Château Kefraya, toujours plus haut

Les aléas climatiques combinés à la crise économique et les guerres n’ont pas eu raison de la détermination du domaine libanais à aller de l’avant, bien au contraire. Kefraya, expérimente, étudie son terroir, innove et converti ses 300 hectares de vignes à l’agriculture biologique. Explications

Les vendanges de 2024 au Liban, exceptionnellement précoces pour Château Kefraya, ont commencé le 6 août, une date sans précédent pour le domaine. Tous les cépages ont simultanément atteint leur maturité, ce qui a imposé une adaptation rapide pour éviter la perte de la récolte. La disponibilité de la main-d’œuvre, notamment des « badaoui » (les bédouins), a permis de répondre à cette urgence, soulignant la dépendance du secteur viticole vis-à-vis de la main-d’œuvre saisonnière.

Le fardeau géopolitique
Cette précocité s’accompagne aussi d’une pression politique accrue. En raison de l’instabilité géopolitique, les viticulteurs travaillent sans visibilité, ce qui engendre un stress constant. « Nous travaillons au jour le jour, nous ne savons pas si demain nous allons pouvoir continuer à exister », explique Fabrice Guiberteau, œnologue de Kefraya. Les affrontements entre le Hezbollah et Israël accompagnés de la peur d’une guerre régionale font stopper la consommation de vin et la visite des régions comme la Bekaa, traditionnellement fréquentée pour ses domaines viticoles. Le restaurant de Kefraya a ainsi été en partie à l’arrêt depuis janvier, et les expatriés libanais, qui généralement reviennent au pays l’été, n’ont pas répondu présent.

La crise économique
La crise économique qui frappe également le Liban est très profonde. Le marché intérieur est pratiquement à l’arrêt, tandis que les exportations, notamment vers l’Europe, les États-Unis et les pays scandinaves, deviennent vitales pour la survie du domaine. La reconnaissance et la consommation des vins libanais sur ces marchés assurent donc la pérennité de l’exploitation dans un contexte de crise économique et de guerre.

Le village de Kefraya dans la Bekaa, protégé par deux chaînes de montagne, est un paradis pour la vigne.


Le bio, un pari audacieux

En dépit de ces difficultés, Kefraya s’est lancé dans une démarche audacieuse : la conversion à l’agriculture biologique de ses 300 hectares de vignes. Fabrice Guiberteau explique que « contrairement à l’idée reçue selon laquelle une grande propriété ne peut être certifiée bio, le domaine a opté pour la certification européenne CCPB, contrôlée par un organisme italien présent au Liban. » Cette démarche de grande ampleur, première en son genre dans le pays, permet de garantir une production respectueuse de l’environnement. Cette transition vient accompagner une gestion parcellaire très minutieuse. Pour l’œnologue, « la qualité se fait à la vigne ». Le millésime 2020 est ainsi le premier à être entièrement certifié bio.

Fabrice Guiberteau (œnologue), Édouard Kosremelli (directeur général) et Émile Majdalani (directeur commercial) dans le vignoble de Kefraya. Au fond, l’Anti-Liban, chaîne de montagne qui sépare le Liban de la Syrie.

L’intra-parcellaire
L’approche parcellaire est aussi au cœur de la stratégie du domaine. Chaque cuvée est pensée en fonction de son terroir d’origine. Pour les plus prestigieuses, comme le Comte de M ou le château, seules les parcelles les plus qualitatives, situées entre 960 et 1050 mètres d’altitudes, sont utilisées. Plantées en cabernet-sauvignon (en 1995) et en syrah (dans les années 2000), elles sont identifiées pour donner des raisins de qualité, même dans des configurations climatiques difficiles. « La conversion au bio, l’utilisation de levures indigènes et l’élevage en amphore (en partie) renforcent la qualité et l’authenticité des vins de Kefraya », explique l’œnologue. Cette démarche permet aussi de répondre à une demande croissante de vins bio à l’international.

 

La dégustation de Thierry Desseauve

Château Kefraya, rouge 2019
Le nez dévoile des notes de fruits
rouges parfaitement mures.
En bouche, l’ensemble frappe
par son énergie et sa tonicité.
Le corps charnu est porté par une structure tannique fine et affirmée accompagnée d’une trame acide bien intégrée.
94/100
Comte de M. 2018
Ce comte-de-M, au nez intense de fruits rouges et noirs affiche une robe profonde, des tannins fins et une finale longue et veloutée.
95/100

À lire aussi