Une chute de près de 30 % des exportations vers les Etats-Unis, 100 000 emplois menacés : touchés de plein fouet par les taxes Trump, les responsables de la filière viticole en appellent au gouvernement. Lors de son passage au Salon de l’agriculture, Emmanuel Macron s’est engagé à porter leur demande de mise en place d’un fonds de compensation d’urgence de 300 millions d’euros auprès de l’Union européenne
Par Pascale Cassagnes
Dans les turbulences du conflit Airbus-Boeing
« Aux Etats-Unis, notre premier marché export, l’entrée en vigueur le 18 octobre dernier des taxes de 25 % ad valorem a entraîné un recul de 17,5 % des exportations de vins tranquilles sur le seul dernier trimestre 2019. Une baisse qui s’accroît tous les jours. La viticulture subit les représailles d’un conflit qui n’est pas le nôtre », a déclaré Jean-Marie Barillère lors d’un point presse du comité national des interprofessions des vins à appellation d’origine et à indication géographique (CNIV) qu’il préside. C’est en effet pour répliquer aux subventions accordées par l’Union européenne à Airbus, une concurrence jugée déloyale vis-à-vis de Boeing, que les Etats-Unis ont relevé leurs taxes sur les vins français. Malgré la promesse d’Emmanuel Macron qui, comme l’a souligné Jérôme Despey, président du conseil spécialisé des vins de FranceAgriMer, « connaît bien le sujet et a compris l’effet à long terme qu’auraient ces taxes », les craintes ne sont pas apaisées. « La réponse que nous avons eu samedi (22 février, ndlr) n’est pas à la hauteur de l’urgence de la situation. Nous ne pouvons attendre mai ou juin et les négociations avec les avionneurs. C’est maintenant que nous rencontrons les metteurs en marché avec le risque de perdre des parts de marché qu’il sera difficile de reconquérir. »
Les incertitudes pèsent sur l’export
D’autres tensions commerciales et politiques pèsent sur les premiers marchés export. Le succès des vins et spiritueux français à l’international (14 milliards d’euros de chiffre d’affaires réalisé à l’export en 2019) est en trompe-l’œil, selon la fédération des exportateurs de vins et spiritueux de France (FEVS). « Nous sommes confrontés à de trop nombreuses incertitudes pour nous réjouir », a expliqué Bernard Farges, vigneron et président de la confédération nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie de vin à appellations d’origine contrôlées (CNAOC). « Aux taxes américaines s’ajoute l’instabilité issue du Brexit. Une hausse des exportations afin d’anticiper des difficultés futures laisse craindre un recul du chiffre d’affaires en 2020. Nous subissons aussi les baisses des ventes en Chine, amplifiées par l’épidémie du coronavirus dont nous ne pouvons encore mesurer l’impact, et les tensions politiques à Hong Kong, alors que l’absence de droits de douane dont bénéficient l’Australie et le Chili représente un réel avantage compétitif. »
Des freins pour la transition écologique ?
« Ces difficultés peuvent mettre à mal tout le travail effectué dans le terroir français. », alerte Jérôme Despey. « En particulier au moment où nos entreprises doivent investir pour la transition environnementale, avec une dynamique dont nous nous réjouissons. » Là, en effet, les indicateurs sont au vert : 90 % des exploitations agricoles certifiées Haute valeur environnementale (HVE) sont issues de la viticulture. Quant aux surfaces de vigne conduites en bio, elles représentent en 2019 près de 12 % des surfaces du vignoble, soit trois fois plus qu’il y a dix ans. « Avec le ralentissement économique, cette transition se fera à une vitesse plus réduite, d’autant que nous nous heurtons à de nombreux freins », avertit Jérôme Despey. Dernier en date, l’arrêté du 27 décembre 2019 qui fixe des distances minimales d’épandage des produits phytosanitaires s’applique depuis le 1er janvier 2020 à la vigne, sans transition. Ce qui rend obligatoire l’arrachage de centaines d’hectares. Le sujet a été mis sur la table lors de l’entrevue avec le chef de l’Etat. Sa réponse aurait été « rassurante. » Comme l’a précisé Jérôme Despey : « Le président nous a demandé d’aller plus vite concernant la sortie du glyphosate, mais nous a assuré que les vignes installées non loin d’habitations seront protégées. »
Les chiffres-clés :
• 500 000 emplois sont générés directement et indirectement par la viticulture en France
• Les vins et spiritueux français sont les 1ers contributeurs à la balance commerciale pour l’agroalimentaire
• Les six premiers marchés à l’export sont les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Chine, Singapour, l’Allemagne et la Belgique
• La France est le 1er pays exportateur en valeur de vin et eaux-de-vie de vin
• Les Etats-Unis sont le 1er marché d’exportation du vin français (20 % du chiffre réalisé à l’export par les vins tranquilles)
• La perte de chiffre d’affaires sur les exportations américaines en 2020 est estimée à 300 millions d’euros
• Pour le dernier trimestre 2019, le chiffre d’affaires à l’export sur l’ensemble Chine – Hong Kong – Singapour est en baisse de 3,1 %