La maison Chanel s’est offert ce mythique vignoble de l’appellation côtes-de-provence. Un bijou unique sur l’île magique de Porquerolles
Une île partagée entre quatre filles
Ce serait un château-canon 1945, bouteille offerte au propriétaire du domaine de l’Ile, Sébastien Le Ber, qui aurait finalement fait pencher la balance face à un autre acquéreur, confie Nicolas Audebert, le directeur des propriétés viticoles Chanel. C’est peut-être aussi le fait d’avoir été capable d’identifier chez le vendeur la maquette d’un dhow, voilier qui navigue notamment dans l’océan Indien, sur les côtes de Lamu, au nord du Kenya. Viser les points sensibles, là où ça fait du bien.
Canon, donc, le grand cru classé de Saint-Émilion, dans le millésime de naissance de l’héritier du domaine de l’Ile, un voileux comme Audebert (Toulonnais et fils d’officier de marine), régatier et créateur de la “Route du rosé” reliant les îles du monde où il a fait connaître son vin. Le voilà justement qui arrive au chai sur sa moto dans un nuage de poussière ocre. Il conduit pieds nus, à la mode porquerollaise, et habite en face d’une maison rose et bleue flanquée de lauriers, d’eucalyptus géant, de chênes-lièges, d’arbousiers, de pins maritimes. « Et d’aguaribays, ce faux poivrier d’Amérique du Sud », précise Audebert, qui a passé dix ans à Cheval des Andes (LVMH) en Argentine avant de prendre à Bordeaux la direction des châteaux Canon et Rauzan-Ségla (margaux). L’Amérique du Sud, les voyages, autres points sensibles et communs entre Le Ber et Audebert. En 1910, après avoir fait fortune au Mexique dans les mines d’or et d’argent, François-Joseph Fournier, le grand-père de Sébastien, acquit l’île de Porquerolles pour l’offrir en cadeau de mariage à sa jeune épouse cantatrice. En 1957, l’île est partagée entre leurs quatre filles. Trois d’entre elles revendent leur part à l’État, Lélia conserve ses terres et replante des vignes. Son fils Sébastien a poursuivi son œuvre et développé le domaine, qu’il a passé en bio en 2015. En 2019, il l’a confié à la maison Chanel. Cette trentaine d’hectares (dont vingt-deux sont en production) est partagée entre la partie ouest acquise en plein propriété et la partie est, sous bail emphytéotique.
Arracher, replanter, le grand chantier à venir
Les vignes y poussent dans les schistes et l’argile, protégés de la morsure saline et des souffles brûlants. On les rejoint en Méhari par des pistes ouvertes dans la végétation. Sporadiquement, des trouées offrent des vues renversantes sur les flots céruléens. Rosés et blancs naissent ainsi entre terre et mer. Parmi les cépages plantés à 4 500 pieds l’hectare, le tibouren s’épanouit en gobelet, quand grenache, cinsault, mourvèdre et syrah sont palissés. Pierre Etcheberry, jeune ingénieur œnologue venu du château Lafleur à Pomerol, conduit le domaine. « Il y a énormément à faire. Des parcelles arrivent en fin de course, il faut arracher, replanter. Notamment du rolle, pour atteindre 30 % de blanc (contre 10 % aujourd’hui, NDLR), du tibouren et du mourvèdre en priorité. Il faut aussi revoir les tailles et remplacer les installations obsolètes. » Un euphémisme au vu de l’existant. Dix ans de travail en vue, avec la contrainte des règlementations du parc national de Port-Cros, créé en 1963 et premier du genre en France. L’île en fait partie et elle est inconstructible. Pas question de s’étendre, donc. L’architecte des propriétés Chanel élabore ses plans. « Le domaine restera un cru de terroir, exprimant la singularité et l’insularité du lieu. Tension saline, fraîcheur marine, rosée méditerranéenne balayée par le mistral, symbiose du vignoble et de la végétation. C’est l’unicité de ce terroir qui nous a séduit et son histoire hors du commun. »
Par Béatrice Brasseur
Crédit photos : @Brice Braastad