes grillées.
10,90 euros

Bordeaux
Château de Sours, Quarry de Sours blanc 2021
Tout ce qu’on attend d’un bon blanc de Bordeaux, avec une trame précise et équilibrée en bouche, un fruit bien mûr et de la tension qui donne à l’ensemble une belle allure.
14,95 euros

Château Lamothe-Bergeron, Haut-Médoc rouge 2011
Voilà un très joli vin qu’on aura plaisir à recommander et à faire découvrir. Il nous séduit par sa bonne longueur en bouche et son potentiel gastronomique. Coup de cœur de notre jury.
16,10 euros

Bourgogne
Maison Stéphane Brocard, Bourgogne Côte d’Or, Closerie des Alisiers rouge 2021
On appréciera à coup sûr son beau premier nez floral, avec en bouche, une belle suite bien construite qui donne une impression de légèreté. C’est une invitation au voyage gustatif et on le sert volontiers avec un plat en sauce aux champignons.
13 euros

Vignerons des Terres Secrètes, Bourgogne Côte d’Or, Chardonnay 2020
Très joli blanc, qui rayonne sur notre table par sa couleur éclatante et profonde, avec de la densité, une certaine forme de rondeur. Pur plaisir pour l’amateur de bourgognes.
11,60 euros

Champagne
Champagne Bression Sébastien, Cuvée des Anges blanc
Un excellent champagne très universel, vineux et structuré, qui ira très bien avec un plat de la gastronomie salé. On peut aussi le servir en apéritif et c’est une belle définition du plaisir.
28 euros

Champagne Sanger, Terroir Natal Grand Cru blanc
Joli nez énergique et aérien, qui laisse s’exprimer avec intensité les notes d’agrumes et de pamplemousse. Son énergie d’ensemble est renforcée par de beaux amers en fin de bouche et de la longueur. Bravo.
30 euros

Corse
Domaine A Ronca, Corse – Calvi, A Ronca rosé 2022
Voilà un rosé corse séducteur et tonique, qui plait par sa robe brillante, son fruité vif, sa bouche nerveuse et persistante. Il a du caractère et de la profondeur. Grande réussite.
12 euros

Languedoc
Domaine de la Borie Blanche, Minervois-La-Livinière, Terroirs d’altitude rouge 2021
C’est un joli rouge au nez expressif sur le fruit noir et les épices, avec une bouche fine où dominent des arômes de moka et de fruits noirs, avec un bel équilibre et des tannins enrobés. La finale longue est sur le réglisse.
12,50 euros

Jean-Claude Mas, IGP d’Oc, Mon Gewurztraminer 2022
Joli blanc à l’aromatique complexe, avec des saveurs de fruits exotiques et des notes de fleurs d’oranger. Belle bouche gourmande et riche sur les fruits et les épices (curry).
9,50 euros

Provence
Château de Berne, Côtes de Provence, Inspiration rosé 2022
Grande qualité affichée par ce joli vin que l’on destinera volontiers à un repas de belle gastronomie. Rosé épanoui.
14,50 euros

Domaine Gavoty, Côtes de Provence, Grand Classique blanc 2022
Séducteur par couleur et la finesse de son nez, il plaira aussi par sa bouche ronde et équilibré, qui donne envie d’y revenir. Bon rapport qualité-prix.
14,30 euros

Roussillon
Cave L’Étoile, Collioure, Montagne rouge 2021
Vin complet et séducteur, avec des notes intenses dès le nez. Sa bouche savoureuse présente une structure qui lui permettra de bien évoluer.
16,20 euros

Terres des Templiers, Collioure, Expressions Catalanes rouge 2020
Un vin de grenache tout en finesse et en complexité, qui garde de la légèreté et de la buvabilité. On le sert avec un plat de viande blanche pour encore plus de gourmandise.
10 euros

Sud-Ouest
Alain Brumont, Madiran, Torus rouge 2018
Un vin très frais et élégant avec une longueur de bonne tenue, irréprochable et qui donnera du plaisir.
9,90 euros

Plaimont, IGP de Gascogne, Elia blanc 2022
Vin aromatique, nez fruité, bouche en ligne avec le nez, de la fraîcheur et de la rondeur. Très bon rapport qualité-prix.
5 euros

Vallée de la Loire
Bouvet Ladubay, Crémant de Loire, Excellence Brut, blanc
Le connaisseur fera une belle affaire avec cet excellent chenin alliant complexité, finesse et puissance en bouche. On recommande.
10,50 euros

Domaine Lavigne, Saumur-Champigny, L’inattendue rouge 2022
Un joli rouge de Loire profond, qui présente un beau volume, fruité et juteux, intense tout en restant frais.
17 euros

Vallée du Rhône
Château Espeyran, Costières de Nîmes, L’Envol blanc 2022
Ce vin est remarquable par l’élégance que lui confèrent ses arômes de pêche et de mangue. Bouche bien équilibrée et grande fraîcheur.
9,70 euros

Domaine les Patys, Ventoux, Ama Dablam rouge 2021
Voilà un vin qui sort du lot, très bien en fait, complexe, intense, long et très agréable. Une définition du vin de plaisir.
14 euros

Le mondovino de la semaine #196 tourne à fond

Lynch-Bages et « la mouvance de la matière » • Terra Mea analyse les sols • Les jeunes talents de Gassier • Un bas-armagnac en haut de l’affiche • Belle Époque dans son « cocoon » • Chaque jour du nouveau, en voici cinq

Dans le vignoble


Lynch-Bages et « la mouvance de la matière »

C’est le nom de l’exposition de peintures de l’artiste Fabienne Verdier qui se tient au château Lynch-Bages à Pauillac en collaboration avec la galerie Lelong, jusqu’au 31 octobre 2023. Dix-huit œuvres sont installées dans le cuvier historique de la propriété et dans le nouveau chai.
Plus d’informations sur www.lynchbages.com

Terra Mea analyse les sols

Les Laboratoires Dubernet ont annoncé la création de Terra Mea, une société d’innovation spécialisée dans les mesures de santé des sols qui a mis au point la méthode 3-Biom, un procédé d’analyse unique en son genre. Cette technologie brevetée permet une mesure directe, précise et rapide des champignons, bactéries et protistes présents dans le sol. Sa particularité réside aussi dans la prise en compte et la distinction entre les organismes actifs, métaboliquement inactifs et morts. « Ce procédé permet de mieux connaître son sol et d’adapter les pratiques culturales (labour, fertilisation, irrigation, couverts végétaux, traitements) pour améliorer la qualité de la production », explique Matthieu Dubernet, le président du groupe.
Plus d’informations sur https://www.terra-mea.fr/

Les jeunes talents de Gassier

Noé Richard, 21 ans, originaire de Reillanne, un petit village au cœur des Alpes est le gagnant de la cinquième édition du « Challenge Château Gassier en Provence ». Ce challenge a pour but de faire rayonner les vins rosés de gastronomie, couleur incontournable de la région. Depuis décembre 2022, 71 élèves de 15 écoles de sommelleries se disputaient la première place du podium. Les crus de Provence, ses terroirs et ses vignobles étaient au cœur des différentes épreuves techniques et pratiques. Celle des accords mets et vins a été très appréciée par le vainqueur : « Les accords sont le cœur de notre métier de sommelier, conseiller, trouver des accords originaux, amener sa petite histoire ou son originalité ».
Plus d’informations et réservations sur https://www.chateau-gassier.fr/

Dans le verre


Un bas-armagnac en haut de l’affiche

Ce domaine situé dans le Gers, près d’Eauze – la capitale du Bas-Armagnac – est tenu par Daniel et Jean-Luc Westphal, deux frères originaires d’Alsace, tombés amoureux de cet endroit. Il produit des bas-armagnacs singuliers et de belle facture ainsi que des côtes-de-gascogne plaisants. Dans sa belle collection d’armagnacs millésimés (de 1974 à 1996), nous avons beaucoup aimé le 1977. Couleur intense, nez complexe et bouche généreuse.
Château Saint-Aubin, Bas-Armagnac 1977, 149 euros
https://vignobledesaintaubin.shop/content/6-armagnacs

Belle Époque dans son « cocoon »

Après « ecobox » pour ses champagnes non millésimées, Perrier-Jouët présente « cocoon », le coffret éco-responsable qui habillera désormais Belle Époque, sa cuvée de prestige. Très léger (49 grammes) et fabriqué à partir de pulpe de papier et de sarments de vigne, il s’inscrit dans une démarche de réduction de l’influence des activités de la maison sur la nature. L’élaboration de la cuvée ne change pas. Même exigence et même assemblage de deux parcelles (Bourons Leroy et Bourons du Midi) réservées à ce beau champagne disponible en rosé et en blanc.
Perrier-Jouët, Belle Époque, 197 euros
Perrier-Jouët, Belle Époque Rosé, 449 euros

Encore une fille aux commandes à Bordeaux

C’est Laure Canu qui préside maintenant aux destinées du cru classé haut-médoc Château Cantemerle et du saint-émilion Château Grand Corbin. Elle prend la suite de Philippe Dambrine. Un challenge. Puisque c’est nouveau, nous l’avons rencontrée, interviewée, photographiée. Bordeaux en pleine mutation

D’où venez-vous ?
J’ai grandi à Rouen jusqu’à mes 20 ans. Je rejoins Paris pour y faire des études de droit. Je travaille pendant quatre ans en tant qu’avocate. C’est un métier passionnant et stimulant, qui inflige aussi beaucoup de stress. C’est lors d’un voyage à New-York avec ma meilleure amie que je décide de changer de vie. Là-bas, tout bouge à une vitesse folle. Nous avons rencontré beaucoup de gens, découvert des parcours de vie différents. Au retour, nous avons toutes les deux démissionné.

Et le monde du vin ?
J’avais le choix. Le vin ou l’édition. Le vin a toujours fait partie des plaisirs de ma vie, ceux que je partage avec ma famille. À New-York, la culture du vin est décomplexée, j’y ai retrouvé le goût du vin et l’envie d’apprendre, la curiosité. L’édition est un secteur qui m’attire, je suis passionnée par la littérature ; hélas, la reprise d’études y est plus difficile que pour le vin. Je postule donc dans deux masters spécialisés, à Bordeaux et Dijon et suis prise à Bordeaux, je n’y avais jamais mis les pieds. Il a fallu trouver une alternance. Après plusieurs tentatives, Philippe Blanc accepte de m’accueillir pendant un an à Château Beychevelle. Cette expérience m’a permis d’intégrer et de comprendre le fonctionnement de la place de Bordeaux, notamment grâce à une étude sur la distribution des vins de Beychevelle que Philippe m’avait demandée. S’ensuivent des expériences chez Wine Services, aux châteaux Pichon-Longueville puis Chauvin avec Sylvie Cazes, puis avec Stéphanie de Boüard au château Angélus. J’apprends qu’un recrutement est en cours aux châteaux Cantemerle et Grand Corbin. J’appelle Philippe Dambrine qui m’invite à intégrer le processus de recrutement, et c’est ainsi que je suis embauchée comme directrice générale de ces châteaux, propriétés de la SMA.

Cette double responsabilité est-elle difficile à gérer ?
Grégory Thibault est en charge de la partie technique sur les deux propriétés. Beaucoup de salariés travaillent d’ailleurs sur les deux châteaux. Ils sont tous remarquablement

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Brane-Cantenac, le sommet à portée de main

Depuis qu’il dirige ce château, Henri Lurton a porté son margaux tout en haut des rêves d’amateur. Verticale du grand vin et du second


Retrouvez l’intégralité de la verticale dans En Magnum #26. Vous pouvez l’acheter sur notre site ici. Ou sur cafeyn.co.


La visite du vignoble et du cuvier explique les impressions des derniers millésimes qui montrent un vin encore plus affiné et sûr de lui, évolution parallèle à celle du propriétaire dont la timidité s’est mue en conviction indemne de tout dogmatisme. Avec son équipe (Christophe Capdeville et Florent Cillero), il connaît encore mieux son parcellaire, qu’il divise en trois terrasses, la plus siliceuse pour le margaux générique, celle sur graves fines et moyennement profondes qui donne Baron et celle de graves profondes pour le grand vin. Ce qui a permis dans les trois cas et dans les trois derniers millésimes de produire des vins parfaitement équilibrés dans leurs formats respectifs. En vinification, l’équipe – avec l’aide d’Éric Boissenot, toujours aussi bénéfique – a affiné la qualité des remontages et perfectionné l’ensemble du matériel. Tous les observateurs ont souligné la pureté de style actuel des vins de la propriété. Nous confirmons. Aujourd’hui, les trois vins offrent un rapport qualité-prix unique en Médoc.

Henri Lurton.

Château Brane-Cantenac
2020
Le grand vin provient désormais d’une sélection parcellaire stricte, sur les graves plus profondes qu’on appelle “terrasse 4”. L’effet qu’il produit dans ce millésime magique est considérable. Le nez d’abord, noble sur le réglisse anisé (zan), puis sur la violette et l’iris. La texture ensuite, magnifique, suivie d’une finale montante, éclatante même. Cinq cépages. Évidemment le cabernet-sauvignon domine avec ses 70 %.
97

2019
Peut-être un peu plus de présence de bois neuf au nez, et plutôt la pivoine que la violette dans le floral. Excellent corps, ensemble frais, complexe, raffiné, mais un peu moins belcantiste que le 2020. Sans doute en raison de son demi-degré d’alcool supplémentaire (14°) malgré la quasi identité de l’assemblage.
95

2018
Le vin s’est refermé, ce qui est logique. On mesure son intensité, son énergie, la classe de son tannin, mais il reste assez muet sur le plan aromatique. Il nous demande d’attendre, ce que nous ferons sans broncher.
94

2017
Le millésime a marqué le cru. On retrouve les épices et le cuir plus le sel de Baron de Brane, en un peu plus puissant. 74 % de cabernet-sauvignon plus 4 % de cabernet franc apportent une trame serrée, un brin austère, fraîche dans le rebond de bouche. Nous dirons que c’est plus océanique. Encore un peu jeune.
89

2016
Le type même du grand médoc classique, sur le graphite plus que sur la fleur au nez, très droit, avec un corps parfaitement équilibré, et une matière riche, encore un peu austère sur le plan aromatique. Grand vin en devenir qu’il faudrait idéalement carafer une demi-journée avant de le boire dans son état actuel.
93

2015
Merveilleusement harmonieux au nez, floral et mentholé, texture noblement soyeuse et margalaise dans son apparente légèreté, long, complexe, et se laissant déjà admirer. Par rapport au 2016, 1 % de cabernet franc en plus (3 %), pris sur le carménère disparu, et 1 % de merlot en moins, remplacé par le petit verdot.
97

2014
Petite touche boisée qu’on sentait moins sur le 2015, finement épicé au nez, plus longiligne que charnu, frais, élégant, fait pour plaire aux amateurs de médocs plus qu’à ceux des vins de rive droite, car ici les cabernets dominent nettement (77 % de cabernet-sauvignon, 2 % de cabernet franc).
93

2012
Comme pour Baron, une merveille au nez dans son développement complexe, harmonieux, qu’on retrouve pleinement en bouche, soyeuse à souhait, fraîchement mentholée en finale, long, à point. Les 32 % de merlot l’ont bien enrobé.
97

2011
Incroyablement et noblement floral au nez, une sorte d’archétype de beau margaux, fin, épicé, ouvert, subtil, prêt à boire. Assemblage original (56 % cabernet-sauvignon, 37% merlot, 6 % cabernet franc, 1 % carménère).
98

2010
Grande robe, corps monumental pour le cru, complexe, long, déjà bien ouvert mais ne pouvant que prendre encore de l’envol avec l’âge. 8 % de cabernet franc,
30 % de merlot, 62 % de cabernet-sauvignon.
98

2009
Généreux, avec un caractère plus “rôti”, c’est-à-dire plus sensuel, épicé, mais aussi moins fondu que dans le 2010. De la longueur et de la classe, mais je préfère ce jour-là le cadet. Peut-être un peu trop de merlot (40 %).
94

2008
Encore une petite merveille au nez, floral à souhait, tout en élégance, en subtilité, en fraîcheur, en délicatesse, état de maturité idéal et assemblage idéal (72 % cabernet-sauvignon, 28 % merlot, 2 % cabernet franc).
98

 

Baron de Brane

2020
Dominé par son merlot (58 %) un peu comme un envers du grand vin, mais partageant avec lui une rare finesse aromatique, qui ne s’est pas encore refermée, et un tannin soyeux, élégant, caressant même. Ce jour-là, un pur délice.
90

2019
Plus de cabernet-sauvignon cette fois-ci (54 %), parfaitement secondé par les 45 % de merlot qui l’enrobent, le nuancent, l’étoffent en finale, mais lui permettent de conserver un rebond de bouche mentholé fort élégant. Rapport qualité-prix idéal. Le carménère (1 %) ne change rien à l’équilibre réussi d’un vin issu de vignes de 25 ans de moyenne d’âge.
91

2018
Riche de ses merlots (60 %) et de ses 14° bien sonnés, mais remarquable de netteté, d’équilibre et même de fraîcheur dans le rebond de bouche, avec un pH idéal (3,61) pour autant de maturité de raisin.
92

2016
65 % de merlot expliquent sa puissance et son “rôti”, entendez ses notes de prune un rien figuées et sa texture qui accroche plus que celle des millésime récents. C’est volumineux, mais encore un peu sévère.
88

2015
Complètement opposé au 2016, avec un nez libre, ouvert, caressant, floral et mentholé, mais avec une touche de caramel de merlots idéalement mûrs (57 %). Raffiné et long, un vrai margaux digne d’un joli perdreau.
90

Les Colombo, le père, la mère et la fille

Le vin est une affaire de famille, chacun le sait. C’est chaotique ou très bien joué. Chez eux, ça marche

Cet article est paru dans En Magnum #27. Vous pouvez l’acheter sur notre site ici. Ou sur cafeyn.co.

Jean-Luc Colombo.

Ce n’est qu’en 1982 que Jean-Luc Colombo et son épouse Anne s’installent à Cornas. Ils y créent une pharmacie puis un laboratoire d’œnologie-conseil. Longtemps, c’est cette seule activité de conseil qui les fera connaître des professionnels de la région. Des compétences qu’ils vont rapidement mettre au service de leurs propres vins. La première parcelle est achetée en 1986. Des vieilles vignes qui donnent naissance dès 1987 à la première cuvée, Les Ruchets. Suivront La Louvée jusqu’à la toute dernière Vallon de l’Aigle, premier millésime en 2005. Aujourd’hui, l’exploitation familiale s’étend sur dix hectares à Cornas, sans oublier trois hectares sur le cru voisin de Saint-Péray et quatre hectares en IGP méditerranée sur la Côte Bleue, hommage de Jean-Luc à ses origines marseillaises. Tous deux œnologues de formation, Jean-Luc et Anne ont toujours imprimé une extrême rigueur à l’élaboration de leurs vins, dans une région où longtemps on évoquait pudiquement des « vinifications à l’ancienne », pas toujours exemptes de dérives parfois majeures, faute à des hygiènes de cave régulièrement défaillantes. Lorsqu’ils acquièrent leurs premières vignes, puis leur maison au cœur du coteau, aux Eygas, en 1993, c’est avec le plus grand soin et les pratiques culturales les plus respectueuses qu’ils façonnent leur vignoble. À l’époque, les labels ne sont pas d’actualité (depuis 2015-2016 tous les vins du domaine sont certifiés bio) et cette appellation est en manque de médiatisation. Les Colombo dénotent par leur communication innovante et originale. Aujourd’hui, on parlerait d’approche disruptive. Idéale pour se faire une place à part, très vite. Ils écartent d’emblée la bouteille rhodanienne traditionnelle aux épaules tombantes, pour adopter le flaconnage bordelais. Choquant pour la région mais moderne quand on sait qu’elle est depuis adoptée par tous les grands vignobles ailleurs dans le monde. Ils apprennent à maîtriser les codes de la communication en faisant venir chaque année des journalistes et des dégustateurs pour leur présenter leurs activités, leurs projets, suivre leur évolution. Faire le point sur ces expressions tout en muscles et en fruits de ce vibrant coteau de Cornas, trois décennies plus tard. Faire savoir le savoir-faire.

La relève
Leur fille unique, Laure, la voilà, effectue sa première vinification en 2010. Pas facile de se faire un prénom. Surtout avec un père au caractère aussi trempé, surtout quand on en a hérité. À Cornas, les orages montent vite. Pas seulement dans le ciel. Père et fille savent trouver le moyen d’aller de l’avant, d’autant qu’ils partagent souvent la même ligne de fuite, le même horizon, au loin. Bon sang ne saurait mentir, Laure bénéficie d’une solide formation technique, BTS puis DNO, complétée par un passage dans l’une des meilleures écoles de commerce de France (Edhec). Des parents établis à Cornas. Très bien. Elle s’installe sur le cru voisin, à Saint-Péray, ni trop près, ni trop loin. Avec son compagnon, elle y façonne sa propre aventure, le domaine de Lorient. Ses vignes, ses animaux, ses chambres d’hôtes. Une ferme vigneronne où elle peut donner libre cours à ses expérimentations et ses envies du moment. Toute cette famille Colombo se retrouve dans la grande cave, construite dans le bas du coteau, à Cornas, quartier général de tous les projets : domaine Colombo (celui de Jean-Luc et Anne), domaine de Lorient, mais aussi le négoce qui pèse à lui seul près d’un million de cols. Bref, le travail ne manque pas. Deux générations ne sont pas de trop.