Ce cépage a toutes les exigences de sol, de pente, d’exposition, de températures. Pourtant, il a trouvé son expression partout dans le monde. Et il fait bien tout ce qu’on lui demande, du sec au liquoreux. étrange, le riesling
Le chardonnay a conquis la planète et on le comprend. Cépage moderne, mondain, il s’adapte à tous les climats, tous les maquillages, toutes les modes, tous les goûts et toutes les gastronomies. Il lui arrive même de donner le meilleur de terroirs exceptionnels, mais enfin quand on mange un raisin bien mûr, il n’exprime pas grand-chose en dehors de son sucre. C’est donc le ferment et l’imagination créatrice humaine qui l’exaltent. Avec le riesling, c’est différent, les petites baies ont quelque chose d’unique en matière de fruité, de fraîcheur, de subtilité dans les différences aromatiques et tactiles d’un terroir à l’autre, que je trouve vraiment incomparable. Stoltz, le grand ampélographe du XIXe siècle, natif d’Andlau et propriétaire au Kastelberg, trouvait dans le raisin des notes uniques de cannelle, d’orange amère, de poivre et de clou de girofle qui sont exactement ce que l’on goûte aujourd’hui. Les spécialistes des arômes reconnaissent là la présence de précurseurs terpéniques. La fermentation évidemment les accentue et produit des molécules de linalol, de nérol, de géraniol, de citronnellol, entre la citronnelle et la rose, que le riesling partage d’ailleurs avec le traminer et le muscat et qui, en vieillissant en milieu réducteur, sans oxygène, comme dans la bouteille, évoluent vers l’hydrocarbure et les fameuses notes dites pétrolées, particulièrement sur les terroirs riches en fossiles calcaires ou en minéraux comme le schiste. Si l’on presse trop fort les peaux où se trouvent ces précurseurs ou si l’on triture trop la vendange, on accentue cette tendance jusqu’à la caricature et à la saturation.
Comme par hasard, la génétique confirme cette nature unique de raisin : on n’a pas vraiment encore élucidé le mystère de l’origine génétique du riesling, mais on est à peu près sûr qu’il a des liens forts avec le gouais blanc, mère du chardonnay et tante du traminer et, donc, un rapport étroit avec le furmint, le savagnin, l’elbling du Luxembourg. Ce qui commence à rendre plus claire l’énigme de son implantation en Europe et nous permet d’admirer encore plus les intuitions de Stoltz. Le mot riesling n’apparait que vers 1435 dans la Rheingau, mais évidemment le cépage existait depuis longtemps. Le premier à faire planter des vignes en Rhénanie fut Louis II dit le Germain, vers 840. Stoltz est persuadé que c’était déjà le « gentil aromatique », qu’il se refuse à appeler riesling en raison de son origine qu’il jugeait française, ce que corrobore le nom d’un autre très ancien cépage de la Rheingau appelé orleaner. Si l’on songe que le sauvignon antique de Château-Châlon avant la Révolution française était sans doute déjà le savagnin ou une forme de traminer et que des descriptifs aromatiques précis d’un sauvignon de la région de Vendôme correspondaient exactement à sa vision du riesling, il y avait un pas que Stoltz sautait allègrement. En attendant que la vérité éclate, la version officielle actuelle est que le riesling est probablement un descendant de lambrusques locales de la vallée du Rhin, fécondées par le gouais, planté également avec parcimonie dans des vignobles seigneuriaux ou ecclésiastiques d’Alsace et, plus largement et beaucoup plus tard, tout au long du XIXe siècle, dans le reste de l’Alsace et de la Moselle allemande, en Europe centrale, puis au-delà des mers en Afrique du Sud, en Australie et en Californie. Partout, ce cépage très exigeant ne se plaît que sur des terrains bien drainés, aimant les fortes pentes, une floraison par temps frais et une maturation lente, acceptant les étés continentaux chauds si les nuits restent fraîches, ce qu’il trouve évidemment à la perfection à la limite nord de la culture de la vigne en Europe. Ses peaux acceptent parfaitement le botrytis s’il se développe sur un raisin mûr, ce qui permet en dehors d’un type de vin sec de produire de beaux moelleux ou liquoreux, mais en toutes petites quantités. Comme il est cultivé en climat froid et récolté fin octobre, début novembre, les levures sont à la peine et souvent les fermentations s’arrêtent avant 10 degrés d’alcool transformé, ce qui explique l’équilibre original des vins allemands, encore renforcé par l’homme qui peut aussi muter au SO2 pour ne pas dépasser 8 degrés. Le sucre restant préserve le fruit et équilibre la forte acidité. En Alsace, et même de plus en plus souvent en Allemagne ou ailleurs, en réduisant les rendements et en prenant des risques pour vendanger tard, on obtient des raisins qui peuvent atteindre 13 degrés d’alcool naturel ou plus et rivaliser avec les plus grands chardonnays comme grands vins secs de gastronomie.Malgré les 3 400 hectares plantés en Alsace et les efforts de sommeliers et de cavistes passionnés, les amateurs français ne connaissent souvent pas bien la valeur des vins les plus réussis de ce cépage, qu’ils adopteraient pourtant immédiatement comme une gloire nationale. Ils ne savent pas ce qu’ils perdent.