Deux heures d’attente à l’aéroport de Narita, au Japon, juste ce qu’il faut pour coucher sur le disque dur de mon ordinateur les réflexions qui me viennent à l’esprit au milieu de cette « tournée » asiatique qui nous mène, Michel Bettane et moi, de Tokyo à Shanghai puis de Shanghai à Hong Kong. La première impression est toujours la même. Quel fossé entre la perception qu’ont de la France les Asiatiques que nous rencontrons – Japonais comme Chinois, pour une fois d’accord – et celle que nous avons de nous-même. On parle souvent de french bashing pour évoquer le traitement à notre égard de certains de nos voisins européens. De fait, avant même nos amis anglais, les Français sont les champions du french bashing. En Asie, c’est au contraire de french loving dont il faudrait parler. Je suis toujours aussi épaté par la cote d’amour dont nous jouissons ici – ou plutôt là-bas pour vous – et plus encore par le fait que nous avons fait si peu pour la mériter. Si peu. En fait, sans nous en apercevoir, nous avons, générations après générations, créé un cadre de vie que cette partie du monde sinon nous envie, du moins idéalise.
Ce cadre de vie et je parle volontairement de cadre et non d’art de vivre (je trouve que le plus fort là-dedans est que 99,9 % des Français ne sont pas des artistes), on le connait bien, surtout vous et moi, un peu plus hédonistes que la majorité. C’est notre façon bien particulière d’avoir tous nos ports d’attache si indubitablement attachants, ce sont ces « repas à la française » qui n’ont pas attendu l’Unesco pour faire partie de notre ADN, ce sont évidemment les belles étiquettes qui dorment dans un coin de l’appartement pour les plus jeunes et dans cette cave soignée comme un jardin – avec gravier et arrosoir pour contrôler l’hygrométrie – pour les plus maniaques. Ce sont la Touh oieffel, wobushon et Mouton Wotchailde. Mais je sais bien que, revenu en France, au lieu de célébrer la Tour Eiffel, Robuchon et Mouton-Rothschild, on me bassinera avec la désindustrialisation, le suicide français et la déconfiture du PS (1).
D’accord, dans notre beau pays d’ingénieurs et de politiques, on rêve toujours d’une France qui serait un assemblage de l’Angleterre de la Révolution industrielle, couverte d’usines et de hauts-fourneaux, de la France de la Révolution avec un zeste des États-Unis de Roosevelt, montrant au monde la marche à suivre sans pour autant trop abreuver nos sillons d’un sang impur et le Brésil de Pelé, histoire d’écraser Allemands et Anglais au foot. Ben non. Contentons-nous de nos atouts, ils sont immenses. Les USA ont-ils honte d’Hollywood ? Faire des films de super-héros n’est tout de même pas moins anecdotique que produire de très bons vins. Et pourtant les deux font rêver le monde. Puissent les Français, leurs politiciens, leurs médias, vous et moi, en prendre conscience, en tirer fierté et idées pour entreprendre et, au final, faire avancer le pays plus sûrement que tous les pactes de simplification et les chocs de compétitivité qui ne sauraient tarder à être mis en place.