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Bourgogne, les espoirs de la famille Drouhin

De gauche à droite, Laurène, Véronique, Frédéric, Philippe. Il manque Laurent, aux États-Unis au moment de ce reportage. Toute la famille est prête à relever les défis à venir.

Cet article est à retrouver en intégralité dans Le Nouveau Bettane+Desseauve 2024 (pages 128-129). Vous pouvez l’acheter sur notre site ici ou en librairie.


Qu’est-ce qu’une famille ? Avec les années, le lien solide qui unit celle des Drouhin depuis cinq générations aurait pu se défaire peu à peu. Après tout, combien de grandes familles, centenaires et travailleuses comme celle-ci, se sont détournées doucement de la voie exigeante du grand vin. Pas celle-là. Les Drouhin de Beaune se sont lancés à la poursuite d’un rêve dont il ne se sont jamais éloignés, ne cédant à aucune mode, portés par une vision de la qualité presque immuable. Celle-ci s’exprime aujourd’hui sur un peu plus de cent hectares et le domaine de la famille est l’un des plus importants de la région, réparti entre les cinq sous-ensembles bourguignons (Chablisien, côte de Nuits, côte de Beaune, Chalonnais et Mâconnais). Il continue d’ailleurs à grandir avec de récentes acquisitions à Saint-Véran (château de Chasselas) et à Saint-Romain (domaine Rapet). De Joseph Drouhin le fondateur, la génération actuelle – Philippe, Véronique, Frédéric et Laurent – a hérité cette envie de toujours faire mieux. Une attitude pas si fréquente dans un contexte où les vins de Bourgogne sont toujours plus demandés dans le monde. Mais voilà, le bonheur éphémère d’un marché en pleine forme ne donne aucune garantie quant à la suite de cette histoire dans le siècle qui vient. Sans doute l’aventure américaine de la famille, propriétaire d’un beau vignoble en Oregon, a contribué à lui donner la large ouverture d’esprit dont elle fait preuve aujourd’hui. Au même titre d’ailleurs que son implication dans la vie du vignoble bourguignon et son rôle au sein des Primum Familiæ Vini, association prestigieuse dont elle est membre et qui réunit douze familles influentes du monde du vin. Avenir oblige, il restait à la génération actuelle un combat à mener pour donner du sens aux actes d’une famille qui en nourrit le moindre geste.

Pionnière hier
Engagé dès le début des année 1990 sur le chemin d’une agriculture vertueuse, biologique et biodynamique, le vignoble est l’objet de toutes les attentions. Il suffit de constater la tenue impeccable du Clos des Mouches, climat historique de l’appellation beaune et fief éternel de la famille, pour réaliser à quel point les questions environnementales, et surtout la pérennité des territoires, est au cœur du travail des Drouhin. Défi de taille, pour réduire l’impact de son activité, la maison s’est lancée dans un vaste programme de refonte de ses pratiques, traquant la moindre dépense énergétique superflue, des bureaux de son siège jusqu’à la distribution de ses vins. Elle a confié à Laurène, la fille de Véronique, la plus difficile des missions d’une entreprise : avancer. Il lui faudra commencer – cette opération en est à ses balbutiements – par changer les mentalités, recourir sans doute toujours plus à la technologie et à l’information et faire des choix difficiles, pour ses fournisseurs, pour ses équipes, pour le marché qu’il faut priver parfois d’une commande afin d’éviter une livraison gourmande en énergie. Déterminée à mettre en place ce cas unique d’engagement vertueux en Bourgogne, en tout cas pour une maison de taille comparable, Laurène sait que beaucoup de travail et de nombreux obstacles la séparent d’une réussite incertaine.

Engagée aujourd’hui
Au fond, qu’a-t-elle à y gagner et la maison avec elle ? Un peu de bonne conscience ? Un peu comme celles de Joseph, Maurice et Robert avant elles, les deux générations actuelles des Drouhin semblent avoir compris (en avance) que le monde pouvait bien continuer à tourner sans la Bourgogne. Certes, la région est aujourd’hui l’épicentre des vins fins. Mais elle n’a pas encore assez multiplié les projets innovants et ambitieux, comme c’est le cas ailleurs en France, pour continuer à être encore longtemps ce qu’elle est aujourd’hui. On sait déjà tous les nombreux problèmes liés à la vie des sols, les réflexions plus ou moins abouties concernant les porte-greffes, etc. Concrètement, la Bourgogne, comme tant d’autres vignobles plus ou moins prestigieux dans le monde, coûte à la planète, y pioche ses ressources et l’épuise. « L’idée, c’est d’être à l’équilibre », concède Laurène. De nombreuses réflexions agronomiques vertueuses ont pris corps dans le vignoble mondial cette dernière décennie. En Bourgogne, c’est la première fois qu’une maison d’une taille aussi significative interroge ses pratiques avec autant d’intransigeance. Il lui faudra sans doute tout remettre à plat, repartir de zéro, essayer, échouer, abandonner, recommencer.
Nous parlions d’un fil invisible à laquelle cette famille se tenait : il ressemble étrangement à celui de l’abnégation et du courage. Deux qualités au service des grands vins, et un héritage bien partagé entre les générations et dans le large répertoire de la maison beaunoise.

Estoublon, la lumière dans les veines

Mathieu Garçon a fait le choix de photographier l’escalier majestueux du château en prenant un peu de recul. Résultat : on découvre le parc superbe qui encercle ce paradis isolé. Photo : Mathieu Garçon

Estoublon a longtemps regardé d’un œil attentif la Provence faire la fête. Quatre nouveaux propriétaires plus tard, la voilà décidée à entrer dans la danse avec Roseblood par julia molkhou


Cet article est paru dans En Magnum #32. Vous pouvez l’acheter sur notre site ici, ou sur cafeyn.co.


Il faut quitter la route et s’engouffrer sur une allée bordée de pins parasols, rouler au pas comme demandé. Un croisement. À droite, le restaurant La Table d’Estoublon, ouvert six jours par semaine, propose une agréable cuisine méditerranéenne. À gauche, le château. Construit au XVIIIe par la famille de Grille sur les fondations d’un vieux mas provençal, il prend le nom d’Estoublon en souvenir d’un petit village de Haute-Provence où la famille avait des propriétés.
On peut s’offrir ici une vie de château pour un week-end ou quelques jours de vacances. Dix chambres magnifiques, toutes décorées avec luxe, ayant chacune une signature olfactive propre. Plusieurs salons et salles à manger enrichis régulièrement de nouvelles pièces, des centaines d’hectares de jardin, le potager, la piscine et le court de tennis vert gazon. Accès complet à la cave. Et disponibilité aux petits soins de tous ceux sans qui l’expérience ne peut se faire, cuisinier, maîtres d’hôtel, gouvernantes. Le grand art de vivre à la française. Le château d’Estoublon est réputé pour ses huiles d’olive. L’historique oliveraie de 120 hectares permet de travailler une grande variété d’olives. Ardente, poivrée, élégante ou encore équilibrée, le choix d’une huile se fait entre les cinq variétés endémiques et une sixième, venue de Grèce, née de l’assemblage de ces différentes variétés. Elles sont vendues dans plus de trente pays et leurs bouteilles, récemment revues, rappellent les plus beaux flacons des grands parfumeurs. Enfin, Estoublon est depuis toujours un vignoble. Ses vingt hectares depuis longtemps menés en bio produisent des vins blancs, rouges et rosés, une aventure qui a pris une nouvelle direction sous l’impulsion des propriétaires des lieux depuis 2020, Stéphane Courbit, Jean-Guillaume Prats et le couple Bruni-Sarkozy.

À la française
L’idée était de créer un rosé délicat et élégant, avec « des touches féminines que les hommes adorent », confie Carla Bruni-Sarkozy, très investie dans le projet. Le résultat est un assemblage de grenache, cinsault et tibouren auquel tient beaucoup l’équipe d’Estoublon, très au fait de la montée des vins rosé à l’export, notamment aux états-Unis et en Angleterre. Pour faire de Roseblood un challenger des grandes marques de rosé dans le monde, elle a d’ailleurs mis les moyens, humains et marketing. Ce rosé à l’étiquette rose pâle, dont l’illustration évoque le serpent du jardin d’éden, s’est rapidement retrouvé à la carte des établissements select et branchés du groupe Paris Society. Et bien sûr de ceux, tout aussi chics, du groupe Airelles, propriété de Stéphane Courbit. Une façon pour Roseblood d’être consommé à la fois de façon festive, de Saint-Tropez à Val d’Isère, mais aussi d’être bu à table à Versailles. Nouveauté cette année, le blanc Roseblood est un assemblage de rolle et de grenache blanc. Frais, léger, sur les notes d’agrumes, le millésime 2022 est un vin que l’on boira facilement de Courchevel à Gordes.
Tout est aujourd’hui réuni pour faire de Roseblood une marque internationale puissante, alliant un côté lifestyle assumé – entre modernité et tradition française – et un savoir-faire viticole qui compte bien s’affirmer et progresser encore, notamment sous l’impulsion de l’expérimenté Jean-Guillaume Prats. Premier changement, les rouges de la propriété sont désormais issus de vendanges manuelles. Depuis son arrière-pays provençal, la propriété est bien ancrée sur le chemin de la qualité et la voie exigeante de l’authenticité et du luxe durable à la française, laissant finalement assez loin d’elle celui plus éphémère des strass et des paillettes de la Riviera. C’est là tout le défi de cette nouvelle Provence.

La gueule du loup

Aux pieds du pic Saint-Loup, les grands vins sont nombreux. L’appellation chasse en meute pour atteindre le sommet


Cet article est à retrouver en intégralité dans Le Nouveau Bettane+Desseauve 2024 (pages 224 à 227). Vous pouvez l’acheter sur notre site ici ou en librairie.


On aperçoit le pic Saint-Loup perché à 658 mètres depuis la promenade du Peyrou, point culminant du centre historique de Montpellier. Il se découpe devant les premiers contreforts des Cévennes. Près de 1 400 hectares et dix-sept communes, pour soixante-treize caves particulières et trois caves coopératives, composent l’aire de production de ce terroir. Promu vin délimité de qualité supérieure (VDQS) en 1955, ce vignoble est devenu une dénomination à part au sein des coteaux du Languedoc en 1985. On parlait alors de coteaux-du-languedoc Pic Saint-Loup. Une appellation à part entière, pic-saint-loup, a été obtenue en 2017 pour les rouges et les rosés. Les blancs attendront. La syrah rentre au minimum à 50 % dans les assemblages de ces rouges avec le grenache noir et le mourvèdre. On peut les compléter avec des cépages dits accessoires comme le carignan noir, le cinsault noir, la counoise noire ou le morrastel noir. Le cahier des charges fixe une durée minimum d’élevage de neuf mois, souvent largement dépassée.

Un cépage, un terroir
Si les arômes poivrés et épicés de la syrah signent l’arôme des vins, c’est le terroir qui leur donne leur singularité. Le pic Saint-Loup est un contrefort avancé des Cévennes avec des précipitations annuelles de l’ordre de mille millimètres d’eau. C’est largement plus que la moyenne nationale (700 millimètres) et c’est ce qui en fait le terroir le plus arrosé du Languedoc. Ces précipitations d’automne, d’hiver et de printemps permettent aux vignes de bien résister aux fortes chaleurs et aux sécheresses estivales languedociennes. Au-delà de la seule pluviométrie, les amplitudes thermiques sont ici importantes. Fortement contrastées entre le jour et la nuit en période de véraison, elles favorisent une maturation optimale des raisins. Grâce à son relief, le terroir est préservé des forts coups de vent. Les souffles réguliers et modérés du mistral et de la tramontane protègent le vignoble des avancées du « vent marin » humide en ventilant les baies d’un air frais et sec. Marqué par les pointes calcaires du pic Saint Loup et du massif de l’Hortus, ce territoire est le résultat d’un plissement de roche vers le nord à l’ère secondaire. En haut des côtes se trouvent des éboulis calcaires issus de la fragmentation par le gel datant des périodes glaciaires du Quaternaire. En bas, affleurant à la surface, se trouvent les sols marno-calcaires jouxtés par endroits de sols composés d’alluvions déposées par la Méditerranée voilà 90 millions d’années. En plaine, les sols constitués de glacis d’éboulis particulièrement profonds et poreux ont une excellente capacité de drainage de l’eau tout au long du cycle de la vigne. Exception à cette règle générale, le village de Lauret dont les sols marno-calcaires sont situés sur les hauteurs de la commune. La mini plaine de la Gravette de Corconne se singularise par un étalement de glacis-éboulis de couleur gris clair qui donnent une minéralité très identifiable aux vins qui en sont issus. On les reconnaît entre cent en dégustation à l’aveugle. Ce terroir spécifique méritera un jour une appellation à lui seul quand l’époque sera venue de compléter par des climats spécifiques la délimitation en cours des AOC du Languedoc, comme la Bourgogne l’a fait il y a bien longtemps.

Les meilleurs
La fraîcheur des vins du Pic leur permet de se distinguer parmi tous les rouges languedociens. Les rouges se reconnaissent surtout par leur fraîcheur menthée, unique dans la région, mais aussi par leurs notes délicatement florales, poivrées et fruitées. Le prix du foncier, qui atteint voire dépasse 60 000 euros par hectare, limite le fourmillement de jeunes talents comme en AOC terrasses-du-larzac, bien que cette dernière voit également le prix des terres augmenter ces dernières années. Ici, le chef de file est incontestablement Christophe Peyrus. Il signe les vins du domaine Clos Marie, qui peuvent atteindre des sommets de délicatesse. On retiendra aussi les excellents domaines de Mortiès, de l’Hortus, Bergerie du Capucin, Ermitage du Pic Saint-Loup, La Chouette du Chai, Les Grandes Costes, Mas Bruguière, Mirabel, Château Lancyre, Château de Lascaux. Et chez les négociants haute couture, mention particulière à Calmel & Joseph et Hecht & Bannier.

Le nouveau Clarke

Viticulture de précision et infrastructures adaptées, la propriété de Listrac active les leviers du grand vin. Photo : erwan balanca.

Trois ans de réflexion, trois ans de travaux et 18 millions d’euros d’investissement. Pour cette propriété du Médoc, c’est une révolution Par Anne Korrigan

Là où il y a une volonté, il y a un chemin. Pour Clarke, cinquante ans d’efforts auront été nécessaires pour se trouver une route sûre. Avec ses 55 hectares d’un seul tenant, la propriété médocaine acquise en 1973 par le baron Edmond de Rothschild est le cœur et le cru fondateur d’Edmond de Rothschild Heritage Wines. Pourquoi le plus riche de tous les Rothschild achète-t-il alors ce château oublié, ce vignoble en piteux état, dans la plus petite des appellations médocaines (qui ne compte aucun cru classé) quand ses cousins possèdent Mouton et Lafite, deux crus de légendes à Pauillac ? « Pour ne pas renforcer l’hégémonie de la famille dans l’élite des vins », disait-il. S’il a hérité d’une immense fortune, l’homme a créé seul ses entreprises (banque, finance, etc.). Œnophile passionné, il voit Clarke comme son œuvre et le rêve comme le meilleur des crus bourgeois, l’icône de son appellation. Sur ces terres argilo-calcaires atypiques en Médoc, il reprend tout à zéro. Tâche ardue et immense qui lui coûte des millions. Il réunit des spécialistes des sols, de la vigne et de l’œnologie comme le professeur Emile Peynaud ou le consultant Jacques Boissenot et dote la propriété des dernières technologies. Les premiers millésimes, présentés trop jeunes, sont mal goûtés par la place de Bordeaux. Clarke ne s’impose pas malgré des progrès continus. L’année 2016 est celle des nouveaux défis et de la mise en place d’une nouvelle équipe sous la houlette d’Ariane de Rothschild, avec Fabrice Darmaillacq à la tête de l’exploitation et le conseil d’Eric Boissenot, l’œnologue spécialiste du Médoc.
Six ans de réflexion et de travaux de 2017 à 2023, le projet Impulse redéfinit et redynamise Clarke. « Nous avions besoin d’optimiser le vignoble, de moderniser nos outils techniques, de rationaliser tous nos process pour être à la hauteur de nos ambitions », explique Fabrice Darmaillacq. Et se placer pour de bon dans le viseur des consommateurs. Le renouvellement accéléré du vignoble (30 ans d’âge moyen) planté à 7 000 pieds par hectare s’achèvera en 2032. Les vecteurs d’amélioration identifiés tiennent compte des effets du changement climatique déjà constatés et anticipent ses conséquences prévisibles. Les sols argilo-calcaires permettent de résister aux aléas climatiques, favorisent la maturation lente du fruit et la préservation de son acidité naturelle. Ils accueillent les merlots, soit 70 % de l’encépagement. Les cabernet-sauvignon (30 %) sont plantés sur les sols gravelo-sablonneux. Les cabernets francs font leur réapparition sur 4,5 hectares. Labellisé HVE et SME, Clarke pratique une viticulture durable et de précision à l’échelle intraparcellaire. Zéro herbicide, des engrais verts issu du couvert végétal, cuivre et soufre prophylactiques en début et en fin de campagne, intrants de synthèse limités. Depuis 2022, le nouveau cuvier gravitaire et parcellaire de cinquante cuves béton (10 à 160 hectolitres) accueille les baies récoltées manuellement au pic de la maturité. Fermentation par co-inoculation, extractions douces, élevage de seize mois dans un chai réhabilité (les précieux vins de presse ont, eux, leur chai enterré), pour l’assemblage, Boissenot dispose désormais d’une palette inégalée.
Mal compris et mal jugé à ses débuts, Clarke est devenu un vin élégant, puissant, frais, aux tannins soyeux, taillé pour être dégusté jeune ou mature. À ses 150 000 bouteilles s’ajoutent les 15 000 de la cuvée Le Merle blanc, issue de sauvignon blanc, sauvignon gris, muscadelle et sémillon, élevée en cuve inox et en barrique. Et comme l’art de vivre fait partie intégrante de la propriété, les jardins ont été encore embellis et les chais et la nouvelle salle de dégustation magnifiés par l’intervention d’artistes et d’artisans. De quoi être vu autrement

Iran : de l’exil aux vendanges

En Dordogne, tête découverte, deux iraniennes vendangent les parcelles du vignoble Dubard. Toutes deux rescapées du régime de Téhéran, elles participent à la résurrection du vin perse. « Nous n’arrêtons pas, nous continuons de nous battre. La lutte contre les mollahs, la république islamique, continue ici d’une autre manière » expliquent Marjan Jangjoo et Soodeh Lashkarizadeh. « On se bat avec nos mains pour garder notre vin en vie » disent-elles. Le vin et sa production sont interdits en Iran depuis la révolution islamique de 1979, en dépit d’une tradition viticole millénaire et des éloges des plus grands poètes iraniens comme Hâfez et Saadi. Les deux jeunes femmes se sont ralliées au projet de Masrour Makaremi : celui de faire renaître le vin persan.

Masrour Makaremi remplissant une amphore du VIIème siècle avant notre ère, achetée aux enchères.

Et le vin perse revit
Né en Iran, Masrour Makaremi arrive en France avec sa famille après le décès de sa mère (opposante politique, torturée et exécutée lors du massacre des prisons en 1988). Il devient spécialiste en orthopédie dento faciale-orthodontie et développe, en parallèle de son cabinet, une start-up dédiée aux technologies d’intelligence artificielle au service de la médecine. Voulant associer les deux cultures (française et iranienne) qui lui sont chères, il se souvient des promenades avec sa grand-mère dans les vignes clandestines et revoit son oncle produire en cachette son vin de table, en Iran.

Masrour s’associe avec le vignoble Dubard à Saint-Méard-de-Gurçon où il fait planter deux hectares de syrah, shiraz en persan (cépage rapporté de Perse par les Croisés, selon la légende) en 2016. Masrour s’inspire ensuite des méthodes de vinification d’il y a 5 000 ans pour se rapprocher au maximum du vin de l’époque. Il élève son vin dans des amphores en terre cuite (dont la température de cuisson est modérée pour les rendre poreuses) rendues étanches par un enduit en résine de pistachier. Contrairement aux barriques en bois où l’on cherche à rendre le vin plus ou moins tannique, les amphores n’apportent pas d’arômes particuliers. Mais l’échange d’oxygène avec leur porosité rendra le vin plus ou moins fruité et oxydatif. Le nom de la cuvée ? Cyrhus, en hommage à Cyrus le Grand, le fondateur de l’Empire perse, et un H supplémentaire en clin d’œil au shiraz.

Versailles, Charles III et les petits millésimes

L’affaire avait de l’allure, c’est d’accord. Faisons vite.

Voilà la liste des vins servis au roi d’Angleterre :
Pol-roger, cuvée Winston Churchill, champagne 2013, en magnum.
Olivier Leflaive, bâtard-montrachet 2018, en magnum.
Mouton-rothschild, pauillac, premier GCC 2004, en double magnum.

Voyons cela.

Le champagne 2013 est un joli millésime, mais pourquoi n’avoir pas choisi 2012 ? Prenons le classement des millésimes du Figaro. Il nous apprend que 2013 est classé 3 sur 5 et 2012, 5 sur 5. Pourquoi pas le meilleur pour King Charles III ?

Le bâtard-montrachet, pareil. Le Figaro : 2018, 4 sur 5. Le 2017, 5 sur 5. Et pourquoi un bâtard ? Pourquoi pas le montrachet…

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Banyuls, de schiste et de sel

À la frontière franco-espagnole, façonnée par le traité des Pyrénées de 1659, une excroissance de la chaîne des Pyrénées part du Canigou pour plonger dans la mer Méditerranée. C’est le massif des Albères. Sa façade littorale s’appelle la côte Vermeille. Sur un territoire qui s’étend sur quatre communes (Collioure, Port-Vendres, Banyuls-sur-Mer et Cerbère) ainsi que deux hameaux (Cosprons et Rimbau), une même aire géographique délimite de façon assez singulière quatre vins différents : l’appellation collioure, l’IGP côte-vermeille (vins secs blancs, rosés et rouges) et les AOC banyuls et banyuls grand cru pour leurs vins doux naturels (blancs, rosés et rouges pour la première, rouge uniquement pour la seconde).

Entre les murs
Sur les 1 260 hectares actuellement en production, l’appellation banyuls occupe 530 hectares et banyuls grand cru, 60 hectares. Le sol, c’est du schiste : son acidité va donner de la tenue aux vins. Ce schiste a permis de façonner des dizaines de kilomètres de murettes un peu partout, sans lesquelles la viticulture en coteau serait impossible. Ici, les vignobles sont façonnés et maçonnés avant d’être plantés. Héritage et patrimoine culturel, ces murettes rendent toute mécanisation du vignoble impossible dans la plupart des parcelles.

Viticulture héroïque
Le climat, méditerranéen évidemment, a pour particularité d’être sec, surtout ces dernières années. Cela affecte les rendements (moyenne de 17 hl/ha en 2022, 18 hl/ha en 2021) et menace à terme l’existence même de toute viticulture. D’autant que sur ces fortes pentes, toute idée d’irrigation est incongrue. Pire, lorsqu’il pleut, il pleut trop, de façon soudaine et brutale. Ces fameux épisodes méditerranéens que l’on qualifie de cévenols du côté de Montpellier, entraînent tout sur leur passage. Ces conditions de pluviométrie particulières sont à l’origine d’une véritable architecture paysagère, unique au monde, avec le système des agulles (prononcer « agouille »), sorte de canaux d’évacuation. Toujours constituée d’une agulle centrale et d’agulles secondaires qui partent en travers, l’agulle finit par se jeter dans un ruisseau après avoir collecté les pluies de tout le coteau. Un aménagement aussi spectaculaire qu’efficace, qui n’existe que de ce côté-ci des Pyrénées.

Roi grenache
Les cépages autorisés sont nombreux, mais la variété dominante est le grenache, surtout rouge, mais aussi blanc ou gris. Les vignes sont toujours montées en gobelet, à l’exception de quelques fonds de vallée en cordon. Elles sont d’un âge moyen très élevé, au moins 70 ans mais souvent beaucoup plus, l’informatisation du vignoble mise en place en 1950 ne permettant pas d’entrer des données antérieures. Ici, on travaille dans le sens des lignes de pente afin d’éviter le ravinement. Les vendanges sont manuelles, aucune machine ne pouvant circuler.

Face à la mer
Pour chaque parcelle, plus que la pente, l’altitude et l’exposition sont fondamentales pour définir le profil des vins que l’on va produire, les banyuls étant plutôt issus des faces sud, avec des altitudes qui partent du niveau de la mer pour s’élever à plus de 400 mètres, des hauteurs de plus en plus recherchées ces dernières années. La proximité de la mer permet l’apport d’embruns salins qui se déposent sur le sol et sur les raisins, conférant aux vins une identité certaine que n’ont pas les parcelles situées à l’intérieur des terres.

Deux appellations, tout un monde
Avec la création de l’AOC banyuls dès 1936 et celle de banyuls grand cru en 1962, le style des vins est varié. Banyuls blanc pour des vins élevés en mode réducteur ; banyuls ambré pour des blancs élevés en mode oxydatif ; banyuls rimage pour des rouges en mode réducteur ; banyuls traditionnel élevé minimum 24 mois en mode oxydatif ; banyuls grand cru, enfin, pour des vins avec 75 % de grenache noir minimum, élevés sous bois, généralement en mode oxydatif.

Pour l’éternité
Ces vins de garde quasi éternelle sont mutés, avec des sucres résiduels qui varient suivant les styles des producteurs, généralement entre 80 et 120 grammes par litre. Ils sont moins recherchés par les consommateurs qu’il y a un siècle, d’où la nécessité pour la région d’avoir développé l’appellation collioure. La vente est aujourd’hui très locale, bénéficiant du fort afflux touristique l’été. Entre vente directe, cavistes et restaurants, c’est 70 % de la production qui s’écoule ainsi.

Rémy Martin montre la voie

La maison au centaure a fait de son engagement pour la planète une raison d’être de ses cognacs. Une chance pour le monde, un modèle pour la région


Cet article est paru dans le supplément Grand Art spécial vins et spiritueux du Journal du Dimanche en juin 2023 réalisé par Bettane+Desseauve.


Engagée dans des démarches environnementales certifiées depuis le début des années 2010, la maison Rémy Martin a décidé d’accélérer le mouvement en suivant la voie de l’agroécologie. Ces dernières années, la notion est apparue dans les vignobles français. Ses principes peuvent sembler complexes. Difficile de la résumer, comme certains peuvent le faire, à quelques arbres plantés dans les vignes. Sur son site, le ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire la définit comme « une façon de concevoir des systèmes de production qui s’appuient sur les fonctionnalités offertes par les écosystèmes ». La pratique « vise à diminuer les pressions sur l’environnement et à préserver les ressources naturelles » en utilisant « au maximum la nature comme facteur de production » et « en maintenant ses capacités de renouvellement », grâce à un « ensemble de techniques qui considèrent l’exploitation agricole dans son ensemble. » Réintroduire de la diversité paysagère et favoriser le maintien durable d’une biodiversité forte étaient les premières mesures à prendre. « Pour Rémy Martin, l’approche est simple : par agroécologie, on entend des pratiques agricoles à impact positif sur les sols et la biodiversité, associées à une obligation de résultat, que l’on mesure. » Cela passait aussi par le fait d’inventorier la faune en comptabilisant, par exemple, les espèces d’oiseaux présentes dans ses vignobles et ceux de ses viticulteurs partenaires. En plus de planter des haies paysagères, de créer des zones enherbées et des espaces naturels, la maison souhaitait aussi protéger l’existant, en partenariat avec l’Office national des forêts, en rappelant au public la nécessité de préserver la diversité actuelle des paysages, ses bosquets ou encore ses arbres isolés.

Jean-Philippe Hecquet, directeur général.

Avec pour ambition de déployer ces pratiques sur les 270 hectares de ses domaines et sur 100 % des surfaces de ses partenaires, la maison mène aussi une réflexion durable quant au matériel végétal. Sensible aux maladies cryptogamiques, les cépages du vignoble cognaçais sont l’objet de toutes les attentions. Depuis juin 2022, la maison a lancé un vaste programme d’étude autour des variétés de vignes résistantes et leurs qualités d’adaptation face au changement climatique. Elle teste aussi les aptitudes gustatives du monbadon, un cépage ancien qu’elle aimerait réhabiliter. La démarche est simple : réduire l’utilisation de produits phytosanitaires tout en s’assurant de produire un raisin de qualité dans des volumes réguliers d’une année sur l’autre. Là-aussi, l’empirisme de la viticulture de terrain est complété par le recours à des technologies innovantes en matière de recherche et de développement. Outils d’aide à la décision pour évaluer le niveau de pression des maladies, utilisation d’une cartographie intraparcellaire élaborée avec l’aide du Centre national d’études spatiales pour mesurer la vigueur des pieds de vignes, etc.

Pas question pour Rémy Martin d’improviser et de faire cette course à la précision en oubliant de la jouer collectif. D’ici 2030, son objectif est d’engager les viticulteurs de la coopérative de l’Alliance Fine Champagne, son partenaire historique et essentiel, vers une viticulture vertueuse et régénératrice. Pionnière et en recherche constante d’amélioration de ses pratiques, la maison ne perd pas de vue qu’on jugera aussi du bien-fondé de ces démarches en fonction de la qualité de ses cognacs. Sur ce point, le créateur de Louis XIII a pris les devants en expliquant leur nécessité au public avec un discours de célébration à rebours des messages de sensibilisation anxiogène. Pour un cognac de qualité, le temps est un prérequis indispensable. Pour la maison tricentenaire, le combat durera plusieurs siècles. L’agroécologie mise en place n’est qu’un chapitre dans une histoire qui continue de s’écrire. Elle donnera aux idées neuves de la maison au centaure un terreau fertile et une situation saine pour continuer à briller.

Le peuple du midi

Sans ces êtres lumineux, la région ne serait sans doute par sortie de la nuit. Pionniers, acteurs historiques, réenchanteurs, ils ont fait du Languedoc ce qu’il est aujourd’hui


Cet article est paru dans En Magnum #33. Vous pouvez l’acheter sur notre site ici, ou sur cafeyn.co.


Devant le succès rencontré par les pionniers qui ont démontré que l’on pouvait faire de grands vins en Languedoc, de nombreux vignerons intelligents installés de plus longue date décident dès les années 1990 de rompre avec les traditions et d’améliorer l’encépagement, les chais et les élevages. Certains créent à partir d’un domaine familial des négoces de pointe qui permettent de repenser le modèle dans la région. Bien d’autres domaines historiques sont sortis de la coopération et ont créé et commercialisé des vins de grande qualité. Ils sont trop nombreux pour les citer tous, mais leurs cuvées figurent dans nos sélections et dans notre guide des vins.
Quelques pionniers reconnus, des domaines historiques qui se réinventent, il n’en faut pas plus à la presse française et internationale pour décréter, au milieu des années 1990, que le Languedoc est une Californie française, véritable eldorado viticole qui permet beaucoup. Beaucoup de viticulteurs âgés, désabusés ou ruinés, offrent des vignes à céder quand elles ne sont pas à l’abandon, faute de repreneur. Le Languedoc dispose pour ceux qui veulent tenter l’aventure du potentiel pour faire de grands vins et d’une image qui ne demande qu’à être améliorée. Surtout, le prix de l’hectare de vignes est alors au plus bas, de l’ordre de 10 000 euros par hectare planté quand il vaut dix fois plus cher ailleurs et parfois bien plus.

 

LES PIONNIERS


Demandez à cent vignerons talentueux qui a fait bouger les lignes en Languedoc, la plupart citeront Olivier Jullien.

Olivier Jullien (Mas Jullien)
Demandez à cent vignerons talentueux qui a fait bouger les lignes en Languedoc, la plupart citeront Olivier Jullien. Ce fils d’apporteur en coopérative a pris conscience de la qualité des terroirs languedociens, créé sa propre exploitation et attiré dans son sillage nombre de vignerons qui ont suivi ses traces et démontré le potentiel des terrasses du Larzac. Tout a commencé au début des années 1980. Son BTS viti-oeno en poche, Olivier Jullien n’avait pas de vignes. Il a commencé à en louer pour faire son vin et a réussi à le vendre en installant des panneaux publicitaires pour capter les touristes de passage et en posant des flyers photocopiés sur les pare-brise. Il se souvient d’un salon de vins où il proposait ses bouteilles à 30 francs (environ 15 euros de 2023). Il retrouve à la fin du salon Marlène Soria (Peyre-Rose) et Christophe Bousquet (Pech-Redon). « Tu as vendu une quille ? Non, aucune. » Pas facile de faire admettre un prix pourtant raisonnable aux consommateurs qui ne voyaient à l’époque en Languedoc que des pinards. Les premiers professionnels à acheter son vin ont été des Belges, sans préjugés sur les vins de la région. Les prix des grands bordeaux avaient considérablement augmenté, ils cherchaient d’autres sources d’approvisionnement pour leur clientèle. Puis, quelques restaurateurs comme les patrons du Mimosa à Saint-Guiraud ont envoyé beaucoup de leurs clients chez Olivier. Il a ensuite repris ses études pour obtenir un diplôme d’œnologue afin de mieux comprendre ce qui se passait vraiment dans un raisin et dans un chai. Curieusement, la tradition est allée ici de fils en père. Dix ans après le démarrage de Mas Jullien, le père d’Olivier, viticulteur coopérateur de son état, a lui aussi créé son domaine, Mas Cal Demoura, une aventure aujourd’hui brillamment poursuivie par les Goumard.

Un gantier de Millau, Aimé Guibert (ici avec sa femme Véronique Guibert de la Vaissière), se promène dans les années 1970 et tombe sous le charme d’un mas avec quelques hectares de vignes. La seconde génération composée de Samuel, Gaël, Amélien, Roman et Basile assure la gestion du domaine et les vinifications depuis le décès de leur père en 2016.

 

Aimé Guibert (Mas Daumas-Gassac)
Un gantier de Millau, Aimé Guibert, se promène vers Aniane quand il tombe sous le charme d’un mas accroché à quelques hectares de vignes. Conseillé par Enjalbert, professeur à l’université de Bordeaux et spécialiste de la géologie viticole, il y fait planter en 1972 des cabernet-sauvignon non clonées. Ces vignes, issues d’une collection d’un pépiniériste, proviennent de grandes propriétés bordelaises des années 1930 et 1940. En 1978, Emile Peynaud, alors œnologue star du bordelais, suit à distance et conseille par téléphone la première vinification. L’exposition au nord des pentes du vignoble accentue l’effet d’un microclimat froid et réduit les heures d’ensoleillement, surtout durant l’été. La floraison de la vigne a lieu ici environ trois semaines plus tard que la moyenne du Languedoc, ce qui convient parfaitement au cabernet-sauvignon. Qualité et curiosité ont fait de Daumas-Gassac, annoncé comme le vin de pays le plus cher du monde, un succès.

La famille Roux (Prieuré Saint-Jean-de-Bébian)
Dans les années 1970, le domaine Prieuré Saint-Jean-de-Bébian se transforme sous la houlette du propriétaire qui l’avait acheté en 1952. La famille Roux plante des cépages nobles venant des différentes régions viticoles françaises (syrah de chez Jean-Louis Chave, grenache du château Rayas, mourvèdre du domaine Tempier à Bandol) et conserve les cépages locaux (cinsault, carignan). En blanc, l’orientation est clairement donnée aux cépages de Châteauneuf-du-Pape (roussanne, marsanne et clairette). Passé entre les mains d’anciens propriétaires de La Revue du vin de France reconvertis en vignerons, puis revendu à des russes qui l’ont cédé récemment à un régisseur français, le domaine est une référence depuis la fin des années 1970.

Michel Louison (Château des Estanilles)
En 1976, Michel Louison, un autodidacte, fut l’un des pionniers de l’appellation faugères en y introduisant la syrah – cépage qui fit la renommée du château des Estanilles au début des années 1980 – et les méthodes rigoureuses des grands châteaux bordelais. Il fut également l’un des premiers à embouteiller sa production dans le Languedoc.
En quelques années, sa propriété est devenue la référence qui a fait connaître l’appellation. Le domaine a été repris depuis avec passion par Julien Seydoux.

Petit-fils de vignerons, Jean Orliac a débuté comme chercheur à l’université de Montpellier après des études à l’école d’agronomie de Montpellier et une maîtrise de sciences économiques.

Jean Orliac (Domaine de l’Hortus)
Petit-fils de vignerons, Jean Orliac a débuté comme chercheur à l’université de Montpellier après des études à l’école d’agronomie de Montpellier et une maîtrise de sciences économiques. En 1978, tout en poursuivant sa carrière de chercheur, il retourne à la terre en trouvant cinq hectares de vignes en piteux état à Pic Saint-Loup. Après des replantations massives, son premier vin sort en 1990 et obtient de Robert Parker une note de 95 sur 100. Tout est relativement facile ensuite et les clients affluent. L’homme a su fédérer les vignerons autour de lui et sa vision qu’il résume ainsi : « Il faut sortir du cycle infernal manifestation-subventions-distillation. Jetons les bases de l’appellation pic-saint-loup ». Il y a trente ans, le nom de cette zone viticole n’était même pas connu à Montpellier, pourtant tout proche. Le domaine de l’Hortus en est aujourd’hui un représentant incontournable.

Jérôme Joseph et Laurent Calmel (Calmel & Joseph)
Ces deux-là ont parcouru le monde avant de se poser près de Carcassonne en 1985. À l’origine négociants sans chai, Jérôme Joseph et Laurent Calmel décident de créer l’ensemble de leurs vins avec pour ambition d’être au niveau des meilleurs producteurs locaux. Leur gamme s’est élargie depuis avec des vins de cépage impeccablement vinifiés et des cuvées dans la plupart des crus du Languedoc, parfaites représentations de ce que permettent leurs terroirs respectifs.

Sylvain Fadat (domaine d’Aupilhac)
Sylvain Fadat s’est consacré aux vignes familiales à la fin des années 1980, à une époque où il fallait tout réinventer. Il a osé miser sur un carignan que beaucoup délaissaient jusqu’à lui consacrer une cuvée dédiée, défrichant des terres d’altitude sur le terroir des Cocalières pour que ses vignes s’y sentent bien. Initiateur du bio puis de la biodynamie, c’est depuis le leader incontesté de Montpeyroux, un terroir à part au milieu de l’appellation terrasses-du-larzac.

Robert Skalli (Fortant de France)
La famille Skalli, négociante en Algérie puis implantée en France à partir de 1961, a fédéré en 1987 un groupe de professionnels entraîné par Robert Skalli et Jacques Gravegeal pour créer la dénomination « vin de pays d’Oc ». Cette même année, Robert Skalli lança les premiers vins de cépage français sous la marque Fortant de France. Repris par le groupe Boisset en 2011, la marque propose des vins en IGP pays-d’oc qui mettent en avant les cépages. Une success story puisque cette IGP représente aujourd’hui plus de 50 % de toute la production du Languedoc.

Marlène Soria (Domaine Peyre Rose)
Cet emblématique domaine du Languedoc est dirigé par la discrète mais non moins emblématique Marlène Soria, fille de vignerons dont la première vie professionnelle n’était pas la vigne mais l’immobilier, la vente de propriétés de vacances. L’achat personnel d’une propriété a été le point de départ d’un changement radical. Marlène Soria a défriché la garrigue pour planter des vignes. Si rien ne la prédisposait au grand vin, le charme exceptionnel de ce bout du monde installé sur les hauteurs de Saint-Pargoire, à cinquante kilomètres à l’ouest de Montpellier, en a décidé autrement. Tombée amoureuse de ce paysage au milieu des bruyères et des cistes roses, elle a décidé d’y produire son vin. Tout a commencé en 1989, premier millésime apporté à la coopération locale. Le sentiment de ne pas aller au bout de ce que le terroir permettait imposa naturellement la mise en bouteilles au domaine dès le millésime 1990. La notoriété a ensuite progressé au rythme de l’intérêt croissant pour le Languedoc. Depuis, l’engouement pour Peyre Rose ne s’est pas démenti. Il est favorisé par la rareté des vins. Les rendements souvent inférieurs à 20 hectolitres par hectare ne multiplient pas le nombre de bouteilles et Marlène ne les commercialise qu’à leur apogée. En ce moment, vous trouverez le 2012.

Passionné, Christophe Bousquet produit des vins très identitaires, comme le permet ce splendide terroir, qui ne ressemblent à aucun autre dans tout l’arc méditerranéen.

Christophe Bousquet (Château Pech-Redon)
Pech-Redon, situé au sommet du massif de La Clape, a été repris en 1988 par la famille Bousquet. Passionné, Christophe Bousquet produit des vins très identitaires, comme le permet ce splendide terroir, qui ne ressemblent à aucun autre dans tout l’arc méditerranéen. Christophe a repris la présidence de l’interprofession languedocienne (CIVL) pour faire bouger les lignes de la qualité et tenter d’apaiser l’éternel conflit d’intérêts entre le négoce et la production, pourtant totalement interdépendants.

 

LES HISTORIQUES


Famille Jeanjean
L’histoire de Jeanjean raconte à elle seule toute la saga des vins languedociens. Du fondateur si pressé qu’on l’appelait « Père la Minute » au développement brillant du groupe AdVini dont elle est le premier actionnaire, ce groupe familial basé dans les contreforts du Causse, à Saint-Félix-de-Lodez aura su se transformer au gré des multiples révolutions du Languedoc viticole. Elle a conservé ses racines et ses principes : acteurs majeurs du négoce local, les Jeanjean peuvent aussi s’enorgueillir de s’appuyer sur un beau patrimoine de vignobles comme le spectaculaire Devois des Agneaux d’Aumelas, sur le causse calcaire ou le remarquable tertre du Causse d’Arboras en terrasses-du-Larzac.

Jacques Boscary (Château Rouquette-sur-Mer)
Jacques Boscary a presque fait partie des pionniers du Languedoc nouveau avec son château acheté en 1942 en très mauvais état par sa famille. Il n’a eu de cesse de replanter ce vignoble et fait de longue date l’un des meilleurs vins de La Clape. Goûtez ses délicieuse entrées de gamme puis plongez dans ses grandes cuvées.

Les frères Vaillé (Domaine de La Grange des Pères)
En 1992, les frère Vaillé ont transformé le domaine familial en le baptisant La Grange des Pères. Avec une qualité parfois variable, mais souvent de premier plan, il s’est imposé comme une référence incontournable du Languedoc avec des vins devenus mythiques depuis la disparition récente de Laurent Vaillé.

Frédéric Pourtalié (Domaine Montcalmès)
L’exploitation familiale comptait 30 hectares de vignes intégralement vinifiés en cave coopérative. En 1998, Frédéric Pourtalié et son père Jean-Marie ont décidé de créer une cave particulière. La première vinification en rouge a lieu en 1999. Seulement 5 000 bouteilles étaient produites alors. Le succès mérité est venu rapidement, la production actuelle est de 50 000 bouteilles par an, la gamme est essentiellement constituée d’un seul grand vin rouge qui figure parmi les plus fins du Languedoc.

Les sœurs Losfelt (Château de l’Engarran)
C’est le respect d’un patrimoine familial qui a servi de moteur à la reprise par les deux sœurs Losfelt (photo d’ouverture), Diane et Constance, de ce domaine et sa magnifique demeure, une folie montpelliéraine bâtie vers 1730. Elles produisent avec une régularité sans faille des entrées de gamme délicieuses et de grandes cuvées plus ambitieuses sur le terroir injustement méconnu de Saint-Georges-d’Orques aux portes de Montpellier.

La famille Bories (Domaine Les Ollieux-Romanis)
C’est en 1978 que la famille a repris l’exploitation du domaine Les Ollieux-Romanis, une partition du grand domaine Les Ollieux qui avait été scindée en deux plus d’un siècle plus tôt. Malgré les temps difficiles, elle a réussi à lui donner un second souffle puis à reconstituer en 2006 le domaine historique au grand complet. Inspiré par le château La Voulte Gasparets et sa mythique Cuvée Romain Pauc, le dynamique Pierre Borie est l’un des meilleurs représentants actuels des Corbières et nous régale avec une gamme irréprochable.

À partir de leur magnifique château de Pennautier, Miren et Nicolas de Lorgeril ont bâti une belle entreprise viticole.

Famille Lorgeril
À partir de leur magnifique château de Pennautier, dans le secteur si intéressant aujourd’hui de Cabardès (parfait point de rencontre entre influences océaniques et méditerranéennes), Miren et Nicolas de Lorgeril ont bâti une belle entreprise viticole, s’appuyant sur des domaines situés dans des secteurs d’altitude (outre Pennautier, le minervois Borie blanche et les faugères et saint-chinian de Ciffre) mais aussi des innovations séduisantes comme le tonique ô-de-rosé. Début 2021, les Lorgeril ont en entamé sur l’ensemble de leurs vignobles une collaboration avec les consultants Simon Blanchard et Stéphane Derenoncourt : le résultat, en particulier à Pennautier, est aussi novateur que réussi.

LES RÉENCHANTEURS


Basile Saint-Germain (Domaine Les Aurelles)
Basile Saint-Germain, architecte-paysagiste à Vence, est venu s’implanter en 1995 dans la zone de Pézenas. C’est un vigneron pointilleux, peu ont poussé l’exigence à ce niveau de détails. Il produit aujourd’hui l’un des rouges les plus qualitatifs et régulièrement le meilleur blanc de la région. La transmission est en cours et Basile tient à ce que
Les Aurelles continuent à briller au firmament de la région.

Vincent Goumard a été le président qui a participé à doter cette zone d’une appellation spécifique détachée des coteaux du Languedoc, l’AOC terrasses-du-larzac.

Isabelle et Vincent Goumard (Mas Cal Demoura)
Fondé au début des années 1990, le Mas Cal Demoura fait partie des domaines précurseurs ayant contribué à la révolution qualitative des vins du Languedoc. Depuis 2004, après avoir abandonné une carrière prometteuse de consultants parisiens, Isabelle et Vincent Goumard concentrent leur énergie à interpréter les grands terroirs autour de Jonquières. Vincent a également été le président qui a participé à doter cette zone d’une appellation spécifique détachée des coteaux du Languedoc, l’AOC terrasses-du-larzac.

Grégory Hecht et François Bannier (Hecht & Bannier)
La maison de négoce et d’élevage créée en 2002 par Grégory Hecht et François Bannier se consacre aux vins du pourtour de la Méditerranée, de Collioure à la Provence. La connaissance approfondie des vignobles et des caves est la base de leur métier : ils visitent chaque année plusieurs centaines de domaines pour ne sélectionner que les plus beaux raisins et les meilleurs jus, pour les assembler ensuite et proposer de parfaits représentants des meilleurs terroirs.

Julien Zernotte (Domaine Le Pas de l’Escalette)
Julien a fait ses armes à Menetou-Salon après ses études d’œnologie, Delphine était attachée de presse chez Skalli. Ils voulaient créer un domaine qui leur appartienne. Après l’achat de vignes dont un restaurateur parisien ne savait que faire et la location d’une ancienne bergerie, pour y habiter et y faire le vin, l’aventure a démarré en 2001. À 350 mètres d’altitude, au sommet de ce qui est devenu depuis l’AOC terrasses-du-larzac, le domaine propose aujourd’hui les vins les plus frais de l’appellation, délicieux de l’entrée au sommet de la gamme. Au bout de vingt-deux ans, toutes les dettes viennent d’être remboursées, une nouvelle vie commence.

Patrimonio, les possibilités d’une île

Ce terroir était un monde de promesses. Porté par une génération ambitieuse, il commence à toutes les tenir, surtout pour ses blancs prodigieux


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Disons-le franchement, l’appellation contrôlée la plus connue de Corse nous a trop souvent globalement déçus dans les quinze dernières années. Certes, les producteurs vedettes se montraient à la hauteur de leur réputation, même en boudant systématiquement les dégustations comparatives – encore plus celles faites à l’aveugle. Sur l’île, les susceptibilités individuelles sont encore plus exacerbées que sur le continent. Trop de vins médiocres ou mal vinifiés s’opposaient aux progrès constants et spectaculaires des autres secteurs de l’île. Il faut dire que l’appellation est née fort ambiguë. Géographiquement, le somptueux amphithéâtre regardant la mer et nommé à juste titre la « Conque d’Or » est né de sédiments complexes sur un socle schisteux très anciens. Le calcaire ou le granit peuvent y recouvrir la roche-mère, tout comme l’inverse. On y a ajouté en 1968, lors de la parution du décret d’appellation, pour faire plaisir aux vignerons influents de l’après-guerre, les terres plus plates (et d’ailleurs remarquables) purement schisteuses qui vont en direction du désert des Agriates. Les vins ont naturellement des caractères différents selon la nature des sols. L’ensemble dépasse un peu 400 hectares avec un potentiel de 14 à 15 000 hectolitres en production. On a également inventé une fausse tradition d’encépagement pour les vins rouges et rosés (presque 80 % de la production), en tirant fierté de la couleur plus intense et de la vinosité du cépage nielluccio, qui s’oppose à la tradition sudiste du sciaccarello et à ses vins plus délicats et parfumés, mais moins intenses. Le climat et les sols du secteur s’adaptent mieux à la vigueur de ce cépage frère du sangiovese toscan, qui assure un rendement plus régulier au viticulteur. Le décret d’appellation le rend majoritaire par obligation, jusqu’à 75 % pour les rosés et plus encore pour les rouges. Cet encépagement était infiniment plus complexe au XIXe siècle. Si l’on a conservé et recommence à planter de nombreux cépages rouges ou blancs, impossible de les vendre autrement qu’en IGP ou en vin de France – un comble pour un vrai Corse – puisque les appellations d’origine continuent à les bouder. Le sciaccarello affine considérablement le nielluccio, spécialement sur les terroirs schisteux. On pourrait en dire de même des cinsaults pour les rosés. Les bons vignerons locaux commencent à faire fi de cette ségrégation et on les encourage volontiers à continuer. En blanc, en revanche, rien à dire, le vermentino semble toujours idéal, même si le bianco gentile, dans quelques micro secteurs, apporte un caractère différent, moins original mais très savoureux, si l’on sait le récolter à point et le vinifier sans altération.

Savoir attendre
Depuis trois ans, le niveau global des vins est en grand progrès et nous avons été impressionnés par notre dégustation de mai 2023. On doit certainement ce progrès à un changement de génération de producteurs et plus encore à une révolution agronomique liée au classement de tout le secteur comme « Grand site de France ». Une consécration évidemment bien méritée et qui a interdit automatiquement l’usage de tout désherbant de synthèse, et donc du glyphosate en viticulture. On retravaille les sols et on essaie de recréer un environnement vert et plus écologique, ce qui a immédiatement donné de meilleurs raisins. Quelques grands vignobles historiques ont révolutionné leurs pratiques et de nombreux jeunes viticulteurs, plus idéalistes, suivent le même courant, quand ils ne l’ont pas devancé. Voici en résumé notre sentiment global : les rouges préservent mieux les notes fruitées de leurs cépages et sont moins marqués par des notes animales, encore hélas trop appréciées par le consommateur local. Leur tannin est plus élégant et c’est mieux ainsi. Les rosés, bus trop tôt dans leur première année alors qu’ils seraient meilleurs l’année suivante, ont une vinosité remarquable qui les rend souvent plus mémorables que leurs cousins provençaux du Var. Mais pour nous, les blancs restent les grandes expressions du secteur, avec leurs notes magnifiques d’agrumes, leur fraîcheur, leur corps et leur capacité (hélas si rarement vérifiée) de vieillir dix ans ou plus en bouteille pour prendre de somptueux arômes terpéniques capables de rivaliser avec ceux des plus grands rieslings. Aux amateurs intelligents donc d’en tenir compte et de les attendre cinq ans ou plus. Espérons pour terminer que l’appellation ouvrira ses portes au riche patrimoine historique de cépages italiens ou méditerranéens qui faisaient la gloire des vins de l’île depuis l’Antiquité.