Il en fallait au moins le double, le triple, plus encore. La vie est injuste, mais c’est la vie
Pierre Trimbach, Alsace
1Pierre a la stature athlétique, mais l’âme artiste. Pas l’artiste brouillon, le perfectionniste, celui qui affine sa technique au fil des ans. Comme son père, son frère ou son oncle, il aime le type sec, fait pour la haute gastronomie et qui convient si bien à ses terroirs de Ribeauvillé et de Hunawihr, mais ne manque jamais les rares occasions où le climat lui permet de récolter des vendanges tardives ou des sélections de grains nobles. Ses deux fleurons, le clos Sainte-Hune et la cuvée Frédéric-Émile (issue de l’Osterberg et du Geisberg) viennent de se compléter d’un admirable geisberg et d’un schlossberg qui revendiquent désormais leur terroir grand cru, indispensable initiative dans une maison qui s’est longtemps méfiée de leur mention sur l’étiquette.
Olivier Humbrecht, Alsace
2Géant par sa taille, comme par son savoir, digne fils de son père Léonard, Olivier incarne pour nous le vigneron idéal, faisant la synthèse entre tout ce que la science peut apporter dans la connaissance agronomique et œnologique et la pratique d’une biodynamie rigoureuse et novatrice pour respecter l’impressionnante liste de grands terroirs que son père avait constituée. Si les amateurs admirent en priorité et depuis toujours ses pinots gris et gewürtztraminers, d’une incomparable somptuosité de constitution, il serait ridicule de ne pas reconnaître son talent de vinification du riesling avec ses trois fleurons, Brand, Rangen et Clos Windsbuhl, sans oublier l’étonnant Clos Häuserer, au pied du Hengst. Ils sont depuis quelques années encore plus secs et tendus, sans rien perdre de leur intensité aromatique.
Helmut Dönnhoff, Allemagne
3L’équivalent, la modestie en plus, de ce que fut Henri Jayer en Bourgogne, le gourou protecteur du style le plus pur et le plus classique du riesling allemand. Avec leurs équilibres subtils (8,5 à 9° d’alcool, quarante à soixante grammes de sucre), ses vins de type Kabinett et Spätlese illustrent parfaitement la synthèse idéale de tous les terroirs à riesling allemands qui fait l’originalité du secteur de la Nahe. L’extrême finesse de la Moselle ou de la Sarre s’associe à la vinosité plus affirmée du Rheingau. Si Herrmannshöhle est son cru le plus prestigieux, l’homme réussit tous ses vins et j’ai un faible pour le fruit du Brücke, proche de sa maison.
Wilhelm Weil, Allemagne
4La winery modèle de Kiedrich appartient aux Japonais de Suntory, mais Wilhelm Weil, héritier d’une prestigieuse dynastie du Rheingau continue à modeler les vins et à perfectionner le ramassage de raisins botrytisés, caractéristiques de ses grands terroirs du Gräfenberg. On y retrouve les schistes du Taunus et le fruité incomparablement harmonieux et élégant de la plus pure des pourritures nobles. Ici, on doit en priorité acheter les spätlese et auslese à l’originale étiquette bleue, reconnaissable entre toutes.
Manfred Prüm, Allemagne
5Une dégustation sera toujours inoubliable dans ce haut-lieu de la Moselle. L’affable Manfred Prüm y est toujours présent, cherche une à une ses bouteilles à la cave avant de revenir les ouvrir avec tout le cérémonial d’usage et attend patiemment que la bouteille soit finie (sans crachoir) avant de repartir. Comme on sait qu’il terminera par un de ses fameux et incomparables Beerenauslese ou Trockenbeerenauslese, on dépassera ses facultés d’absorption pour garder tous ses esprits et en admirer la monumentale complexité. Son style de vinification inimitable renforce les tendances naturelles du riesling à la réduction, mais conserve tout le fruit du raisin après vingt, trente voire cinquante ans de bouteille.
Peter Munro, Australie
6Je ne connais pas l’homme, vinificateur très respecté sur place, mais à plusieurs reprises j’ai admiré l’originalité et la complexité de caractère des vins de la maison Leo Buring, cette vieille firme spécialisée depuis toujours dans le riesling de la Clare et de l’Eden Valley, dans le secteur de la Barossa. Ils portent au plus haut degré la fine amertume de réduction propre à ces sols, qui après dix ans ou plus de bouteille donne un bouquet pétrolé (sans lourdeur) qui choque parfois avant de devenir indispensable à la mémoire de tout amateur de grands vins. La réserve Leonay fait référence à la propriété du pionnier du vignoble australien qui a donné son nom à la firme.
Neil Pike, Australie
7Dans les derniers millésimes, ce domaine a particulièrement brillé par la densité et l’harmonie de fruit de ses meilleurs rieslings qui illustrent à la perfection la vitalité et l’énergie de la Clare Valley. Il peut y faire chaud l’été, le riesling ne déteste pas contrairement à ce qu’on croit, à condition évidemment que les nuits restent fraîches, ce qui est le cas. Ici aussi, le vin prend ce goût dit « pétrolé », mais sans lourdeur, qui vibre d’égal à égal avec l’iode des fruits de mer. Neil Pike et ses équipes savent parfaitement choisir les origines pour leurs assemblages, mais la cuvée “The Merle” provient d’un terroir précis et remarquable.
Willi Bründlmayer, Autriche
8Ce domaine très attachant et francophile produit certes de très grands vins de grüner veltliner, un cousin du traminer qui brille particulièrement au bord du Danube ou de son affluent le Kamp, mais ne néglige pas ses rieslings. Les terrasses magnifiques du premier cru (Erste Gewächs) Heiligenstein produisent avec une régularité désarmante un vin très stylé, plus fruité et tendu que les vins plus opulents du secteur peut-être encore plus célèbre de la Wachau, sur le Danube. De son passage à l’Agro de Montpellier, Willy Bründlmayer a retenu que la conduite en lyre du vignoble, préconisée par son maître le professeur Carbonneau, permettait une maturité plus régulière du raisin. Et il le prouve avec sa cuvée Lyra, ce qui n’enlève rien à la finesse et à la précision aromatique de ses nombreuses autres cuvées.
Mark Wagner, Etats-Unis
9Entre Syracuse et Rochester, au nord de l’État de New-York, les Finger Lakes, série de petits lacs en forme de doigts, perpendiculaires à l’immense lac Ontario, illustrent parfaitement l’adage de Pierre Veilletet : « Il n’y a pas de grands vignobles prédestinés, il n’y a que des entêtements de civilisation ». Il m’est arrivé de déguster de jolis rieslings de Californie et plus encore de l’état de Washington, toujours assez « pétrolés » et plus convaincants en type liquoreux. Mais je dois avouer que la finesse et la pureté des vins de cette côte Est, finalement proche des chutes du Niagara et des vins de glace canadiens, les dépasse amplement. Le savoir-faire de la famille Wagner, aussi bien dans la tenue de la vigne en bio que dans la précision de l’élaboration, fait des vins vraiment étonnants de finesse. Deux ou trois terroirs isolés, dont le Round Rock, produisent les vins les plus complets.
Neil McCallum, Nouvelle-Zélande
10Retraité en 2011, ce pionnier de la viticulture de Nouvelle-Zélande laisse un héritage remarquable aux nouveaux propriétaires. Dans mes dégustations des vins du début de ce millénaire, j’ai souvent trouvé que le petit vignoble de Craighall (1,6 hectare), sur des terrasses alluvionnaires bien drainantes, donnait les rieslings les plus racés d’un pays qui a fait le choix de privilégier le sauvignon, pas toujours bien mûr, mais si engageant dans sa jeunesse. Neil lui préférait le riesling, plus droit, plus complexe, plus riche en extrait sec, moins fluide et finalement plus mûr. Je suis sûr que parmi les 400 hectares plantés dans le pays, on doit trouver des vins de même valeur, mais je voulais rendre ici hommage à un homme de culture et de conviction.