Yves Leccia, l’appel du devoir
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par Valentine Sled
Yves Leccia est de ces éternels insatisfaits qui sont aussi de grands auteurs. Le bruit court qu’il serait le meilleur vinificateur de l’île de Beauté. Les autres savent, mais lui n’écoute pas, concentré sur son devoir : retranscrire en bouteille l’essence de son terroir. L’homme est à la tête de son domaine depuis 2005. Huit hectares aux débuts de l’aventure, dix-huit aujourd’hui et bientôt deux de plus qu’il faudra planter. En bon chauvin, Leccia affectionne le niellucciu, dont la personnalité affirmée donne une colonne vertébrale à ses rouges. Fraîcheur et acidité les premières années, profondeur et tannins les années suivantes. Il apprivoise le biancu gentile, un cépage autochtone identitaire délaissé par les générations précédentes, pour s’inscrire dans un style différent. Il ne renie pas le muscat, emblème de la région, en fait des merveilles en assemblage. Le plus noble reste le vermentinu, « le plus grand cépage de Corse » selon lui, à la palette aromatique florale, vecteur idéal de terroir. Celui que lui offrent ses vignes est atypique, plutôt sur le schiste que sur le calcaire ou le granit que l’on retrouve partout ailleurs en Corse. Au-delà du sol, il y a la situation exceptionnelle en plein cœur de l’appellation patrimonio. À deux kilomètres de la mer et à flan de montagne, elle est à la fois préservée des embruns et soumise à des écarts de température qui développent les arômes et les tannins. Issue de la plus belle parcelle, située à 100 mètres d’altitude, à « la croisée des chemins », la cuvée E Croce incarne cet ADN. Les sols variés rendent l’uniformisation difficile. Yves cultive cette diversité pour obtenir de la complexité et la réponse est différente d’une année sur l’autre. On cherche souvent à gommer l’effet millésime en visant la régularité, lui cherche au contraire à l’entretenir : « C’est en s’adaptant à la matière première qu’on apprend réellement à vinifier ». À la différence des cuisiniers qui reprennent aussitôt une recette imparfaite, le vigneron doit attendre un an, avec un jeu de cartes différent.
En quête de pureté
Yves Leccia a l’humilité de ceux qui sont toujours dans la recherche. « C’est mon moteur, et j’arrêterai le jour où je serai fier. » Sa quête ? Retrouver l’identité, la typicité du terroir corse avec les cépages qui la traduisent le mieux. Il a fait le choix de sortir de l’appellation en 2022 pour revenir aux cépages autochtones plus résistants, absents des cahiers des charges. « Une hérésie quand on cherche des solutions face au réchauffement climatique. » Il mise, entre autres, sur le genovese, qui garde son acidité et sa fraîcheur malgré les fortes chaleurs. La vinification, il ne l’envisage qu’en cuve inox, pour retranscrire au mieux l’expression de la vigne. Il veut avant tout produire une boisson plaisante, sans esbroufe ni pirouette stylistique. Et pourtant, l’émotion est là, grâce à un vieillissement habilement maîtrisé. Il assimile le travail des contenants à la chirurgie esthétique « qui modifie la beauté naturelle ». Sa femme Sandrine, avec laquelle il travaille, a plaidé en faveur de l’élevage en barrique. Yves a cédé depuis peu et la cuvée Era Ora est élevée en demi-muids. Il les essaie désormais sur les blancs. Sa bien-aimée alsacienne bouillonne d’idées et voudrait même planter du riesling. Elle n’a pas encore obtenu gain de cause, mais cela ne devrait tarder. « Je ne peux rien lui refuser », affirme Yves, l’œil rieur et amoureux. « Un vigneron est comme un artiste peintre, il lui faut une palette fournie. » Il faut dire qu’Yves Leccia se donne les moyens d’avoir une latitude de travail intéressante. Réaliste résolu et cartésien incontestable, il ne veut pas entendre parler de vin nature. S’il travaille en bio depuis longtemps, il n’est pas encore convaincu par la biodynamie. Il accepte cependant de se prêter à l’exercice pour évaluer sa plus-value. Ses convictions sont établies et difficilement modulables. « Pourtant, je m’arrondis en vieillissant ! », nuance-t-il avec humour. Sacré personnage. Bourru au premier abord, légèrement cynique à certains égards, de la timidité sûrement, l’homme est profondément attachant. Pour le comprendre, il faut se rendre sur place. Regarder, respirer, sentir l’ampleur de l’endroit. C’est l’unique moyen de saisir la beauté de son intention.
Les mystères de la malolactique
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La fermentation malolactique (FML) n’est pas une fermentation au sens où nous l’entendons couramment. Elle n’est pas due à des levures qui créent de l’alcool à partir de sucres, mais à des bactéries qui transforment un acide, l’acide malique, en un autre, l’acide lactique, qui est moins acide. C’est donc une désacidification biologique. On la connaît depuis finalement assez peu de temps grâce à la thèse d’Emile Peynaud en 1946, fondateur de l’œnologie moderne avec ces travaux. Si cette FML est obligatoire pour les vins rouges dans la mesure où elle garantit au vin d’être stable dans le temps, en particulier d’un point de vue microbiologique, en même temps qu’elle lui apporte davantage de rondeur en bouche, elle est cependant optionnelle pour les vins blancs. Pour résumer grossièrement la situation en France, en matière de vinification des blancs, on évite la FML dans les vignobles du sud alors qu’on la recherche dans les secteurs septentrionaux, où les acidités sont plus marquées.
Alternative au soufre ?
Le vignoble des Charentes constitue pourtant une exception remarquable à cette situation binaire. Il permet surtout de comprendre que la FML n’a pas pour seul rôle d’équilibrer l’acidité du vin. En Charentes, les vins de base qui serviront à la distillation sont vinifiés et conservés sans soufre. Ils peuvent donc s’oxyder et produire ainsi ce que l’on appelle de l’éthanal. En l’absence d’antioxydant (les sulfites sont des antioxydants), l’oxygène de l’air réagit avec l’alcool (l’éthanol) et forme de l’éthanal (qui apparaît aussi pendant la fermentation alcoolique). Au-delà des arômes de pomme blette que sa présence provoque, l’éthanal dans un vin empêche celui-ci d’être distillé sous peine d’enrichir les eaux-de-vie en acétal, ce qui leur confère une odeur d’alcool à brûler. Seule solution possible : « faire la malo ». Car après avoir consommé l’acide malique (puis l’acide citrique), les bactéries lactiques dégradent l’éthanal jusqu’à le faire disparaître et, donc, permettre la distillation. Ainsi, cette autre propriété sous-estimée (mais pourtant cruciale) de la FML permet-elle, dans tous les vins, de limiter la dose de sulfites à employer. Autrement formulé, laisser le temps aux bactéries lactiques de consommer l’éthanal, c’est réduire drastiquement les doses de soufre. Un milligramme par litre d’éthanal rend inopérant 1,5 mg/l de soufre, ce qui est considérable. Une FML bien gérée évite d’avoir à sulfiter de façon importante. Victoire de la microbiologie sur la chimie.
Bactéries double-face
D’autres aspects sensoriels systématiquement négatifs sont liés à l’action des bactéries lactiques et expliquent, en partie, une certaine défiance historique des vignerons envers ces microorganismes. Maladie de l’amertume, maladie de la tourne, maladie de la graisse, production d’amines biogènes et, bien sûr, goûts de souris, provoqués par les bactéries lactiques associées aux levures brettanomyces en l’absence de protection des vins (manque de sulfites). La FML fait pourtant partie intégrante du procédé de vinification et permet d’obtenir des résultats sensoriels très intéressants quand elle est maîtrisée. Encore faut-il savoir lesquels on veut obtenir d’elle en fonction des conditions spécifiques propres à chaque cépage, chaque terroir, chaque millésime. Si la FML profite au chardonnay en lui permettant de gagner en gras et en complexité aromatique, elle agira différemment avec du sauvignon blanc dont l’aromatique subit sous l’effet de la malo des transformations radicales et peu appréciées, comme une perte de fraîcheur et de typicité aromatique.
Étudier toujours plus
En matière d’arômes d’ailleurs, les notes beurrées, lactées, « pain de mie » sont à juste titre associées à la réalisation de la FML. Mais leur intensité dépendra du profil du vin, de la bactérie à l’œuvre et des conditions d’élevage. Beaucoup de réactions au cours de la FML sont d’ailleurs largement méconnues. Divers travaux sont en cours afin de qualifier et quantifier l’impact aromatique des bactéries lactiques, en particulier sur les notes fruitées. Aussi, comment expliquer que les vins blancs pour lesquels la FML s’est déroulée en barrique voient leurs arômes boisés immédiatement mieux fondus ? Alors, faire ou ne pas faire cette FML ? Récemment, une troisième voie s’est ouverte. Elle consiste à faire ce que l’on appelle improprement une FML partielle. Il ne s’agit pas de faire partiellement la FML, mais plutôt d’assembler certains vins ayant fait leur malo à d’autres qui ne l’ont pas faite. C’est une fois de plus l’art humain de l’assemblage qui permet l’harmonisation de ces proportions de vins, dicté par un choix sensoriel et technique qui permet de « paramétrer » l’acidité des vins avec la plus fine précision et de décider, au final, pour le futur vin, du gain en gras, suavité, complexité tout en préservant fraîcheur aromatique et tension en bouche. Certes, la FML des vins blancs n’est pas obligatoire. Mais elle participe à l’élaboration des vins blancs de qualité et au génie des plus grands d’entre eux. Et elle continuera probablement à y participer grâce à ses nombreux apports sensoriels et même si de nombreux vignerons commencent à la bloquer, au moins en partie, afin de conserver de l’acide malique et un surcroît de fraîcheur. Reconnaissons qu’il est plutôt bienvenu dans le contexte actuel.
Généalogie de la pureté
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Columelle, agronome du Ie siècle, est-il le premier ampélographe de notre ère ? Le Romain déclare que la sagesse consiste « à conseiller de ne planter d’autres espèces de vignes que celles qui jouissent d’une juste réputation, de ne conserver que celles dont l’expérience aura confirmé les qualités […] si le pays est situé dans des conditions telles qu’elles engagent à planter des vignes de renom. Là où il n’y a rien ou peu de chose qui dicte cette détermination, il vaut mieux rechercher la fécondité ».
Ainsi, il y a deux mille ans, dès la naissance de l’ampélographie, la question se pose déjà des aptitudes des cépages, de leur adéquation au terroir et de leurs conséquences techniques et commerciales. Faut-il opter pour une production de qualité ? Ou faire le choix d’une production importante ? De nombreuses pages du livre III de son traité De re rustica sont consacrées à la description des divers cépages et de leurs caractères vitivinicoles. Parmi ceux qu’il évoque, on trouve les biturica, « des vignes qui, bien que de seconde classe, sont recommandables aussi par leur production et leur fécondité » et les allobrogicae qui « ne donnent plus hors de leur patrie qu’un vin sans agrément ». Il est possible que les premiers soient les ancêtres des cépages bordelais et les seconds des bourguignons.
Les choix du passé
À propos des Vitis allobrogica, Columelle signale que certains cépages autochtones semblent particulièrement bien adaptés aux conditions qui prévalent localement. Qu’est-ce qu’un cépage autochtone ? Il s’agit d’un cépage qui provient du lieu où il est cultivé. Or, comment attester de cette origine et la dater ? Columelle ne répond pas à ces questions. Il faut se référer à quelques auteurs du XIXe siècle qui donnent une vision de la situation préphylloxérique et attestent de la présence de cépages patrimoniaux dont ils décrivent les qualités. Victor Rendu est l’un d’entre eux. On le connaît pour Ampélographie française (éditions de 1854 et 1857). À propos des cépages qui font les vins blancs de la Gironde, il précise que « la culture des vignes blanches est à peu près la même dans toute l’étendue des Graves […]. Le sémillon et le sauvignon, mêlés à quelque peu de muscadelle, sont les seuls cépages employés ». Il ajoute que le sémillon occupe les deux tiers des terrains. À la même époque, William Franck, référence dans l’histoire récente de l’œnologie bordelaise, recense une dizaine de cépages blancs en Gironde, au premier rang desquels se retrouvent sauvignon, sémillon et muscadelle, accompagnés de quelques autres plants d’intérêt comme le prueras, le rocholin, ou encore le blanc verdot.
Les modes d’aujourd’hui
Le phylloxera, les règlementations en matière d’encépagement liées aux appellations d’origine contrôlée, l’évolution et les diktats des marché ont sans doute contribué à modifier la situation de l’encépagement du Bordelais. Le sémillon n’y est plus majoritaire. En 2020, il représentait seulement 31 % de l’encépagement contre 54 % pour le sauvignon blanc, 7 % pour la muscadelle, 4 % pour le sauvignon gris et 4 % pour tous les autres. Une situation relativement récente puisqu’en 1958, Bordeaux comptait encore 25 000 hectares de sémillon pour 3 000 de sauvignon. Ce que nous observons à l’échelle de l’encépagement des blancs bordelais est également vrai au niveau national. Jean-Michel Boursiquot, éminent spécialiste en matière d’ampélographie, constate qu’en 1958 les vingt variétés (rouges et blanches) les plus cultivées dans le monde représentaient 53 % du vignoble, tous cépages confondus. Cette proportion atteignait 88 % en 2008. Vingt variétés parmi plusieurs milliers.
Dans les années 1950, Bordeaux produit, en volume, majoritairement des vins blancs. Quels facteurs ont contribué à expliquer la situation actuelle ? Crise économique, perte d’intérêt pour les vins blancs, début d’un profond désamour des consommateurs pour les vins liquoreux (où brille le sémillon, même s’il est utilement complété par du sauvignon blanc) : le vignoble n’est plus adapté. Il y a trois siècles, le philosophe Montesquieu, alors vigneron bordelais, avait lancé cet avertissement : « La Guyenne doit fournir à l’étranger différentes sortes de vins, dépendantes de la diversité de ses terroirs. Or, le goût des étrangers varie continuellement, et à tel point qu’il n’y a pas une seule espèce de vin qui fût à la mode il y a vingt ans qui le soit encore aujourd’hui ; au lieu que les vins qui étaient pour lors au rebut sont à présent très estimés. Il faut donc suivre ce goût inconstant, planter ou arracher en conformité ». En même temps qu’ils se désintéressent des vins liquoreux, les consommateurs plébiscitent les vins blancs secs, acidulés et aromatiques. Le sauvignon blanc tire son épingle du jeu. Trop, peut-être.
Fucking sauvignon
Le succès moderne du cépage est un exemple assez unique d’un moment de concordance spectaculaire entre attentes des consommateurs (moins de sucres résiduels, plus de vivacité et d’immédiateté des arômes), exigences commerciales et avancées scientifiques en matière de recherche œnologique et agronomique. L’arôme du sauvignon est longtemps resté mystérieux et sans doute l’est-il encore en partie. En 1998, à Bordeaux, Takatoshi Tominaga soutient une thèse de doctorat dans laquelle il met en évidence l’importance des thiols dans les arômes du sauvignon blanc. Il démontre, en outre, l’origine variétale de leurs précurseurs inodores et le rôle déterminant des levures fermentaires dans la révélation de ces arômes. Rapidement, l’approche agronomique vise à accumuler ces précurseurs aromatiques. S’ensuit une déferlante de vins blancs secs aux arômes caricaturaux dont la dominante tient parfois plus de l’asperge que du fruit exotique. À Sancerre, l’expression du sauvignon blanc est le plus souvent bien différente : alors qu’il y a des thiols dans le sauvignon, ils s’expriment différemment dans les deux vignobles. Démonstration magistrale des effets du sol, du climat et de l’homme avec ses choix tant viticoles qu’œnologiques. Oui, ce fameux terroir ! Bordeaux, à quelques fâcheuses exceptions près, a retrouvé plus de raison. On trouve dans ce vignoble de plus en plus de beaux sauvignons, mais aussi de superbes blancs secs issus de l’association de sémillon (majoritaire) et de sauvignon blanc. Cet assemblage sémillon-sauvignon, dans cet ordre de proportion, n’est pas qu’un reliquat du passé.
Les tendances de demain
Quant au futur, on peut éventuellement s’en faire une idée avec le projet de création d’une appellation d’origine contrôlée pour les vins blancs du Médoc. En effet, le cahier des charges proposé par l’organisme de défense et de gestion (ODG) de l’appellation prévoit d’intégrer des cépages principaux traditionnels (sauvignon blanc et gris, muscadelle, sémillon), des cépages accessoires (chenin, viognier, chardonnay et gros manseng) dont le total ne devra pas excéder 15 % de l’encépagement et de l’assemblage, ainsi que des variétés d’intérêt à fin d’adaptation (Vifa) comme le floréal, le sauvignac, le souvignier gris, l’alvarinho et le liliorila, dans la limite de 5 % de l’encépagement et de l’assemblage. On trouve par ailleurs à Bordeaux des chardonnays (et quelques rieslings) qui font parler d’eux, en bien. On pourra néanmoins regretter que le cahier des charges de cette future appellation qui tente de préserver le passé en s’adaptant au présent et en préparant l’avenir ne prévoie pas le retour de cépages autochtones oubliés. Certes, aux dires de leurs contemporains qui ont cherché à élaborer des vins de qualité avec ces cépages, on a bien fait de les oublier. Néanmoins certains de ces disparus pourraient peut-être, dans les conditions agronomiques et économiques actuelles, faire preuve d’un regain d’intérêt. Quoi qu’il en soit, la pertinence des orientations en matière de cépages de ce cahier des charges devrait se démontrer et non se décréter.
Les défauts de l’authenticité
Quels que soient les cépages et les terroirs, un choix ad hoc suffit-il à garantir l’obtention d’un vin de qualité ? Rien n’est moins sûr. Aujourd’hui, la mode est à l’authenticité. Ce qui, en matière de vins, peut se traduire par le retour aux terroirs et aux cépages oubliés, mais aussi par l’abandon de la chimie. Au chai, la première victime de cette injonction est le soufre qui donne les fameux sulfites. Bien sûr, il y a eu des abus à leur propos, en particulier dans les blancs bordelais. Qui a goûté une fois dans sa vie un piètre liquoreux muté aux sulfites en garde fatalement un souvenir aussi précis que douloureux. Le soufre a, pour les vins blancs, un rôle essentiel : protéger de l’oxydation ainsi que des micro-organismes. Il remplit cette mission encore mieux si le vin est acide. Or, les vins le sont de moins en moins et les doses de soufre sont en constante diminution, voire inexistantes. À quoi bon revenir aux cépages oubliés si c’est pour laisser les vins en proie à l’oxydation prématurée ou aux goûts de souris ? Ces faux goûts et ces déviances participent-ils à la juste expression des relations entre le cépage, le terroir et les usages loyaux et constants, quels qu’ils soient ?
Rappelons-le : le goût de souris est un défaut majeur, d’origine microbiologique, et un masque absolu du vin. Le vieillissement prématuré des vins blancs entraîne quant à lui pertes de fraîcheur et de typicité. Il est lié à une oxydation prématurée – le soufre est un anti-oxydant, mais ce n’est pas le seul. Elle dépend des caractéristiques du vin, différentes selon la climatologie du millésime et les choix ou non-choix d’itinéraire technique déterminants dans la constitution du potentiel antioxydant des vins. Si l’oxygène est indispensable à notre vie, il l’est aussi à la qualité et la tenue des vins. Il en faut, ni trop ni trop peu. Au premier rang des antioxydants naturels on trouve l’élevage sur lies (et le glutathion, cher à Denis Dubourdieu). La maturité aromatique varie selon les caractéristiques de chaque cépage et les conditions du millésime. Au vu du contexte climatique défavorable aux acidités des vins et au regard des évolutions du goût des consommateurs, il est sans doute urgent d’étudier une notion de « maturité antioxydante ». L’association des cépages et des terroirs permet la naissance de vins dont arômes et saveurs signent l’origine et la qualité, de façon durable et identifiable par les consommateurs avertis. L’humanité a acquis et perpétué ces savoir-faire, ne les abandonnons pas.
Le rosé entre en scène
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Château de Pibarnon, Nuances 2020, bandol
Installé sur les hauteurs de Bandol, Éric de Saint Victor a fait du mourvèdre la signature du château de Pibarnon. Les vignes forment un sublime amphithéâtre regardant la Méditerranée. Les 52 hectares nichés entre vallons et restanques célèbrent ce cépage civilisé, voué au temps et à la grande expression. Ce rosé 2020 né sur une seule parcelle tardive a été élevé en partie en foudre de 30 hectolitres pour lui apporter l’oxygène nécessaire et en jarre de grès neutre pour lui donner de l’éclat, de la tension et de la pureté. Exquis et coloré, taillé pour la gastronomie, il offre des notes de fruits rouges, de fruits des bois, complétées par une pointe d’agrume au nez. La bouche est ample, fine et savoureuse, superbe d’expression.
33 euros
Domaine de Terrebrune 2023, bandol
Le terroir très particulier de Terrebrune lui a toujours donné une aura particulière au sein de l’appellation bandol. Avec ses sols argilo-calcaires rouges du Trias, le goût de son vin affiche une personnalité unique, marquée par une grande tension en bouche et des notes minérales. Assemblage issu d’une sélection stricte de mourvèdre, de grenache et de cinsault, c’est avec un peu de garde, parfois même plus de dix ans, que ce grand rosé révèle tout son génie, mêlant avec beaucoup d’élégance des notes finement empyreumatiques avec des arômes fruités plein de distinction.
23 euros
Château de La Grille 2023, chinon
Les chinons rosés sont une rareté en soi. S’il est vrai que le cabernet franc n’est pas toujours le cépage le plus adapté en matière de rosé, celui-ci trouve entre les mains expérimentées et talentueuses de Jean-Martin Dutour et de Christophe Baudry, qui veillent sur la propriété, une expression gourmande et généreuse, à la fois expressive et très compréhensible. C’est un rosé un peu à part dans l’univers de la couleur et il plaira à coup sûr à l’amateur pointu par sa personnalité.
12 euros
Château Bas 2023, coteaux-d’aix-en-provence
On aurait tort de ne pas s’intéresser à cette belle propriété située au cœur de l’appellation coteaux-d’aix-en-provence. Elle appartient à la famille Castéja, incontournable à Bordeaux pour ses grands crus classés et pour ses activités de négociant. Le lieu, magique et caché, produit des vins de belle facture, toujours irréprochables et de plus en plus définis sur le plan aromatique. Ce rosé sur la finesse confirme cette tendance et invite à s’intéresser de près à l’ensemble de la production, dans les trois couleurs. Très bon rapport qualité-prix.
12 euros
Roseblood d’Estoublon 2023, côteaux-varois-en-provence
Créer des marques de vin rosé fortes est devenue une spécialité des plus beaux domaines en Provence. Ce n’est pourtant pas si simple et y parvenir demande de s’appuyer sur une histoire solide, une expertise irréprochable et un vrai talent en matière de distribution. Le château d’Estoublon réunissait ces trois qualités avant de se lancer à la conquête de nouveaux horizons avec son rosé Roseblood. Il revendique pour la première fois l’appellation coteaux-varois-en-provence, avec un vin affirmé, toujours aussi facile et agréable à boire en raison de sa bonne fraîcheur et de ses arômes fin et précis.
17,50 euros
Domaine Tariquet, Contradiction 2023, IGP côtes-de-gascogne
Nous raconterons bientôt à quel point la famille Grassa, propriétaire du domaine Tariquet depuis 1912, a réalisé de grades choses pour la filière des vins et des spiritueux en France, en particulier dans le Sud-Ouest. En attendant, nous avons pris beaucoup de plaisir à déguster ce rosé étonnant élaboré à partir de marselan, cépage encore assez méconnu qui résulte d’un croisement entre cabernet-sauvignon et grenache noir. Rare en version rosé, il donne un vin à la robe soutenue, fruité et expressif, avec des touches intenses de poivre. Structuré en bouche par un petit tannin sans rusticité, il accompagnera bien quelques grillades au feu de bois. Parfait pour l’été.
9 euros
Amista 2023, côtes-de-provence
En occitan, amista veut dire amitié. Un jour, Ariane de Rothschild et Valérie Rousselle, amies dans la vie, ont eu l’idée de créer un rosé. Elaboré sur le terroir du château Roubine, cru classé parmi les plus célèbre de Provence, ce vin de belle facture issu de vignes conduites en agriculture biologique séduit par son premier nez intense, sur les notes de pêches blanches et d’agrumes. L’amateur qui envisage de le servir tout au long du repas appréciera sa tension en bouche et son élégance aromatique en retenue, qui permettra de l’accorder avec de nombreuses cuisines du soleil sans jamais les dominer.
22 euros
Caves d’Esclans, Whispering Angel 2023, côtes-de-provence
Mais comment Sacha Lichine a-t-il réussi à propulser ce rosé dans l’univers très fermé des marques de vins les plus performantes et reconnues dans le monde ? En plus d’une détermination de tous les instants pour installer une distribution de grande qualité, il s’est appuyé sur un grand savoir-faire en matière de vinification, avec pour seul objectif de proposer un vin toujours bien fait, constant et régulier d’une année sur l’autre, précis et élégant, facilement appréciable. Il n’existe pas de succès similaire et le vin continue de gagner en personnalité.
19,50 euros
Château Malherbe, Pointe du Diable 2023, côtes-de-provence
Le vignoble de 25 hectares, certifié Demeter depuis 2021, de ce domaine magnifiquement situé – c’est l’ancienne ferme du fort de Brégançon – se divise en deux grands ensembles. Une partie est située sur un coteau spectaculaire qui domine le littoral, l’autre longe la côte, située en contrebas, exposée au vents marins de la Méditerranée. C’est sur cette dernière que la famille Ferrari élabore ce rosé pâle et brillant, précis dans ses notes d’agrumes et de fruits blancs gourmands, qui se distingue par une finale subtile, minérale et saline. Il ne faut pas le servir trop frais pour profiter de sa complexité.
26,50 euros
Château Sainte-Roseline, Lampe de Méduse 2023, côtes-de-provence
Avec sa forme étonnante, facilement reconnaissable, ce rosé s’est imposé peu à peu comme le porte-étendard du château Sainte-Roseline, superbe propriété de la famille Bertin récompensée en 2021 du label Vignerons Engagés pour son implication en matière de RSE. Sélection stricte des meilleurs raisins du domaine, cette cuvée s’appuie sur un assemblage complexe qui réunit harmonieusement grenache, cinsault, tibouren, mourvèdre et syrah. Un peu de bâtonnage au moment de l’élevage sur lies en cuve lui donne ce gras en bouche particulier, prisé des amateurs de vins blancs. Elle n’oublie évidemment par d’afficher fraîcheur et élégance, les deux piliers des rosés de Provence.
17,90 euros
Clos de Caille 2023, côtes-de-provence
À peine plus de trente kilomètres séparent la Méditerranée de ce domaine situé à Entrecasteaux, remarquable par sa situation et par son histoire puisqu’il fut fondé par les moines cisterciens de l’abbaye du Thoronet en 1160. Assemblage complexe dominé par le grenache, ce beau rosé revendique une forte identité de terroir. Cela s’exprime par beaucoup d’intensité aromatique, de la profondeur en bouche, avec ce qu’il faut de gras pour accompagner sans mal une gastronomie de la mer. Il ne laisse pas indifférent.
27 euros
Domaine de l’Ile 2023, côtes-de-provence
L’île en question est celle de Porquerolles et le domaine une sorte de paradis niché au cœur de ce petit bout de terre bordé par la Méditerranée. Propriété de la famille Wertheimer, repris en main par des équipes techniques de grande qualité, ce vignoble historique donne des vins blancs et rosés délicats, capable de beaucoup de finesse et de tension. Porté par une note saline et une pointe d’amertume qui donne, ce rosé savoureux affiche une dimension verticale étonnante. Finale aérienne et subtile.
22 euros
Domaines Ott, Château de Selle 2023, côtes-de-provence
Situé à Taradeau, Selle fut la première propriété acquise par la famille Ott en Provence, au début du XXe siècle. Elle est rapidement le vaisseau amiral des activités de la famille dans ses deux autres domaines (Clos Mireille et château de Romassan). C’est Jean-François Ott qui a aujourd’hui la responsabilité de continuer cet héritage en maintenant le niveau de qualité de l’un des fers de lance du rosé en France et dans le monde. Ce 2023 témoigne d’ailleurs d’une certaine inflexion de style, vers davantage de vinosité et de texture, sans rien perdre de ce qui faisait le charme de ce rosé de terroir, délicatement fruité, minéral et de bonne longueur.
35 euros
M de Minuty 2023 (édition limitée), côtes-de-provence
La marque de rosé la plus célèbre de Provence a proposé à l’illustratrice et céramiste Henriette Arcelin d’imaginer un habillage pour son iconique cuvée M. L’artiste a choisi des motifs solaires et festifs qui ne sont pas sans rappeler, au fond, ce que l’on attend de ce rosé largement distribué. Une majorité de grenache dans l’assemblage lui donne des arômes complexes et une certaine suavité en bouche. Rond et croquant, il ne se départit cependant jamais de cet attribut qui a fait son succès, à savoir cette vivacité remarquable qui lui donne une grande buvabilité. En bref, c’est une définition du rosé d’apéritif.
16 euros
Figuière, Confidentielle 2022, côtes-de-provence La Londe
Cette propriété parmi les plus célèbres de Provence appartient à la famille Combard qui prend soin d’un large vignoble idéalement situé au pied du massif des Maures, en bordure maritime, sur des sols schisteux. Elle signe ce rosé ambitieux, assemblage de cinsault, grenache et mourvèdre, élégant par ses notes minérales, mais aussi gourmand par ses saveurs délicatement fruitées et sa large matière. Déjà délicieux, il gagnera à être attendu encore un ou deux ans, comme les nombreux rosés qui se destinent à la table.
26,60 euros
Vignobles Lorgeril, Ô de Rosé 2023, languedoc
Même dans une nouvelle bouteille sérigraphiée, le rosé signature de la famille Lorgeril n’a rien perdu des qualités qui font son succès sur les tables d’été. Issu principalement de parcelles situées le plus souvent altitude, cet assemblage dominé par le grenache (60 %), complété par de la syrah et une touche de viognier, donne un rosé précis et digeste, plaisant par ses saveurs de fruits blancs et jaunes (pamplemousse). On sent beaucoup de savoir-faire et une vraie maîtrise dans la vinification, étape cruciale dans l’élaboration des rosés élégants et subtils.
9,90 euros
Domaine de La Bégude, Thyrsus 2022, IGP méditerranée
C’est sans doute l’un des plus beaux domaines de France. Avec sa situation incroyable dans les hauteurs de l’appellation bandol, niché dans les contreforts boisés et faisant face à la Méditerranée, le vignoble de La Bégude est une mosaïque de petites parcelles qui ont chacune leurs spécificités de terroir. En plus d’élaborer des grands bandols dans les trois couleurs, le domaine propose ce rosé 100 % mourvèdre élevé quatre mois en amphores et élaboré selon des principes de vinification nature. Couleur soutenue, grande expression aromatique de fruits noirs et rouges, fines touches d’épices, parfums de garrigue, il régale par sa bouche éclatante de fruits et de gourmandise. C’est une autre manière de lire les terroirs bandolais, avec un vin plus immédiatement appréciable.
28 euros
Chêne Bleu, Le Rosé 2023, IGP vaucluse
Dans les hauteurs de Crestet, au cœur des contreforts du mont Ventoux qui domine le paysage, les Rollet ont créé l’un des domaines les plus extraordinaires du sud de la vallée du Rhône. Sur un vignoble tenu avec soin et avec des installations permettant d’assurer une vinification extrêmement précise, ils élaborent ce rosé de garde étonnant et toujours réussi. Contrairement à nombre de rosés, celui-ci s’appuie sur un assemblage issu de vignes assez âgées de grenache, cinsault et syrah, ce qui lui confère une certaine concentration et une intensité aromatique capable de tenir tête à une gastronomie distinguée. À boire dès à présent, mais bien meilleur avec quelques années de garde.
23 euros
Champagne Alexandre Bonnet, La Forêt 2020, rosé-des-riceys
Une fois de plus, nous ne résistons pas à recommander ce que propose ce domaine situé dans le joli village des Riceys, aux portes de la Bourgogne. La commune est d’ailleurs la seule de la Champagne viticole à pouvoir revendiquer trois appellations différentes (champagne, coteaux-champenois et rosé-des-riceys). Dans ce secteur, sur les sols marneux-calcaires du Kimméridgien, on peut ainsi produire à partir de pinot noir ce rosé de macération unique en son genre, très coloré et intense dans ses parfums, subtil et raffiné grâce à sa texture en bouche qui fait penser tantôt à celle d’un rouge, tantôt à celle d’un blanc. Production confidentielle, avec seulement 3 572 bouteilles produites, ce rosé est un vin à part que l’on pourra garder de nombreuses années en cave. Pour les plus impatients, un passage en carafe permettra déjà d’en profiter.
40 euros
Champagne Bollinger, La Grande Année 2015
Chez Bollinger, la sortie d’un grande-année est toujours un évènement qui présente une nouvelle version de sa cuvée de prestige en blanc et en rosé, ici dans le millésime 2015. Onze secteurs différents (dont 81 % sont classés en grand cru) entrent dans l’assemblage de ce rosé d’une grande intensité aromatique, extrêmement vineux, plein et profond en bouche, singulier par sa texture soyeuse et la présence d’une certaine forme de gras en bouche qui lui donne beaucoup de style et d’allonge. L’ensemble finit sur des notes d’agrumes et de zeste d’orange.
290 euros
Champagne Drappier, Grande Sendrée 2010
Installée à Urville, au cœur de la côte des Bar depuis 1808, la famille Drappier est très attachée à respecter son environnement et l’identité des cépages qui expriment ses sols issus du Jurassique kimméridgien. Elle propose des assemblages méticuleux, précis et sincères, à l’image de cette cuvée de prestige. Si un peu de chardonnay complète ici le pinot noir, cas unique parmi les champagnes de la maison, on retrouve dans ce rosé ce qui fait la force du style Drappier, c’est-à-dire de la vinosité, de la profondeur et de la rondeur sans jamais se départir de cette tension qui vient tout rééquilibrer. Délicieux aujourd’hui et grandiose après quelques années de garde.
90 euros
Champagne Nicolas Feuillatte, Réserve Exclusive Rosé
Dans toutes ses cuvée et à tous les niveaux de la gamme, un champagne Nicolas Feuillatte répond toujours à ce que l’on attend, presque de manière universelle, d’un bon champagne. Entre fraîcheur apéritive et intensité vineuse, ce rosé séduira le plus grand nombre par ses petites notes de fruits rouges, ses arômes gourmands et éclatants de fraise, tout à fait dans un esprit festif, avec ce caractère digeste qui fait qu’une bouteille de ce délicieux rosé ne reste pas longtemps pleine. C’est le propre d’un bon champagne.
38 euros
Champagne Henriot, Rosé 2015
« Une création aux caractères robustes qui s’expriment avec éloquence », voilà comment Alice Tétienne, la chef de cave de la maison Henriot, décrit ce superbe rosé élaboré à partir de pinot noir et de chardonnay exclusivement en provenance de vignobles premiers et grands crus. Un long vieillissement en cave, supérieur à huit ans, lui permet d’afficher de la complexité aromatique, avec des notes intenses d’oranges et d’épices. La structure en bouche qui s’appuie sur des tannins d’une grande finesse en fait un vin de gastronomie plus qu’un champagne apéritif. Grande réussite qui force notre admiration.
83 euros
Champagne Laurent-Perrier, Alexandra 2012
Comment décrire le goût unique de cette cuvée de prestige ? Hélas encore trop méconnue des amateurs de grands champagnes, elle réunit pourtant tout le savoir-faire de la maison Laurent-Perrier qui assemble les meilleurs parcelles pour l’élaborer. Elle réussit ainsi à exprimer fidèlement le splendide millésime avec cette version riche, intense, généreuse mais aussi fine et délicate. La première gorgée d’un alexandra inscrit son goût dans la mémoire de qui en profite.
390 euros
Champagne Mandois, Victor 2012
Cette vieille maison familiale continue de se réveiller, portée par une jeune équipe dynamique et talentueuse qui accompagne les ambitions de Claude Mandois. Plutôt spécialiste des blancs de blancs par sa situation proche de la côte des Blancs, elle propose aussi quelques rosés de belle facture comme cette cuvée Victor. Ce millésime 2012, superbe en Champagne, s’appuie sur un assemblage largement dominé par le chardonnay (90 %), ce qui lui donne une texture assez profonde avec un fruité frais et élégant ainsi que de subtiles notes de noisettes grillées. Ceux qui aiment explorer de nouveaux territoires du goût pourront même l’essayer avec une viande, avec une sauce un peu épicée.
67 euros
Champagne Philipponnat, Royal Réserve Rosé
Cinq siècles plus tard et Philipponnat poursuit son histoire familiale en Champagne. Installée à Mareuil-sur-Aÿ, la maison n’a cessé de progresser sous la direction de Charles Philipponnat. Le vignoble est conduit en respectant les gestes essentiels pour le préserver. En cave, les fûts et les foudres donnent le ton et la signature du style complexe, riche et précis à l’ensemble des cuvées. Assemblage dominé par les cépages noirs, spécialité de la maison, ce champagne aux saveurs délicates de petits fruits rouges d’une gourmandise évidente est une référence de la couleur.
67 euros
Champagne Veuve Clicquot, La Grande Dame 2015
Chez Veuve Clicquot, le champagne rosé n’est pas une création récente. Dès 1818, madame Clicquot avait déjà eu cette idée pionnière d’associer à ses vins blancs un vin rouge unique issu de la parcelle historique Clos Colin, située à Bouzy, secteur réputé pour l’élaboration des vins rouges. Avec cette nouvelle version de sa cuvée de prestige, issue d’un millésime chaud, la maison réaffirme son savoir-faire en matière d’expression des grands pinots noirs qui trouvent dans ce rosé une dimension très verticale, inimitable et incroyablement profonde. Plus qu’un grand champagne, c’est un immense vin.
250 euros
L’Oregon, une nouvelle frontière
Retrouvez cet article en intégralité dans En Magnum #36. Vous pouvez l’acheter en kiosque, sur notre site ici, ou sur cafeyn.co.
Dans la conquête de l’Ouest, la Californie et l’Oregon, deux états acquis ensemble par les États-Unis au milieu du XIXe siècle, ont participé au mythe national américain. Dans la conquête du vin en Amérique, les deux vastes contrées côtières du Pacifique ont vu à la même époque des pionniers planter les premières vignes. Un siècle plus tard, à l’heure de leur véritable développement, elles ont suivi des routes singulières, que des Français ont souvent croisées. Dès les années 1960, c’est un Bourguignon qui y fait figure de pionnier. Jean-Claude Boisset et aujourd’hui son fils Jean-Charles sont devenus des acteurs majeurs en Napa et en Sonoma. Ensuite, le vignoble californien a surtout attiré des Bordelais, tel Philippe de Rothschild à Opus One ou les Cathiard au domaine de Rutherford. François Pinault y a aussi fait une incursion en rachetant il y a dix ans Eisele Vineyard, dans la Napa. Plus récemment, le propriétaire du château Latour et du Clos de Tart est devenu celui de Beaux Frères en Oregon, domaine qui faisait partie de la corbeille lors du mariage d’Artémis Domaines avec Maisons et Domaines Henriot. Entre le bucolique état rural souvent dépeint comme la Bourgogne du vin américain et le vignoble bourguignon, le cousinage est étroit. Ils ont en commun les cépages, le pinot noir surtout, et une taille modeste. Avec 18 000 hectares, l’Oregon représente 1 % des vins produits aux États-Unis, un lilliputien face à l’ogre californien (85 %). Le voisin de la côte Ouest, Washington State, pèse trois fois plus et même l’État de New York, à l’autre bout du pays, le double. « Pourtant, nos vins et spécialement ceux de la Willamette Valley sont au cœur de beaucoup de conversations à l’heure actuelle », affirme la Beaunoise Caroline Bergström qui s’y est installée il y a vingt-cinq ans pour mener avec son mari un domaine très coté aujourd’hui.
Des vignerons formés en Bourgogne
L’intérêt pour l’Oregon a d’abord été affaire de curiosité, puis d’engouement au point que l’offre de vins ne suffit plus à satisfaire la demande. Une situation qui le rapproche encore, à sa mesure, de la Bourgogne. À proximité de la capitale Portland, dans les locaux de l’Oregon Wine Board, de grandes cartes de la côte de Nuits et de la côte de Beaune confirment l’inspiration. On y vante une « communauté d’artisans producteurs dédiés à la qualité » dont la moitié du millier de vignerons actuels serait passée par la Bourgogne : études à Dijon ou à Beaune, stage pour l’apprentissage des meilleures pratiques ou simplement accueil dans des domaines de la région. Véronique Drouhin a entrepris le chemin inverse en 1987, dans les pas de son père Robert et son diplôme d’œnologie en poche. C’était encore le temps des défricheurs, même si quelques excentriques avaient relancé la viticulture dès les années 1960. L’appellation Willamette Valley vient tout juste d’être établie, une soixantaine de domaines seulement sont en activité et Véronique va réaliser le premier millésime (1988) des Drouhin en Oregon. De fait, le premier d’inspiration française. « Il fallait y croire à l’époque, les Bourguignons sont arrivés beaucoup plus tard », se remémore-t-elle avec la fierté légitime des précurseurs. Trente-six ans plus tard, elle fait toujours trois séjours par an en Oregon et prépare la suite : « Mes enfants sont venus plusieurs fois, mais la prochaine génération ne semble pas encore séduite. Nous resterons propriétaires et nous rechercherons quelqu’un d’ici cinq ans, Français ou Américain, qui comprend notre philosophie et notre style de vins ». David Millman dirige au quotidien les opérations des différentes entités Drouhin, qui n’ont cessé de croître et dépassent largement le million de bouteilles produites à l’année. Son regard d’Américain sur ces Français est intéressant : « C’est vrai qu’il y a ici des similitudes avec la Bourgogne, que le pinot noir y a toute sa place, mais les sols et le climat sont en fait très différents. La famille Drouhin a surtout aimé la communauté des vignerons de l’Oregon, faite de domaines à taille humaine avec une forte identité et un esprit collaboratif, une communauté à laquelle elle a voulu appartenir ». Lui aussi a adopté cette région en quittant au début des années 2000 Los Angeles et l’industrie musicale, sa première vie. C’est le producteur Jay Boberg, fondateur du label IRS puis patron de MCA Records, grand amateur de vin, qui l’y a poussé. Ce dernier se trouve être un ami de trente ans de Jean-Nicolas Méo, depuis une rencontre fortuite à l’université de Pennsylvanie. « J’y étudiais et Jay passait par Philadelphie pour un concert », raconte le propriétaire du domaine Méo-Camuzet à Vosne-Romanée. « Il était déjà intéressé par le vin, mais c’est bien plus tard que nous avons concrétisé le projet Nicolas-Jay. »
Un modèle de vente directe
En 2011, les deux hommes se décident à explorer la Willamette Valley avec l’intention de sourcer l’achat de raisins sur les meilleures propriétés. En goûtant un jour les vins de Bishop Creek, ils craquent et rachètent le vignoble. Ils s’agrandissent en 2019 dans les Dundee Hills, le secteur le plus prisé, pour planter et bâtir des installations techniques. Une coquette maison de bois, ancienne étable au creux d’un vallon transformée avec goût en salle de dégustation, accueille les visiteurs. « L’œnotourisme, accompagné d’un wine club, c’est la clé ici aussi », assure Jean-Nicolas Méo. « On doit prendre de la Californie pour la qualité des infrastructures, mais proposer une expérience différente, qui peut ressembler là-bas à Las Vegas. Le journal USA Today a classé l’été dernier notre tasting room dans le Top 10 national pour son côté intimiste. » La visite (sur réservation) est souvent le préalable à l’adhésion au wine club. Un modèle de vente directe recherché pour contourner le coûteux système de distribution américain. Depuis son ouverture en 2021, celui du domaine Nicolas-Jay, baptisé The Confrérie, a recruté plus de 600 membres avec deux propositions : Premier cru à 1 000 dollars et Grand cru à 2 000 dollars pour une ou deux caisses de vins par an. L’objectif est fixé à 1 500 adhérents, le niveau moyen en Oregon, quand la Californie dépasse souvent les 3 000. « Aujourd’hui, le DTC ou direct to consumers représente 40 % de nos volumes. Autant que la restauration et un réseau sélectif de cavistes. Les 20 % restants vont à l’export », précise Jean-Nicolas Méo. Au domaine Beaux Frères, le même sens de l’accueil et du commerce cohabite avec une rusticité plus affirmée encore. Créé en 1986 dans les Chehalem Mountains par le critique Robert Parker et son beau-frère Michael G. Etzel, et désormais propriété de François Pinault, l’endroit est resté dans son jus. Son ambiance de ranch décontracté a participé, autant que le pedigree de ses fondateurs, à la réputation de ses vins qui figurent parmi les plus recherchés et les plus onéreux (entre 100 et 200 dollars la bouteille). « Nos cinq mille visiteurs ont souvent goûté pour la première fois nos vins dans de grands restaurants, ils sont surpris quand ils découvrent le lieu. Et ceux qui reviennent nous disent que rien n’a changé depuis dix ans. Dans dix ans, cela n’aura pas changé davantage », sourit Jillian Bradshaw, la responsable des ventes et du marketing. Artémis Domaines ne devrait pas toucher à un ADN qui a fait le succès de Beaux Frères : « La même approche sera poursuivie ici, pas de tapis rouge mais de l’authenticité ». Le travail y est bien fait, en bio et biodynamie, avec pépinière, greffage à demeure et sélection massale pour les dernières plantations de 6,5 hectares.
Pas tout à fait la Bourgogne
Cette combinaison de respect des meilleures pratiques culturales, de modestie dans la définition des vins, de solidarité communautaire et d’accueil bienveillant fait la singularité séduisante de l’Oregon dans le paysage américain. « Notre éducation bourguignonne a souvent guidé notre approche de la viticulture et du travail en cave, mais notre but est de façonner des vins qui représentent bien notre région », précise Caroline Bergström, à la tête de 28 hectares avec son mari Josh, qu’elle a rencontré à Beaune en 1998 alors que celui-ci était venu y étudier. « Nous nous sommes installés dans la Willamette Valley dès l’année suivante », se souvient-elle. « Nous représentons la troisième vague de vignerons et nous avons été conseillés au fil des années par nos voisins. Cet esprit de collaboration est très typique de l’Oregon. » Bergström Wines occupe une place enviée aujourd’hui, en pointe sur la viticulture biodynamique et régénérative, avec une affinité pour le chardonnay : « Josh prêche depuis des années qu’il est aussi important que le pinot noir. Notre nom est peut-être plus connu pour nos chardonnays, qui ne représentent que 20 % de la production ». Aventure individuelle ou projet d’envergure, ce constat est de plus en plus partagé. « Nous sommes persuadés qu’il y a beaucoup de développements possibles au-delà du pinot noir », assure Thibault Gagey, le directeur général de Louis Jadot, à l’origine en 2013 de la première incursion hors de son territoire de la grande maison beaunoise. « Quand nous avons visité Résonance Vineyard avec Jacques Lardière à l’époque, un endroit unique avec huit hectares de vignes en franc de pied, nous avons senti tout de suite ce sens du lieu très important en Bourgogne. » Agrandie depuis avec le bien nommé vignoble Jolis Monts, la propriété est restée splendide : des vignes en amphithéâtre, une colline boisée et au sommet, une grange chic pour l’accueil des visiteurs. Guillaume Large en assure la direction sur place. Originaire du Mâconnais, il en retrouve les paysages vallonnés. « Cela fait partie des similitudes avec la Bourgogne, mais les différences dominent », précise-t-il. « Les sols sont plus jeunes ici, la saison sèche commence dès le mois de mai. Il y a peu de pression des maladies, de l’oïdium seulement. Enfin, nous n’avons pas les mêmes densités et les mêmes surfaces foliaires. »
Le chardonnay réinventé
Avec des acquisitions en Dundee Hills et Eola-Amity Hills, la maison Jadot a étendu son emprise sur 56 hectares dont 28 % de chardonnay, cultivés en bio, avec un potentiel supplémentaire de 40 hectares. Ce qui n’empêche pas l’achat de raisins et l’expérimentation à petite échelle : une parcelle d’un demi-hectare a été plantée en franc de pied et haute densité. « C’est un projet que nous avons lancé en 2020 dans l’idée d’en faire une sorte de clos », explique le directeur. « Nous voulons être sûrs de ce que la vigne va donner, mais l’objectif serait de réaliser une cuvée haut de gamme. » Encore neuf sur la carte de l’Oregon, le domaine est entré à la neuvième place du Top 100 des vins de l’année du Wine Spectator avec son pinot noir Résonance 2021. Son prix, 40 dollars, est très abordable même si les autres références restent dans la moyenne locale élevée. « En dix ans, le vignoble a gagné en notoriété et réputation », insiste Thibault Gagey. « Et les Américains sont prêts à payer pour des bons vins. » La production de l’Oregon bénéficie aussi de la mutation du marché américain. Après quarante ans de croissance, celui-ci devient mature et suit une trajectoire bien connue : les volumes baissent (-5 % en 2023 selon la WSWA, l’union des grossistes) sauf sur le haut de gamme, à partir de la tranche supérieure à 15 dollars la bouteille. Une sorte de « moins mais mieux » à la sauce US, couplé à la recherche de vins plus fins et plus légers. Ce darwinisme vinicole favorise l’Oregon, dans le cœur des nouvelles tendances et dans la cible très haute des prix (entre 50 et 100 dollars). D’autant que la désaffection des consommateurs porte sur les rouges, mais pas le pinot noir, et que les blancs se maintiennent avec un retour en force du chardonnay. « L’Oregon réinvente le chardonnay américain, plus minéral et plus racé que le californien. D’ailleurs entre les deux vignobles, c’est un peu le yin et le yang : le terroir contre les marques, la ruralité contre les grands espaces », relève Jean-Baptiste Rivail qui dirige Ponzi Vineyards, racheté par Bollinger en 2021. La maison d’Aÿ apporte tout son savoir-faire à un domaine iconique devenu trop statutaire, avec le besoin de reprendre sa distribution. Elle compte pour cela sur ce connaisseur expérimenté des États-Unis qui y a développé les ventes du cognac Hennessy pendant quatre ans avant de prendre la direction de Newton, propriété en Napa de LVMH détruite par les grands incendies de 2020. « L’amateur s’est rendu compte il y a cinq ans seulement de la qualité exceptionnelle des vins d’Oregon, qui ont un très bel avenir », assure Jean-Baptiste Rivail. Ponzi Vineyards a acquis une cinquantaine d’hectares à planter dans la proximité du Pacifique, en se donnant le temps propre à la méthode Bollinger.
Avec la hauteur que lui confère le statut de figure historique dans sa région de cœur, Véronique Drouhin vient d’accueillir dans les Dundee Hills les douze familles de Primum Familiae Vini, le club cofondé par son père qui réunit les propriétaires de domaines familiaux parmi les plus prestigieux au monde. Une forme de reconnaissance doublée d’une grande confiance dans le futur de l’Oregon : « Ce vignoble restera tel qu’il est, de taille modeste et sur un positionnement haut de gamme. Tout le monde ici ne cherche qu’à faire beau et bon. »