Bordeaux demeure sévèrement bordé par ses hiérarchies et ses classements, qui ont façonné non seulement la perception des vins par les consommateurs du monde entier, mais qui structurent aussi la commercialisation des vins, jusque dans les présentations des primeurs. Il faut chercher loin les producteurs et leurs échantillons, hors des organisations officielles en tous cas, pour voir se dégager une catégorie à part, celle des très grands vins qui ont échappé pour des raisons diverses au tamis des classements et/ou des appellations consacrées. Qu’on ne se trompe pas, ces vins de très haut niveau ne sont ni une resucée des vins de garage, ni d’improbables nouveaux venus sortis de nulle part. Non, ce sont des crus s’appuyant sur de grands terroirs, parfois excentrés, parfois appartenant à des appellations trop vastes ou hétérogènes pour être globalement considérés au plus haut niveau. Leurs propriétaires et leurs équipes techniques y ont réalisé un travail ambitieux et excitant depuis des années et leur investissement humain et financier dépasse souvent celui de beaucoup de valeurs consacrées. Si l’on déguste leurs vins aujourd’hui sans a-priori on s’aperçoit qu’ils peuvent rivaliser avec les plus grands de la région, en primeurs bien sûr, mais pas uniquement. Contrairement à ce que beaucoup pensent, ces vins qui séduisent jeunes sont aussi capables, lorsque leur histoire personnelle le permet, d’impressionner aussi en prenant de l’âge. En deux soirées, j’ai eu l’occasion de déguster à l’aveugle, au milieu de très grands noms d’époque similaire, deux de ces crus l’un dans les millésimes 2004 et 1998, l’autre dans le millésime… 1947. À chaque fois, ces vins apparaissaient en pleine forme et d’une incontestable race, s’associant sans problème aux plus célèbres noms de Bordeaux, témoignant pour le moins de la valeur très élevée de leur terroir.
Il y a 25 ans, la découverte de ce que la presse américaine a nommé « Super Tuscans », ces vins toscans de grande ambition, mais aussi de grands terroirs parfois inédits, a permis de faire bouger les lignes d’un vignoble italien encore engoncé dans des habitudes et une image trop traditionnelle. En s’inspirant de cet exemple, je qualifierai bien ces inconnus célèbres de « Super Bordeaux ». Ils forment aujourd’hui une catégorie à part, exigeante et brillante, et leur rôle dépasse largement la mission d’apporter un supplément de découverte ou une pincée d’originalité dans une hiérarchie convenue. Je pense au contraire que ces vins peuvent judicieusement contribuer à rajeunir l’image globale de Bordeaux, à redonner envie aux amateurs de s’intéresser à nouveau à cette région qui, qu’on le veuille au non, produit bon nombre des plus grands vins du monde, mais qui pourtant ne fait plus rêver beaucoup de passionnés. Ces Super Bordeaux ré-enchantent le rêve bordelais.
Nous y reviendrons bientôt, nous avons les noms et nous les donnerons.