Le critique de vin s’expose à être soi-même critiqué, ce qui est après tout normal. Parfois, l’arroseur arrosé prend sa revanche et la savoure. On dira que le verbe est adéquat pour un produit de bouche comme le vin. J’ai beaucoup défendu les vins vinifiés entre 1982 et 1997 en Bourgogne sous l’influence de l’œnologue libanais Guy Accad et subi de violentes critiques, parfois même vulgaires, insolentes et racistes, s’attaquant à mon intégrité ou à l’origine ethnique de Guy sur les premiers forums d’amateurs de vins. J’ai aussi défendu le millésime 1996, millésime de vent du nord, du moins pour les domaines où l’on a vendangé des raisins mûrs, ce qui était son conseil prioritaire. Dieu sait que j’ai tout entendu alors sur les vins d’André Pernin et sur sa méthode de vinification. Je rappelle que ce remarquable viticulteur, un des très rares à travailler ses sols et à tailler qualitativement à Vosne-Romanée dans les années 1980, avait la chance d’exploiter et de vinifier une belle parcelle de Richemone, petit climat premier cru de Nuits, à mon sens peut-être le plus racé de tous, sur la meilleure partie de son sol. Une partie de cette vigne était la propriété de Gérard Depardieu. Vinifié avec macération à froid et une protection en S02 conforme aux habitudes de l’époque (entre 1,5 et 2 litres de solution par tonne de raisin), il exaltait en vin jeune les arômes primaires du raisin, qui à Nuits, et particulièrement du côté de Vosne-Romanée peuvent évoquer le cassis. Une forme de réduction, vivement critiquée, et qui pourtant était bénigne par rapport aux réductions admirées par les mêmes amateurs moutonniers chez les producteurs vedettes à la mode. En 1996, conscient de la clémence de la météo, et de la forte acidité avivée par les vents froids constants du millésime, André a soigneusement attendu et vendangé bien au-dessus de 12,5%, rendant la chaptalisation inutile (pourtant pratiquée sur 90 % des vins d’alors) et l’acidification, encore plus.
À dix ans d’âge, les notes de cassis étaient encore présentes mais déjà adoucies. Malgré tout, il fallait carafer la bouteille au moins deux heures avant le service. Quinze ans plus tard, le nez du vin est une merveille de précision, d’originalité et de grâce. À bonne température (19/20°C), on a une nuance de réglisse/badiane qui est l’essence des vins du secteur nord de Nuits (Richemone, Murgers, Boudots) et encore plus des Vosne sud (Malconsorts et La Tâche), avec la mémoire du cassis et des notes de cuir, d’épices type girofle, et même de fer ou de cuivre qui sont la définition des grands nuits, dans un équilibre que seule cette Richemone est capable de produire. On le retrouve, avec la même éloquence et un peu plus d’intensité encore, dans les vins actuels vinifiés par Christophe Perrot-Minot qui a acheté cette vigne à André Pernin.
Le millésime 1996 fut abondant, n’attendez donc pas une concentration de matière et d’étoffe. La fraîcheur du fruit, l’élégance de la texture et, surtout, celle du tannin qui ne doit rien au fût neuf et tout au terroir et à l’adresse de l’extraction d’une vendange non eraflée, donnent un sentiment de naturel vraiment très moral. Remettant à leur place les corbeaux qui, hélas, même parmi des professionnels à haute formation scientifique, ce qui n’exclut pas la jalousie, dénonçaient à tort des pratiques fantasmées tout en encourageant à chaque millésime la désobéissance aux obligations légales, comme l’interdiction d’acidifier quand on chaptalisait ou le respect du minimum obligatoire de richesse en sucre du raisin. Cela ne vous rappelle rien ?
Domaine Pernin-Rossin, la richemone, nuits-saint-georges premier cru 1996