Le maire de Bordeaux, ancien Premier ministre, et le propriétaire du grand cru de Pauillac classé en 1855, Château Lynch-Bages, dessinent le portrait brillant et subtil de cette culture unique, celle de Bordeaux, et font l’éloge du vin, art de vivre universel. C’est mon cher Jean-Luc Barde qui a préparé cet entretien exclusif et recueilli les propos de nos deux nouveaux amis. Cet entretien a été publié le 1er décembre dans Mes Dimanches Vin, le supplément mensuel du Journal du Dimanche.
Le vin, c’est une histoire de famille ?
Jean-Michel Cazes : Je suis issu de l’immigration paysanne. Ma famille est descendue des hauteurs de l’Ariège, de cette région du Couserans peuplée à l’époque d’agriculteurs rudes et pauvres, les ouvriers « montagnols » tels qu’on les nommait en Médoc, venus s’installer en 1875. Le versant maternel était au service de la République. Ils étaient instituteurs. Je suis né de l’alliance de la pioche et du savoir. Nous sommes l’un des exemples de cette intégration prospère qui fait la richesse du Bordeaux viticole, terre magnifiquement ouverte sur le monde depuis des siècles. Nous sommes devenus une famille très cosmopolite. Ma femme est portugaise originaire du Mozambique ; ma fille aînée vit aux Etats-Unis où elle a épousé un Iranien, elle est américaine, et ses enfants aussi ; ma deuxième fille a épousé un Israélien, ses enfants sont américains également et sa famille habite aujourd’hui Bordeaux.
Lynch-Bages et vous, ça a commencé quand ?
J.-M.C. : C’est Jean-Charles, mon grand-père né à Pauillac, qui a acquis Lynch-Bages dans les années 30. Dans ma jeunesse la viticulture était un métier à haut risque économique, j’ai donc suivi des études, comme mon père André, qui fut assureur et maire de Pauillac pendant 40 ans. Enfant, je percevais Lynch-Bages comme un lieu de production de lait plus que de vin, et je voyais mon grand-père occupé davantage à l’étable qu’au chai. Les repas dominicaux étaient modérément arrosés de vin vieux et les enfants ne s’approchaient d’un verre de vin qu’une fois atteint l’âge de 14 ans. Jeune, j’ai séjourné un an en Amérique, je ne buvais là-bas que du Seven Up et du Coca-Cola.
Alain Juppé : Lourd handicap, cette conversation s’annonce mal. (rires)
J.-M. C. : C’est à Paris que le vin m’a envoyé son premier signe. Mon inculture était telle que lorsqu’un ami me fit part de la grande notoriété de lynch-bages et du plaisir qu’il avait à le boire, j’en fus profondément étonné. Un peu plus tard, mon oncle Marcel Cazes m’invita au Grand Véfour, tenu par Raymond Oliver avec à ses côtés un grand sommelier, Philibert Hénocq. Ce fut une révélation. Une vocation tardive, mais…lire la suite