Comme le champagne est un vin qui vieillit très bien, les Champenois ont l’habitude d’en oublier des rangs entiers au fond de caves parfaites. Ils savent s’en souvenir le moment venu. Voici ceux de Nathalie et Paul-François Vranken.
Comme tous les trésors retrouvés, celui qui porte le nom de « Millésimes d’Or » est d’abord une fascinante plongée dans le passé. En orchestrant ce retour émoustillant vers l’histoire glorieuse du plus spirituel des vins,
le champagne, Paul-François Vranken, fondateur de la maison éponyme, retrouve et unit aux siennes la mémoire de deux maisons essentielles. Vranken, c’est d’abord une success story partie de rien ou plutôt de l’ambition d’un jeune belge amateur de champagne qui s’installe à Reims et créée sa propre maison en 1976 avec pour tout pécule quelques 120 000 francs. L’entreprise grandit au rythme de l’appétit dévorant de son fondateur et de sa compréhension parfaite de cet univers en plein bouleversement qu’est alors la Champagne.
Le plus fameux vin pétillant de la planète a construit son aura sur des maisons et des marques créées par d’autres entrepreneurs, au XVIIIe, XIXe et, plus rarement, jusqu’au milieu du XXe siècle. Au début des années quatre-vingts, les dynasties à bout de souffle ont cédé la place à des entrepreneurs, tandis que le monde entre dans une nouvelle ère de consommation dans laquelle les marques fortes sont amenées à jouer un rôle essentiel. Bientôt de grands groupes de luxe ou des producteurs de spiritueux vont redessiner la carte du champagne, mais Paul-François Vranken sait à merveille s’immiscer au cœur de ce bouleversement pour transformer la saga seulement romantique d’un homme en construction d’un véritable groupe. Le pragmatisme a des vertus. Il acquiert ainsi successivement en 1998 puis 2002 Heidsieck-Monopole et Pommery. Deux monstres sacrés de la Champagne. Heidsieck-Monopole est l’un des trois Heidsieck (avec Charles Heidsieck et Piper-Heidsieck, aujourd’hui propriétés de Christopher Descours) issus de la dynastie créée en 1785 par l’Allemand Florens-Louis Heidsieck. Pommery, marque née en 1856, fut sous l’impulsion de Louise Pommery, veuve du fondateur, puis avec la famille de Polignac, l’un des seigneurs de Champagne tout au long de son histoire. En rachetant ces illustres et emblématiques signatures, Paul-François Vranken récupéra les stocks de bouteilles des deux maisons.
Trente et un millésimes de 1874 à 1969, vingt de 1970 à 1990 et voilà cinquante et une bouteilles qui passent en revue toutes les grandes années et celles qui ont acquis un statut de mythe, parmi lesquelles 1898, 1907, 1921, 1928, 1929, 1937, 1947, 1949, 1961, 1969, 1989, 1990. Reconditionnés sous la marque « Millésimes d’Or »,
ces flacons précieux sont pourtant restés exactement les mêmes que lorsqu’ils ont été mis en cave. « Les vins ont tous été dégorgés avant leur première commercialisation », explique ainsi Thierry Gasco, chef de cave de Pommery et gardien du trésor. « Je ne veux pas mettre sur le marché des vins fraichement dégorgés (1), mais des vins qui s’expriment de la manière la plus naturelle possible. Le principe est de proposer ces grandes bouteilles uniquement sur demande, après consultation des disponibilités et dégustation pour vérifier la qualité du cru. » Existant en différents formats (75cl, magnums et parfois jéroboams), ces merveilles racontent avec une vitalité surprenante une histoire séculaire et fascinante.
Après la seconde fermentation du champagne, les bouteilles sont conservées, parfois très longtemps, dans la cave, le vin étant au contact au contact des levures de fermentation. Ce dépôt est expulsé avant la commercialisation et remplacé par du vin et du sucre qui constitue le dosage du champagne. Cette opération est appelée « dégorgement ».
Thierry Desseauve