Beaujolais, Champagne, les rosés d’ailleurs

Tout le monde cherche son rosé. On le trouve, c’est mieux. Bordeaux et Bourgogne dans En Magnum (pp 122-123) chez votre marchand de journaux. Beaujolais et Champagne sur votre écran. Par Jean Dusaussoy

Si l’identité du Beaujolais reste liée au rouge, ou plutôt aux rouges – avec dix crus, deux appellations régionales beaujolais et beaujolais-villages et le beaujolais nouveau, ils sont pluriels – la part de blanc (chardonnay) et de rosé de gamay progresse chaque année. Plus de 4 % pour le premier, plus de 2% pour le second.

Une sucrosité sans sucre
« Le gamay pour moi se prête bien au vin de rosé. On a une finale gourmande avec de la rondeur et une sensation de sucrosité sans sucre résiduel » débute Franck Chavy, vigneron à Régnié-Durette, qui produit 2 000 à 3 000 bouteilles de rosé par an sur une production annuelle de 40 000. Ses rosés proviennent de parcelles en beaujolais-villages enclavées entre celles de ses régniés. « On récolte au bac, donc on a une toute petite macération dans le bac et au pressoir, puis c’est en pressurage direct », poursuit le vigneron. « Je trouve que sur le gamay, les rosés de presse sont mieux. On a un cépage dont les ceps sont bas par rapport au sol et les grappes sont souvent souillées par des éclaboussures de terre. Avec les rosés de saignée et la macération, on obtient un jus moins clair et précis. »
Pour le vigneron, le rosé permet de travailler la palette aromatique du gamay. « En rosé, on va avoir plus de variétal alors qu’en rouge avec de longues macérations, le variétal va s’effacer au profit du terroir. J’utilise des levures starter juste pour être sûr que la fermentation alcoolique aille jusqu’au bout, mais tout ce que l’on fait dans les vinifications doit être au service du vin. A partir du moment où l’outil domine le vin, il y a fausse donne. »
Plus au sud, nous arrivons à Charnay, chez Jean-Paul Brun (domaine des Terres Dorées) dont on ne présente plus les beaujolais, en rouge, mais également en blanc. Notamment son blanc classique, qui lui sert de modèle pour vinifier son Rosé d’folie. Plus austère que le précédent, ce rosé pur gamay est minéral avec des notes de groseilles mûres et une petite acidité en finale.
Grâce à une fermentation alcoolique fraîche (entre 12 à 14°C) et lente (plus d’un mois) à partir des levures indigènes, ses arômes ne s’étiolent pas. Une fois la première bouche passée, ils persistent comme une basse continue qui revient à intervalle régulier donner le ton. « C’est un rosé qui a de la bouche. Pendant que ça fermente, le vin reste trouble, il est chargé en matières solides en contact avec les lies. Je fais la même chose pour mes blancs avec un brassage des lies, ce qui donne un rosé un peu structuré », dit le vigneron. « Pour en finir, ce qui est important, c’est qu’on fait faire les malos. On a un vin qui est vraiment stable après une légère filtration et un minimum de SO2. C’est un vin qui est stable et terminé. Si les malos ne sont pas faites, comme souvent, je pense, dans des régions plus chaudes (ndlr, pour gagner en tension), il faut filtrer et soufrer plus fort. Alors qu’en les faisant, on respecte mieux le vin et ça lui donne de la profondeur » conclut Jean-Paul Brun.

Rosés tranquilles au royaume des bulles
En Champagne, difficile de savoir combien représente exactement les rosés tranquilles. Ils sont englobés dans la production générale des vins de Champagne, selon Arnaud Gallimard, président de l’AOC rosés-des-riceys, avec 25 producteurs et en moyenne 40 000 bouteilles par an, on arrive à environ 0,01 % de la production. Quant aux coteaux-champenois rosés, avec à peine une demi-dizaine de producteurs, c’est encore plus confidentiel pour ne pas dire infinitésimal.
« Il faut rappeler qu’historiquement la Champagne faisait des vins tranquilles », déclare Michel Parisot, chef de cave des champagne Devaux. « Au moyen âge, on ne savait pas faire de vins mousseux ni de vins rouges, on faisait des vins clairets. Quand c’était de raisins noirs que l’on pressait, cela faisait des vins tâchés. On n’avait pas encore cette idée de macération pelliculaire pour faire passer la couleur de la pellicule dans le jus. Aux Riceys, on sent bien que l’on est à la frontière de deux cultures, on est à la fois champenois et bourguignon. A une époque où les appellations n’étaient pas aussi définies que maintenant, le négoce bourguignon quand il avait besoin de raisin venait chercher des pinots noirs et des gamays dans des communes comme celle des Riceys. Le négoce champenois en manquait, il venait aussi sur les Riceys (avant 1927 et le rattachement de l’Aube à la Champagne viticole) et jusqu’à Chablis pour chercher des raisins et même vendre sous l’étiquette « Champagne de Chablis. »
« Chez Devaux, on a une petite gamme de vins tranquille, pour lesquels on travaille par lieu-dit ou par parcellaire dans une approche un peu bourguignonne. On a voulu garder cela pour le rosé des Riceys, notamment avec le lieu-dit Chanseux, qui est un peu notre lieu fétiche, à partir duquel on fait également notre coteau-champenois rouge. » De vieilles vignes de pinot noir, provenant d’un coteaux exposés sud. Robe rubis, nez épicé, bouche friande, fruits rouges qui dansent sur la langue. « Un Aboli bibelot d’inanités sonores comme la gymnopédie n° 1 », selon Michel Parisot, qui aime associer une musique à chacun de ses vins et trouve que les notes impressionnistes d’Erik Satie correspondent à celles du vin.

« On ne s’interdit rien », commence Christine Piot-Sévillano qui conduit le domaine familial, sis à Vincelles dans la vallée de la Marne, avec Vincent Scher. « On avait envie d’aller au bout de l’appellation qui permet de faire un coteau champenois rosé. Avec Vincent, on adore le rosé en vin tranquille surtout quand c’est un vrai rosé avec des notes de fruits rouges. Pendant plusieurs années, on a réfléchi à comment le faire. On avait déjà sorti un coteau blanc en 100 % meunier et on voulait faire de même pour le rosé, le meunier étant notre cépage phare puisqu’il représente 70 % de notre superficie plantée. Avant que ma mère reprenne le domaine avec mon père, du temps de mon grand-père, tout était planté en meunier. La question était de savoir sur quelle parcelle faire du rosé ? On a choisi une parcelle qui s’appelle La Champagne qui est en bordure de village. On la conduit dans ce but depuis longtemps en méthode alternative (ndlr biodynamique sans certification).
La première vendange que l’on a faite pour le coteau-champenois. C’est 2017, année compliquée en Champagne. On a eu des raisins magnifiques, surtout sur cette parcelle que l’on a réussie à amener à 12 degrés d’alcool avec une belle concentration. Tous les éléments étaient réunis pour faire notre Indiscrète, 600 bouteilles numérotées.
 »
« La seconde question était de lui donner un élevage en bois ? » poursuit la vigneronne. « On n’était pas d’accord avec Vincent. Pour lui qui est originaire du sud, un rosé c’est en cuve. C’est lui qui a gagné. Il est allé chercher conseil à Tavel et on a fait un rosé trois quart de saignée et un quart de presse. C’était notre premier rosé de saignée. Depuis, on en a sorti un champagne, L’Instant Meunier. On a tout de suite su que l’on ne serait pas dans la tendance de l’époque. C’est un rosé avec de la couleur, puissant avec des notes de fruits rouges et noirs persistants telles la cerise, la myrtille et la mûre. »
Heureusement, les tendances sont faites pour s’inverser. Rien n’est éternel sauf le changement.

Domaine Franck Chavy, beaujolais rosé 2020
9,90 euros
06 07 16 18 85
domainefranckchavy.fr

Domaine des Terres Dorées, Rosé d’folie
9,50 euros
04 78 47 93 45

Champagne Devaux, Rosé des Riceys Chanseux 2018
34 euros
03 25 38 63 85
champagne-devaux.fr

Champagne Piot-Sévillano, Indiscrète 2017
46 euros
03 26 58 23 88
piot-sevillano.com

À lire aussi