Le meilleur des deux mondes

Entre Bourgogne et Champagne, avec ses paysages magnifiques, son histoire complexe et ses terroirs spécifiques, le secteur des Riceys a de sérieux atouts. Arnaud Fabre le sait bien et conduit le domaine Alexandre Bonnet vers le sommet


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« En passant à cet endroit en compagnie de Didier Mêlé, notre chef de culture, je me suis dit que l’on ne pouvait faire que des bons vins dans un paysage aussi beau », explique Arnaud Fabre, le président d’Alexandre Bonnet, domaine champenois installé aux Riceys, dans la vallée de la Laignes, au cœur du Barséquanais. Il faut dire que le paysage a de quoi inspirer. Situé à la frontière entre Champagne et Bourgogne, le village des Riceys a longtemps été tiraillé entre les deux régions. Autrefois divisé en trois bourgs (Ricey-Bas, Ricey-Haute-Rive et Ricey-Haut), la commune fut finalement rattachée administrativement à la Champagne en 1927. Ce qui ne l’a pas empêchée de garder depuis un fort ancrage bourguignon, visible dans son vignoble qui peut produire sous trois appellations, une pour les vins effervescents et deux pour les vins tranquilles : champagne, coteaux-champenois et rosé des Riceys. Cette situation particulière a sans doute nourri la vision d’Arnaud Fabre au moment de donner un nouveau souffle et un cap à suivre au domaine. Une ambition aussi, puisque l’idée est d’élaborer des champagnes comme des vins de lieux, capables d’exprimer le terroir de l’endroit, différent de celui que l’on retrouve majoritairement en Champagne. Le calcaire kimméridgien, répandu dans cette partie de la côte des Bar, est celui de la Bourgogne. Propice au pinot noir grâce à ses capacités naturelles de drainage, il permet au cépage de s’exprimer avec élégance et style.
Acquis par le groupe Lanson-BCC en 1998, le vignoble Alexandre Bonnet était depuis longtemps une référence du secteur proposant une gamme de champagnes classique et recommandables. La nouvelle direction prise par Arnaud Fabre et ses équipes impliquait de mettre le vignoble au cœur du projet. Propriétaire de près de cinquante hectares de vignes, une taille conséquente, le domaine a fait le choix de se recentrer sur ses terroirs pour montrer aux amateurs le formidable potentiel des Riceys, notamment de ses lieux-dits, localement nommés « contrées ». Situé sur un coteau spectaculaire, le lieu-dit La Forêt est l’objet de toutes les attentions. La vigne y donne des raisins qui permettent d’élaborer quatre vins : un champagne rosé de macération, un blanc de noirs, un coteau-champenois et un rosé des Riceys. Autre « contrée » importante, celle dite des « sept cépages », où sont complantés les sept cépages historiques de la Champagne (pinots noir et meunier, chardonnay, blanc vrai, buret, arbane et petit meslier). La parcelle a aussi un intérêt expérimental pour étudier les effets des dérèglements climatiques. Le domaine y a multiplié les initiatives pour maintenir une biodiversité forte : plantation d’arbres fruitiers, chênes truffiers, jachères mellifères, tonte tardive des espaces enherbés, etc. Autre curiosité, une petite parcelle d’arbane, cépage rare et autochtone de la région, si rare d’ailleurs qu’elle représente à elle seule près de 10 % de la surface plantée du cépage dans le monde.

Un cap à suivre
Arnaud Fabre s’est aussi entouré d’une équipe prête à le suivre dans cette démarche ambitieuse. Il peut compter sur Irvin Charpentier pour explorer le goût que peuvent donner les terroirs des Riceys. Jeune chef de cave, ce dernier s’appuie sur l’expérience de Didier Mêlé, le chef de culture, amoureux du secteur. L’autre prérequis à cet « envol » consistait en une réorganisation de la gamme des vins proposés. Outre les assemblages (un blanc de noirs, un rosé et un blanc de blancs), production principale du domaine, chaque « contrée » donne une cuvée parcellaire effervescente (le rosé de macération La Forêt, la cuvée 7 cépages et deux blancs de noirs, Les Vignes Blanches et Hardy) ou tranquille (un rosé des Riceys et deux coteaux-champenois). Âme du domaine, le rosé des Riceys élaboré depuis 1985 est un vin de macération coloré et complexe, semblable à un grand pinot noir, pouvant se déguster jeune comme après un long vieillissement. Autant de singularités propres à la situation du domaine, situé à mi-chemin entre deux régions viticoles aux particularismes forts. Arnaud Fabre en a fait sa force. Ils nourrissent sa réflexion, sa vision de l’avenir et sa stratégie. Sans s’éloigner de l’héritage historique, l’objectif est de faire « les meilleurs vins des Riceys, mais aussi de mettre la lumière sur ce petit bout de Champagne, cette côte des Bar sauvage, préservée parce que loin de tout, et qui fait le luxe qu’on a aujourd’hui ». Il a déjà d’autres projets, comme un blanc de blancs parcellaire élaboré à partir d’arbane et de blanc vrai (pinot blanc), pour faire encore briller les cépages autochtones de ce vignoble superbe qui gagne tant à être connu.

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