Olivier Leflaive, l’enchanteur

Tous les amateurs de grands blancs de Bourgogne ont un jour croisé la route des vins produits par Olivier Leflaive. À bientôt 80 ans, il continue à garder un œil attentif sur sa maison, désormais gérée en famille

Vous fêtez cette année les 40 ans de votre maison. Vous aviez envie dès le départ de laisser une trace durable dans l’histoire de la Bourgogne ?
Les Leflaive sont implantés en Bourgogne depuis dix-sept générations et mon grand-père Joseph a fondé son domaine après le phylloxéra en achetant 35 hectares de vignes. De mon côté, j’ai depuis l’enfance trois passions, la bonne chère, la musique et l’envie d’entreprendre. Autant dire que je souhaitais voler de mes propres ailes. Après mon école de commerce à Reims, je suis monté à Paris avec ma première femme pour me lancer dans la musique. Tous deux étions inscrits au Petit conservatoire de Mireille où je me suis lié d’amitié avec Hervé Cristiani. Je suis en quelque sorte devenu son impresario. J’ai également découvert Dick Annegarn dans le métro et je me suis occupé de lui quelques temps jusqu’à ce qu’il rencontre son premier succès avec la chanson Bruxelles et ne me quitte pour quelqu’un de plus « pro ». Au bout de huit ans de cette vie, je suis rentré à Puligny car mon père, qui gérait le domaine familial avec son frère, est tombé malade et m’a demandé de le remplacer.

Vous voilà co-gérant du mythique domaine Leflaive, en quoi cela consiste-t-il ?
Je suis arrivé en 1982 et j’ai été nommé par la famille au décès de mon père. Je travaillais avec mon oncle Vincent qui a été un personnage très important pour le domaine. Déjà, à cette époque, celui-ci était extrêmement réputé pour ses vins blancs. Commercialement, je n’avais pas grand-chose à faire. Nous proposions nos vins à notre clientèle en mars-avril et une semaine après, tout était vendu. Je faisais des dégustations, quelques voyages, un peu d’administratif, mais je me suis vite ennuyé. Fin 1984, une opportunité s’est présentée. Notre importateur américain, Frederick Wildman, m’a contacté pour que je lui fournisse des vins de la côte de Beaune. Le domaine étant fort dépourvu de ce côté-là, j’ai saisi cette occasion pour monter ma propre structure d’élevage et de vinification avec mon frère Patrick, que j’ai baptisée de mon patronyme.

Racontez-nous les débuts de cette nouvelle activité.
J’ai eu la chance de commencer avec le millésime 85, excellent en Bourgogne. Je suis allé voir les vignerons que je connaissais, bien aidé par mon oncle qui leur mettait une saine pression, pour qu’ils me vendent leurs raisins. Je les vinifiais et les élevais dans la cave de ma maison, mon salon était transformé en bureau et la salle de bain en laboratoire. C’était un peu la débrouille, mais ça a marché tout de suite. J’avais mis en place un système que je pratique encore aujourd’hui avec mes importateurs : « Vous commandez à la vendange, vous avancez la trésorerie et en contrepartie vous avez l’exclusivité à un prix attractif ». Dès 1985, j’ai fait du bénéfice. Incroyable, non ? Un succès dû à la qualité du millésime, à mon nom, qui était connu, et au fait que je n’ai peut-être pas trop mal travaillé. Cette année-là, on a réussi à produire 30 000 bouteilles.

Vous êtes resté longtemps à la fois à la tête du domaine et de votre maison ?
Spécialisée en vins blancs de la côte de Beaune, la maison a rapidement bénéficié d’une belle réputation. À tel point qu’en 1994, j’ai décidé de lui consacrer toute mon énergie. J’ai donc laissé la direction du domaine à ma cousine Anne-Claude, et j’ai récupéré mes vignes, ce qui, je ne vous le cache pas, a fait un peu grincer des dents dans la famille. Au fil du temps, j’ai pu racheter des parcelles, trouver des locaux plus grands pour vinifier et stocker, embaucher un maître de chai.

Aujourd’hui, la maison Leflaive est synonyme de grands blancs de Bourgogne. Quelle est l’étendue de votre gamme ?
Nous produisons 82 références sur 12 villages. Je peux, sans forfanterie, dire que je propose la gamme la plus étendue de blancs en Bourgogne. Cela représente chaque année entre 500 et 700 000 bouteilles, de l’appellation régionale aux grands crus, en passant par les villages et les premiers crus

Vous avez également développé une offre d’œnotourisme.
Comme je vous l’ai dit, j’ai toujours eu l’envie d’entreprendre. J’ai par exemple monté une affaire informatique, avec Jadot et Faiveley, qui a fini par faire faillite. Ensuite, j’ai essayé de créer une structure de logistique qui n’a pas fonctionné. Avec Jean-Marie Guffens, vigneron dans le Mâconnais, on a même tenté de transposer à Chablis le modèle que j’avais créé à Puligny-Montrachet, mais sans succès. En revanche, l’activité d’œnotourisme a très vite très bien fonctionné. On a débuté par une table d’hôte il y a vingt-quatre ans avant d’établir un hôtel-restaurant sur la place du village. On reçoit chaque année 10 000 personnes à qui l’on offre une table bistronomique au déjeuner et une cuisine gastronomique le soir. On leur organise des visites sur mesure du domaine, de nos vignes, et on les envoie même chez nos confrères vignerons. C’est aujourd’hui ma fille Julie et son époux qui gèrent cette activité, avec beaucoup de talent, il faut le reconnaître.

Votre nouveau défi, c’est d’avoir créé une marque de champagne.
C’est d’abord l’histoire de mon gendre, Jean Soubeyrand, qui nous a rejoint en 2007 et qui est devenu le président du directoire de la maison. Autant dire que c’est désormais mon patron ! Un jour, je lui ai expliqué qu’il était entré dans une famille d’entrepreneurs et qu’il fallait donc qu’il mène son propre projet. Il a immédiatement pensé à la Champagne, mais dans une approche bourguignonne. C’est ainsi qu’est né le champagne Valentin Leflaive, en 2015. Nous ne possédons pas de vignes, nous achetons les raisins à des vignerons et nous les vinifions nous-mêmes. On fait un peu d’assemblage, notamment sur nos deux blancs de blancs et notre rosé, mais nous produisons surtout des cuvées parcellaires en monocépage issues de Cramant, Oger, Verzy, Verzenay ou Avize. Tous nos champagnes sont dosés en extra brut, voire brut nature. Nous produisons actuellement 70 000 bouteilles par an, dont 10 % sont consommées dans notre restaurant, mais nous achetons l’équivalent de 100 000 bouteilles. On a recruté un chef de cave, Elysé Brigandat, qui a fait ses armes chez Louis Jadot, en Bourgogne, avant de travailler pour la maison de champagne familiale Drappier. Ce projet est vraiment à l’image de ce que l’on a développé en Bourgogne : produire des vins d’excellence.

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