#02 Le vin et le bois, l’exemple de la tonnellerie François Frères

Après la vision historique des liens unissant le bois et le vin, passons aux choses pratiques. Qu’est-ce qui fait un bon tonneau ? L’exemple d’une tonnellerie de référence, François Frères, en côte-de-beaune.

François Frères est une tonnellerie incontournable en Bourgogne. Installée à Saint-Romain, créée il y a plus d’un siècle, elle occupe une cinquantaine d’employés en Bourgogne et près de 1 000 personnes ailleurs en France et dans le monde. L’unité de Saint-Romain est dirigée par Max Gigandet.

Les enchères décroissantes, c’est fini

Les achats de bois se font pour l’essentiel auprès de l’ONF. Rappelons que la croissance d’un chêne destiné à la tonnellerie dure de 120 à 150 ans. Les enchères sont désormais informatiques, l’achat aux enchères décroissantes (immortalisé par Bourvil dans le film Les Grandes Gueules) a été abandonné.

La maturation du bois

Les troncs découpés en planches sont empilés à l’air libre sur des palettes. La pluie va laver le bois et lui faire perdre par lessivage une partie de ses composés phénoliques, notamment les fameux tannins du bois. Ce bois va perdre de son humidité. Cette phase de séchage, qu’il conviendrait plutôt de nommer phase de maturation, dure de deux à quatre ans. Le climat bourguignon frais agit sur les merrains comme un micro terroir spécifique qui distingue les fûts séchés à Saint-Romain des autres unités de tonnellerie du groupe qui partagent pourtant les mêmes approvisionnements. Saint-Romain exporte partout en France et sur les cinq continents. Après cette phase de maturation les planches sont transformées en douelles et l’opération d’assemblage peut alors commencer. Les douelles, constamment arrosées pour ne pas casser, sont cintrées au feu par le tonnelier qui installe les cercles en force. Les fonds sont ensuite montés. Suivent les opérations de finition de contrôle et le marquage au nom du client. Un maître tonnelier peut produire jusqu’à quatre barriques par jour.

Les ingrédients de la réussite

Produite artisanalement, chaque barrique est fabriquée à la commande chez François Frères en Bourgogne. Le client choisit les différents paramètres qui agiront sur la qualité des barriques qui lui seront livrées.

Made in France

L’immense majorité de la production de François Frères vient de bois français mais sans mention d’une origine spécifique. Quelques lots peuvent avoir une origine tracée mais la maison évite de la mettre en avant car les ventes de l’ONF ne sont pas régulières et aucun tonnelier ne peut être certain de fournir chaque année une origine spécifique. C’est l’art du tonnelier d’assembler les origines pour garantir une qualité constante, une signature maison.

Le temps de séchage

De dix-huit mois à deux ans : c’est le temps de maturation standard y compris chez les producteurs bourguignons les plus respectés. Une maturation inférieure laisserait trop d’humidité dans les douelles qui risqueraient de jouer une fois le tonneau ajusté.

Trente mois à trois ans : le tannin des rouges sera plus granuleux en début d’élevage, plus austère mais s’affinera avec le temps. En blanc, ce temps de séchage n’a de sens que pour des vins puissants, élevés longtemps.

Quarante mois à quatre ans : rarement utilisé (3 % de la production) car si les tannins des rouges sont affinées, les douelles sont plus cassantes.

La finesse du grain

Ce classement va du plus onéreux au moins couteux.
Grain très fin : donne le boisé le plus fin, un apport tannique modéré et de la complexité aromatique mais il nécessite un élevage long de dix-huit mois pour les rouges. En blanc, il donne de bons résultats sur les vins de terroirs puissants quand il est associé à un temps de séchage long, trois ans. Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, les signatures viticoles les plus prestigieuses de la Bourgogne n’utilisent pas systématiquement des grains très fins et des temps de séchage très longs. Ils leur préfèrent souvent les grains fins.

Grain fin : le plus vendu. Associé à une chauffe moyenne, c’est la signature classique des barriques de François frères.

Grain moyen ou mi-fin : il apporte de la sucrosité aux rouges qui est utile quand le vinificateur recherche de la gourmandise dans son vin.

Grain essentiel : bois à gros grain qui apporte une puissance tannique. Convient à des élevages courts de vins dont on souhaite obtenir un fruité rapide.

La chauffe, le bon équilibre

L’intensité de la chauffe va donner des arômes qui iront du pain grillé, de la brioche et du beurre jusqu’aux arômes de tabac, café ou caramel. Les plus chaudes donnent des notes de goudron.
Quatre intensités de chauffe sont courantes :
La chauffe légère : pour des tannins moins enrobés mais plus frais. Attention au côté planche que peut faire ressortir cette chauffe : il faut des vins aux matières très puissantes.

La chauffe moyenne : la plus utilisée pour les blancs de Bourgogne et pour les rouges quand le pourcentage de bois neuf est élevé.

La chauffe moyenne plus (la signature maison) : pour les rouges quand le pourcentage de bois neuf est limité.

La chauffe forte : rare en France mais courante dans les pays à climat chaud comme la Californie.

Le client peut aussi jongler avec une longueur supérieure de chauffe combinée à l’une des intensités de chauffe ci-dessus. L’objectif étant de trouver un équilibre entre la sucrosité, la fraîcheur de fin de bouche et la salinité.

Règle d’or

On le voit, le vigneron peut jouer sur de multiples facteurs, l’origine du bois, le temps de séchage, la finesse des grains, l’intensité et la durée de chauffe. Mais la règle d’or, lorsque le vin est à son apogée et a été complexifié par l’élevage, est de ne plus pouvoir identifier la présence de bois. Certains marchés et des consommateurs du vieux continent apprécient pourtant le goût boisé dans les vins. Nous avons toujours défendu l’inverse chez Bettane + Desseauve et refusons toute uniformisation des goûts, toute standardisation. Un pauillac ne doit pas ressembler à un margaux et encore moins à un châteauneuf-du-pape. Un bon vin, même modeste, doit être l’expression de son ou de ses cépages et idéalement lorsqu’il est né sur un terroir fort, être une expression de ce terroir. Chaque vigneron exprime sa vision de ce terroir en fonction de la météo du millésime. Son vin sera grand s’il sait exprimer de multiples facettes de ce terroir, pas celle du tonneau qui l’a nourri.

 

Les étapes de la fabrication d’un tonneau

– Abattage des troncs d’arbre de 120 ans au moins (pour leur grande circonférence).
– Débitage des quartiers en merrains sans écorce, aubier, ni cœur.
– Séchage à l’air libre permettant l’oxydation de composés phénoliques et la dégradation de la lignine génératrice d’astringence et d’amertume.
– Fabrication des cercles du tonneau.
– Sciage des merrains à la longueur du tonneau puis fabrication des douelles.
– Mise en rose des 25 à 30 douelles qui formeront le tonneau.
– Cintrage sur une chaufferette (brasero) alimentée par les chutes des merrains.
– Cintrage du tonneau.
– Seconde chauffe aromatique modifiant les liaisons chimiques des molécules du bois.
– Pose des fonds.
– Perçage de la bonde.
– Cerclage définitif.
– Marquage au laser avec le logo de la tonnellerie et du domaine.
– Vérification de l’étanchéité.
– Expédition du tonneau fini.

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