Quand on a vingt ans et qu’on est resté gamin, mais sensible aux mots, on s’amuse devant le nom d’un des domaines pionniers des côtes-du-rhône du Vaucluse : Rabasse-Charavin. Rabasse, c’est la truffe noire en provençal et les Charavin, une des familles les plus respectées du secteur Cairanne-Rasteau. Je fréquentais jeune le festival d’Orange et je n’ai pas manqué de visiter alors ce domaine, ce qui m’a permis de rencontrer une femme vigneronne de grand caractère, Corinne Couturier, unanimement estimée de ses pairs. Son mari fournissait toute la viticulture locale en matériel de culture et de vinification et son vin généreux offrait toute la force d’expression des meilleurs secteurs de Cairanne, en limite de Rasteau. Il y eut ensuite une assez longue période de vins moins convaincants, très animaux, ils n’étaient pas les seuls de ce type. Avec l’aide de ses enfants et après avoir investi dans un nouveau cuvier, Corinne a retrouvé le chemin de l’excellence et du vrai vin de terroir.
À Estevenas, le type de vin de Cairanne devient plus ample, plus profond, peut-être moins typé syrah que dans d’autres secteurs, plus proche du grain d’un rasteau. Ce 2010, arrivé désormais à pleine maturité (c’est un privilège que d’avoir vieilli avec lui) offre toutes les senteurs de la garrigue, sur une dominante de laurier, de pierre séchée au soleil, à la fois intense, minéral et moelleux, parfaitement équilibré en alcool (14°), et bien protégé par un excellent bouchon technique, qui prouve encore une fois une remarquable tenue dans le temps. Un délicat amer type gentiane relève la fin de bouche et apporte de la fraîcheur au corps ensoleillé du vin, dont le naturel, la précision d’expression du terroir appelle une daube froide de bœuf en gelée et des poivrons rouges confits. Rien ici ne rappelle la truffe sinon le nom du domaine. De toute façon, le confinement m’interdisait de cuisiner cette daube.
Domaine Rabasse Charavin, cuvée d’estevenas, cairanne 2010
Corinne Couturier, propriétaire