Nous vous avions annoncé ici le retour au restaurant Le Taillevent d’un désormais traditionnel menu élaboré autour de cinq vins choisis par « un épicurien, personnalité des arts et lettres. » Invité cette année à raconter « cinq vins qu’il rêve de réunir en un repas », l’écrivain Yann Queffélec, qui vient de publier Naissance d’un Goncourt (Calmann Lévy), propose une dégustation qui mène sur les sentiers de sa mémoire, un point de vue personnel qui remet à l’honneur les grands vins de Bordeaux et qui a été salué par le sommelier Antoine Pétrus, directeur général de Taillevent Paris.
Yann Queffélec et le vin
« Le vin a compté dans mon éducation. Mon père en faisait boire à ses trois fils. Nous devions impérativement apprécier Victor Hugo, Shakespeare, Van Gogh, Mozart et le vin de bordeaux, d’après lui le plus accessible au palais des enfants. J’ai un rapport infiniment respectueux avec les “travailleurs de la vigne”, gens de coutume et de savoir-faire immémorial, alchimique, gens chez qui la modernité des choses a la nuit des temps pour énergie. Je ne bois jamais un bon vin sans penser à ceux qui l’ont bonifié pour des amis inconnus. De même je ne mange jamais un poisson sans penser aux “travailleurs de la mer” : à la mer nourricière et fatale. »
Yann Queffélec et Taillevent
« J’avais douze ou treize ans la première fois que j’ai franchi la porte du Taillevent. J’étais invité par mes grands-parents maternels. Une récompense, j’imagine, une leçon de savoir-vivre dans l’univers stylé d’un grand restaurant parisien. Le livre des vins donne le vertige et nous emmène par monts et par vaux, nous fait traverser les mers. Les noms des bouteilles chantent comme ceux des plats, préparant les sens à l’émerveillement, les sens à l’esprit. Ce n’est pas seulement la noblesse du mets qui fait le génie d’une assiette, pour David Bizet, le chef, mais son alliance avec le mets rustique ou prétendu tel. Et bien sûr avec le vin, ce ténor silencieux dans l’opéra des saveurs. (…) Un immense merci à Hervé Fort, le capitaine du Taillevent de faire de moi le héros des “Cinq” en cet automne 2018. C’est un bonheur, et un honneur, de me voir associé à la création d’un menu conçu par Antoine Petrus et David Bizet autour de cinq vins intimement reliés à mon histoire. »
« Un monde à part,
le monde de Taillevent. Luxe, calme, excellence et gastronomie ; temps suspendu : tradition bourgeoise à la française, mais tradition dynamique, au goût du jour »
Les cinq de Yann Queffélec :
Domaine Lucien Crochet, Les Amoureuses 2011, sancerre
« J’aime le sancerre blanc Les Amoureuses pour sa jovialité. C’est un grand vin de soif tout à la fois sec et fruité, ni doux ni amer, bonhomme et secret comme son maître Lucien Crochet, celui-ci un grand homme du vin. Je l’ai rencontré à Sancerre au cours d’une folle épopée avec Jean-Luc Petitrenaud qui conduisait “à vive allure” ma Jaguar XJ 12 délabrée (l’aiguille des vitesses était tombée du cadran). Nous sommes arrivés chez lui avec quatre heures de retard. Il nous a reçus comme des seigneurs. Nous avons visité son domaine, goûté ce qu’il nous a fait goûter, puis déjeuné d’un cochon de lait grillé, l’une de mes viandes préférées. Nous sommes repartis frais et dispos, la Jaguar l’était moins. Depuis ce jour, Lucien Crochet est un ami, comme son vin. »
Servi en magnum et présenté en accord avec : Poireau en croûte de sel truffé, mimosa de cèpes, essence sauvage poivrée
Le commentaire d’Antoine Pétrus : « Voilà un accord complice où la vivacité du sauvignon de la famille Crochet relèvera la subtilité du poireau au parfum truffé. »
Domaine Cécile Tremblay, chambolle-musigny 1er cru Les Feusselottes 2012
« Ce vin m’a sauvé la vie. En 1982, pour le premier récital de piano donné au Carnegie Hall par feue Brigitte Engerer – mon épouse à l’époque –, nous nous sommes vu offrir le passage Paris-New York en Concorde. Hélas, l’avion a pris feu au moment du repas. Un chambolle-musigny accompagnait le steak Rossini, bleu à souhait. Je me suis raccroché à son bouquet et à celui d’une fable de La Fontaine, La Cigale et la Fourmi, jusqu’à l’atterrissage d’urgence à Roissy. Nous avons ensuite embarqué sur un appareil de réserve où, par extraordinaire, bouteilles et steaks (déjà cuits) nous ont suivis. »
Présenté en accord avec : Pomme de terre et culatello à la crème de truffe blanche
Le commentaire d’Antoine Pétrus : « La puissance de goût de la truffe blanche s’allie avec délicatesse à ce très beau premier cru de Chambolle Musigny. »
Château Figeac 2012, saint-émilion grand cru
« Le château Figeac est en quelque sorte le “héros” de mon roman La Dégustation, une histoire vraie. Sous l’occupation, des bouteilles de vin hors de prix sont emmurées dans une cave où la Gestapo torture les résistants. A sa manière, le vin s’en souviendra un jour… J’ai redécouvert ce château à Figeac, il y a quelques années, lors d’une journée organisée autour de mon travail de romancier par Alberic Bideran. Madame Marie-France Manoncourt, la propriétaire, m’a offert une bouteille du millésime 1985, l’année de mon Goncourt, un trésor. Non, je ne la boirai jamais. Je la léguerai à l’un de mes enfants qui ne la boira pas davantage, etc. »
Présenté en accord avec : Rouget Barbet confit, concentré torréfié, butternut, foie gras
Le commentaire d’Antoine Pétrus : « Saint-Emilion trouve ici un de ses meilleurs représentants. Le rouget cohabite à merveille avec les contours veloutés du château-figeac sur le très nuancé millésime 2012. »
Château La Conseillante 2010, pomerol
« J’aime ce nom de Pomerol, on dirait deux notes de piano. C’est aussi l’un des premiers vins que j’ai bus dans mon enfance. Dès l’âge de huit ans, je trempais mes lèvres dans les verres de château-la-conseillante que mon grand-père servait invariablement au moment des fêtes, le soir. Ça ne s’oublie pas. Le pomerol est un vin d’amitié, lumineux comme un coucher de soleil, désaltérant et serein, qui rappelle que l’eau nourrit la terre en profondeur, et que la salive est soeur de la vigne. »
Présenté en accord avec : Lièvre à la royale
Le commentaire d’Antoine Pétrus : « Deux seigneurs réunis pour le plaisir des papilles et du goût. Le charme du château-la-conseillante adoucit la force et le parfum du lièvre à royale, plat signature de David Bizet. »
Mas Delmas, rivesaltes ambré 2012
« Ma tante Jeanne, celle qui jouait de l’harmonium à l’église de Lanildut – le village atlantique de mon enfance au nord du Finistère –, avait un faible marqué pour les vins cuits. Dans son coffre à liqueurs voisinaient porto, banyuls, catalunya, duhomard, et rivesaltes son préféré. C’est chez elle, au manoir de Kervaly, que j’ai bu mon premier rivesaltes à l’âge de onze ans. Je souffrais des oreillons (bénins) et elle m’a dit : bois ça. Ce n’était que la valeur d’un gros dé à coudre. Un ou deux, je ne sais plus. Un dé peut en cacher un autre, surtout dans l’ouest. »
Présenté en accord avec : Chocolat crémeux au thé noir, Riz soufflé caramélisé et mûres sauvages
Le commentaire d’Antoine Pétrus : « Logé dans sa marie-jeanne ayant servi à son élevage, le rivesaltes 2012 du mas Delmas est un hommage parfumé au grenache qui sied à merveille avec la douceur du chocolat. Plongez le nez et la cuillère dans un univers de douceurs, d’épices, de cacao. Une association dessert et vin pour gourmets avisés. »