Ludovic du Plessis : « Le vin est bon si la terre est belle »

En Champagne, le pari du bio est un risque considérable. C’est pourtant la voie prise par la maison Telmont et son président, Ludovic du Plessis. Avec pour boussole la création et le respect du consommateur


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Propos recueillis par Valentine Sled

Comment a débuté votre histoire avec la Champagne ?
J’ai débuté ma carrière dans le monde des cigares. Il m’a permis de découvrir celui du champagne lors d’une dégustation d’un cigare Trinidad en accord avec une cuvée de Dom Pérignon. Richard Geoffroy, le chef de cave à cette époque, était présent pour cet événement. Je suis tombé amoureux de l’homme et de sa vision. J’ai démissionné pour travailler avec lui et je suis devenu responsable marketing France de la maison trois mois plus tard. J’y ai travaillé pendant dix ans, dont cinq aux États-Unis. On m’a ensuite proposé de m’occuper du cognac Louis XIII de Rémi Cointreau. J’y ai passé quelques années, mais l’envie de revenir vers le champagne m’a rattrapé.

Pourquoi Telmont ?
En 2019, j’ai eu envie de devenir moi-même entrepreneur, en cherchant à acheter une maison de champagne. Mais pas n’importe laquelle, le projet devait répondre à quatre critères primordiaux. D’abord, avoir une histoire. Telmont est née en 1912 à la suite de la révolution des petits vignerons de Champagne de 1911. Ensuite, je voulais un family business, une entreprise marquée par un héritage familial. Bertrand Lhopital, mon associé chez Telmont, est le représentant de la quatrième génération de la famille fondatrice de cette maison-domaine. Il fallait aussi de très bons vins et la bulle aérienne et le style minéral de Telmont m’ont tout de suite conquis. Enfin, je recherchais une maison en cours de conversion bio, pour donner du sens à mon projet. Et c’était quasiment impossible dans un contexte où la Champagne n’avait que 5 % de ses vignes certifiées bio à l’époque.

Comment s’est structuré ce projet ?
J’ai convaincu Bertrand de s’associer avec moi, puis j’ai présenté le projet à Rémi Cointreau qui a tout de suite été séduit, surtout par la volonté de ne faire aucun compromis environnemental. Début 2020, nous étions donc trois actionnaires, dont Rémi Cointreau, majoritaire. En 2022, j’ai proposé à mon ami Leonardo di Caprio, que j’ai rencontré il y a quinze ans à Los Angeles, de rejoindre le projet. Nos échanges sur la question environnementale ont toujours été très intéressants, c’est d’ailleurs lui qui m’y a initié. Il m’a paru évident de lui parler de Telmont car il est devenu l’une des figures les plus influentes sur le sujet du réchauffement climatique via sa fondation Rewild, avec laquelle il lève des millions. Il a adhéré au projet et il est ainsi devenu le quatrième partenaire.

Certains ont vu dans ce rapprochement avec la star hollywoodienne une opération de communication. Était-ce le cas ?
Absolument pas. Telmont est tout sauf le champagne de la célébrité. Leonardo n’est pas le visage de la marque, c’est un investisseur, et son engagement envers le climat a du sens pour nous. Mais tout cela n’a d’importance que si le vin est bon. Et Telmont, pour moi, fait partie des meilleurs champagnes au monde. Je peux l’affirmer après avoir passé dix ans chez Dom Pérignon.

Comment définiriez-vous le style Telmont ?
Ce sont des champagnes très peu dosés, avec une belle tension, tout en ayant de la matière. On le doit à notre choix de privilégier le chardonnay pour sa minéralité et le meunier pour son fruit, en intégrant un peu de pinot noir, surtout de premiers crus, pour donner de l’envergure et de la profondeur. Les bulles sont extrêmement délicates, elles donnent cette légèreté aérienne au vin. Nous poussons aussi les vieillissements, au minimum trois ans, pour aller chercher de la gourmandise là où on évite le surdosage. Je suis particulièrement fier de notre cuvée Réserve de la Terre, certifiée bio. La démarche est assez similaire à celle qui donne notre brut classique, avec une majorité de pinot meunier dans l’assemblage et une recherche de terroirs qualitatifs, notamment à Damery, fief historique de la maison. Ce vin est vivant, lumineux, énergique. Je l’appelle le happy wine, il est pour moi le futur de Telmont. L’année dernière, on en a produit environ 65 000 bouteilles et plus de 200 000 cette année.

La conversion au bio est donc déjà bien engagée. Où en êtes-vous ?
Les 26 hectares de Telmont sont déjà certifiés ou en conversion. Nous travaillons avec des partenaires sur environ 65 hectares répartis sur différents terroirs de Champagne, dont une bonne partie nous ont suivi dans ce projet. Sur ce total de 92 hectares, nous pouvons affirmer aujourd’hui que près de 70 % sont en voie d’être certifiés et que seulement 30 % restent en conventionnel. Au niveau de nos cuvées, sur un total de 650 000 bouteilles, plus de la moitié sont bio aujourd’hui.

Et un peu plus que ça, même.
Nous avons décidé de supprimer les coffrets cadeaux, d’arrêter l’utilisation de bouteilles transparentes au profit de bouteilles vertes 100 % recyclables, issues à 85 % de verre recyclé, plus légères que les bouteilles classiques champenoises, de nous approvisionner intégralement en énergie renouvelable et de nous tourner vers des modalités d’expédition plus vertes.

Ce discours peut être considéré par certains comme une forme de green washing. Que leur répondez-vous ?
Que l’enjeu est d’agir concrètement, sans faire aucun compromis. Nous voulons diminuer notre empreinte carbone de 90 % à l’horizon 2030. Cela commence par le sol. On tient avant tout à respecter la biodiversité, ce qui implique forcément de passer intégralement en bio. Nous sommes pour l’agriculture régénérative, mais aussi pour une viticulture « organique ». Les deux sont liées. Quant à nos bouteilles et nos packagings, je considère que c’est notre devoir d’initier le mouvement. Si ce ne sont pas les grandes maisons qui montrent l’exemple, personne n’osera le faire. Nous sommes d’ailleurs la maison la plus engagée sur le plan des actions environnementales et cet engagement ne me semble pas incompatible avec la production d’un certain volume. Il suffit juste de faire preuve de bon sens.

Vous considérez qu’il est urgent de se pencher sur ces sujets.
Il n’y a pas de petites actions. Certaines peuvent apparaître comme du détail alors qu’elles ne le sont pas, d’autant plus quand on produit des quantités importantes. En tant que marque de luxe, nous nous devons d’être irréprochables d’un point de vue environnemental. C’est notre mission d’anticiper les devoirs, pour répondre à tous ces défis. On ne cherche pas seulement à réduire notre empreinte carbone, nous voulons changer radicalement l’essence de notre démarche. En cela, nous ne pouvons pas être soupçonnés de faire du green washing.

L’effet post-pandémie se ressent sur les ventes de champagne. Comment s’en sort Telmont ?
Grâce au repositionnement de notre marque, nous avons la chance de pouvoir traverser cette dépression sans être trop affecté. Notre croissance est à deux chiffres depuis trois ans. Si 70 % des ventes se faisaient en France il y a quelques années, nous exportons désormais 90 % de notre production. Comme nous sommes atypiques sur le marché du champagne, notre discours résonne à l’étranger, notamment au Japon et aux États-Unis, pays très demandeurs de champagnes à forte valeur ajoutée.

Quelle est votre rôle au sein de la maison ?
Je suis l’un de ses ambassadeurs. Je pense que mon véritable atout est ma capacité fédératrice. Je cherche à insuffler une énergie positive et je veille à ce qu’elle soit partagée par tous nos collaborateurs. D’ailleurs, j’ai initié le collectif Telmont qui rassemble des artisans, des entrepreneurs, des cuisiniers, autour de cette sensibilité commune « au nom de la Terre ». Ce collectif ressemble à nos raisins, il est organique. Pas de contrat ni de contribution exigée. Nous voulons simplement partager nos expériences et nos ondes positives. On se réunit une fois par an pour réfléchir à nos problématiques respectives et s’inspirer mutuellement. Tout cela est encore une fois possible si le vin est bon. Et le vin est bon si la terre est belle, c’est un cercle vertueux.

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