Vieux Château Certan, un siècle de lumière

Grandiose, immense, mythique, le pomerol de Vieux Château Certan cumule les superlatifs. C’est le succès d’une famille qui fait durer cette prouesse depuis plus de cent ans


Retrouver cete verticale  dans En Magnum #37. Vous pouvez l’acheter en kiosque, sur notre site ici, ou sur cafeyn.co.


Dans le vaste patrimoine des crus bordelais, Vieux Château Certan, souvent abrégé VCC par ses intimes, est à la fois l’une des propriétés les plus mythiques et les plus discrètes. Mythique, VCC l’est d’abord par sa situation géographique. Installé au cœur du plateau de Pomerol, croisant en son sud les châteaux Cheval Blanc, La Conseillante et L’Évangile, au nord-est Petrus et Lafleur, à l’ouest Trotanoy et tant d’autres noms illustres, le vignoble de Vieux Château Certan est une représentation idéale de son appellation, avec ses trois terroirs associés ou plutôt intimement imbriqués sur quatorze hectares. Les sols argileux y sont très présents, même si une terrasse de graves spectaculaires affleure par endroits ; ils offrent un terrain idéal pour le merlot qui trouve ici une expression profonde et marquante, d’une grande singularité. La forte présence de ce sol argilo-graveleux favorise aussi l’expression du cabernet franc, qui atteint aujourd’hui 25 % de l’encépagement du vignoble de VCC après avoir été replanté dans les années 1980. Les sols les plus graveleux permettent au cabernet-sauvignon (5 % du vignoble) de constituer un complément d’expression très racé et toujours très frais.

L’histoire d’une famille
Au-delà de son exceptionnel terroir, la singularité de VCC tient dans la personnalité de ceux qui l’incarnent depuis maintenant un siècle, la famille Thienpont. Négociants en vin depuis 1942, ces Flamands travailleurs et prospères s’intéressèrent avec passion au vignoble de Bordeaux. Propriétaires en 1921 du château Troplong-Mondot (cédé en 1934 aux Valette, une autre famille fameuse de la rive droite), les Thienpont firent l’acquisition de cette propriété majeure de Pomerol en 1924. À l’époque et durant longtemps encore après, Georges Thienpont, marchand talentueux et amoureux fou de sa propriété, mit en bouteille son vin soit au château, soit dans les chais du manoir d’Hof te Cattebeke, dans le village flamand de Maarkedal où la famille vit et travaille. Les enfants, petits-enfants et désormais arrière-petits-enfants de Georges ont perpétué l’œuvre familiale. Parmi ceux-ci, Jacques, par ailleurs seul propriétaire de l’illustrissime Le Pin, continue la mission de négociant en vin en Belgique tandis que son cousin Alexandre s’est installé à VCC pour diriger le vignoble et les vinifications, comme son père Léon avant lui. Son fils Guillaume l’aide désormais.

La verticale
C’est dans le manoir historique d’Hof te Cattebeke que nous avons pu réaliser une dégustation rare et exceptionnelle, avec des bouteilles venant pour la plupart de la cave de cette propriété et n’en ayant jamais bougé auparavant. De 1923, premier millésime commercialisé par Georges Thienpont (mais non produit par lui-même), à 2020, le voyage dans ce cru toujours mené par cette attachante famille révèle certaines périodes proprement extraordinaires (en particulier la décennie 1940) ainsi que de nombreux vins démontrant avec force encore aujourd’hui la personnalité unique de VCC. Cette singularité est certainement due à son terroir remarquable, mais aussi, assurément, à la continuité et à la cohérence du travail de cette famille hors norme. Nous n’avons noté les vins sur 100 qu’à partir des années 1990. Notre appréciation des millésimes antérieurs dépend trop de paramètres liés à l’état de la ou des bouteilles dégustées pour que nous utilisions une telle échelle. Nous avons donc établi un barème composé d’étoiles (allant jusqu’à cinq) pour donner une indication de l’émotion ou du plaisir procuré par notre dégustation.

 

De 1923 à 1948

1923
Le dernier millésime d’avant l’ère Thienpont, mis en bouteille par Georges Thienpont. Robe acajou, très joli floral, cuir fin, bouquet magnifique plein de charme. Bouche tendre et délicate, d’une grande fraîcheur, les tannins sont cependant présents et laissent une finale droite, épurée, persistante sur le floral. Mémorable.

1925
Robe de belle profondeur, brillante et intense. Distinction du fruit, fraîcheur délicate, charmeur et plus en liberté que le 1923, mais sa persistance est moins affirmée.

1928
Charme subtil malgré une acidité volatile présente : il séduit par sa finesse florale et sa délicatesse dans un registre en dentelle. Pour l’avoir plusieurs fois dégusté, Jacques Thienpont assure que le flacon du jour n’est pas à la hauteur des meilleures bouteilles du millésime.

1934
Robe assez profonde et bouquet sur les notes de pivoine et de cuir (même si le bouchon n’est pas absolument parfait). Charnu et tannique, puissant et séduisant, impressionnant par sa longueur et sa fraîcheur tonique. Le caractère frais du cru s’affirme toujours, même quatre-vingt-dix ans après sa naissance.

1936
Robe élégante, assez fluide mais avec une brillante teinte rubis. Le nez est délicat, sur les notes de fleur et de fruits séchés, bouche tendre et longue, avec de la finesse et de la délicatesse, c’est un vin long et frais, auquel on s’attache facilement.

1940
Robe profonde, presque opaque. Fruit profond, bouche charnue, avec de la sève, de l’intensité et de l’équilibre. Magnifique par son amplitude et son intensité entre longueur et fraîcheur, grand tannin « moderne » et mûr. Le premier chef d’œuvre d’une décennie magique.

1942
Robe profonde, bouche charnue et intense portée par un tannin puissant, grande longueur. La finale est un plus sèche que celle du 1940, mais affiche une grande profondeur.

1943
Robe brunie et fatiguée. Malgré une évolution marquée, le vin a gardé une matière dense et profonde dont on apprécie la sève, le tannin ferme et la grande intensité finale.

1945
Dès la robe d’une teinte juvénile et d’une profondeur impressionnante, on comprend que l’on est devant un monument. Bouquet magnifique d’intensité et de fraîcheur, grande vigueur et profondeur en bouche, avec un grain de tannin magique et une allonge époustouflante. Immense vin à la hauteur de ce millésime mythique.

1947
Robe profonde, un peu de volatile, mais de la fraîcheur florale et une grande maturité aromatique. Bouche enveloppante, séveuse, voluptueuse, avec une allonge savoureuse et onctueuse. Le plaisir et la vigueur définissent un profil énergique, moins monumental que le 1945, mais d’une fantastique originalité.

1948
Dernier millésime extraordinaire de cette incroyable décennie, ce 1948 impose une personnalité sereine et lumineuse. Robe profonde, nez fin, délicat et intense, d’une grande fraîcheur. L’harmonie domine, tout est serein, profond, frais, précis, long et brillant. Parfait vin d’équilibre.

 

De 1946 à 1988

Plusieurs millésimes de cette période ont été dégustés pendant le dîner qui a séparé les deux sessions principales de dégustation. Nous retranscrivons ici de manière rapide (et parfois elliptique) notre impression sur ces vins.

1946
Vin droit, ferme, linéaire et frais.

1950
Élégant, complet, droit et minéral.

1952
Épicé et fumé, avec un petit manque de netteté aromatique, mais porté par beaucoup de corps.

1953
Quelques notes de champignon et un peu de volatile, mais de la finesse et de l’intensité.

1955
Magnifique par sa grande fraîcheur et son intensité.

1959
Complet, ample, profond par sa grande sève.

1961
Une impression aromatique qui manque un peu de finesse, mais un vin ample, généreux et profond.

1962
Un magnum fatigué, mais une bouteille florale et brillante, élancée et svelte, d’une grande profondeur.

1964
Profond et magnifique de fraîcheur.

1966
Grande fraîcheur pure et élégante.

1970
Evolué, mais avec de la vigueur.

1971
Solide, mais de la rondeur en bouche et beaucoup de fraîcheur

1975
Belle réussite avec de la vigueur et de la droiture

1988
Savoureux par sa bouche charnue et matière consistante.

 

De 1982 à 2000

1982
Aujourd’hui très agréable à déguster, souple et en suavité. Bouquet sur les notes florales et les fruits compotés. Bouche gourmande et savoureuse, tannin mûr et souple, allonge brillante.
96

1983
Quarante ans plus tard, ce millésime fameux pour Vieux Château Certan est à la hauteur de sa légende. Robe élégante, fraîcheur fruitée, longueur brillante. Notes truffées, allonge épurée, grande classe, brillant et intense, savoureux et long, droiture parfaite, fraîcheur superlative.
99

1985
Robe profonde et assez jeune, nez de cuir et truffe, le floral arrive ensuite. Il y a de la densité, peut-être moins de charme immédiat que les 1983 et 1982, mais de la profondeur et de l’intensité. Même si le vin est dans sa maturité, il a encore beaucoup de potentiel. Bel équilibre frais.
95

1989
Robe brunie mais vive, nez épanoui sur un grand registre floral. En bouche, c’est ample et voluptueux, avec une fraîcheur brillante et un charme ample et savoureux. Belle persistance aromatique.
97

1990 (en magnum)
À la hauteur de la réputation et du style du millésime. Robe profonde, nez fin, concentré sur les petits fruits compotés. Allonge mûre, tonicité et dynamisme, beaucoup d’allant, entre souplesse et concentration. Vin brillant et intense.
99

1996
Robe profonde, grand fruit précis, allonge mature et harmonie brillante, volume onctueux et plein d’énergie, bouteille admirable.
98

1999
Gourmand, suave et velouté, il affiche cette générosité voluptueuse parfaitement fraîche et équilibrée, facile d’approche mais donnant beaucoup de plaisir.
96

2000
Robe assez profonde (reflets acajou), notes de petits fruits rouges confits, fines épices. Onctuosité en bouche, mais tannin ferme et mature, finale veloutée sur la crème de pruneau. Séduction fine.
96

2001
Robe assez vive, nez discret sur l’écorce d’orange et les fruits secs. Le floral se révèle dans une bouche droite, aux tannins fins, linéaire et persistante. Vin vertical et racé.
95

2002
Grenat acajou fin, avec une chair délicate et une fraîcheur florale superbe, corps épanoui et charmeur, qui allie allonge persistante sur le floral et les petits fruits rouges avec une sapidité magnifique et tendre.
95

2004
Robe aux reflets brunis, notes de pruneau et d’orange sanguine confite, allonge veloutée, tannin fondu et harmonieux, avec du velours et de la séduction, le corps affiche moins de persistance que les 2000 et 2001 et moins de fraîcheur que le 2002.
94

2005
Grande robe juvénile et profonde, maturité du fruit impressionnante avec ses notes de fruits rouges et d’épices fines, beaucoup d’amplitude et de générosité en bouche, trahissant un merlot mûr. Plus grand pomerol que vraiment dans le style VCC. Riche et complet, fraîcheur intense en finale, hédoniste en diable.
97

2006
Robe profonde et vivace, nez floral et fruits rouges frais, avec des touches minérales. En bouche, droiture brillante, intensité, verticalité avec de la chair, un VCC iconique, avec une allonge profonde.
98

2008
Robe vive, nez floral et sur les notes de fruits rouges, dimension verticale, élancée et tonique, ultra séduisant par l’énergie apportée par le cabernet franc, allonge svelte et intense. Le cabernet franc s’affirme dans ce millésime à forte personnalité.
97

2009
Robe profonde, grand fruit mûr, bouche spectaculaire, onctueuse et riche, superbe de générosité avec de la fraîcheur, de l’intensité et un équilibre ample et gourmand. On retrouve sa longueur savoureuse avec une grande fraîcheur.
98

2010
Puissant, dense, solide et épicé, la fraîcheur revient ensuite avec beaucoup de volupté et un charme onctueux. Très généreux et encore massif, il est capable de vieillir longtemps.
98

2011
Robe profonde, fraîcheur florale brillante, délicatesse élancée, charme brillant, onctuosité fine de la chair, allonge pleine de sève, fraîcheur épicée, style brillant avec moins de profondeur et de potentiel de garde que les 2009 et 2010.
97

2012
Robe jeune et assez vive, nez plutôt discret à ce stade, un rien végétal, mais la bouche fruitée est charmante, fraîche et croquante.
94

2014
Gourmand, tendre, avec une souplesse harmonieuse, bouche fruitée, florale et toujours un peu végétale. Charmant et prêt à boire.
94

2015
Une magnifique rencontre entre puissance, opulence, fraîcheur et intensité. Grand millésime, associant beaucoup de séduction générosité et saveur.
98

2016
Tonicité et intensité, fraîcheur fruitée, minéralité profonde, longueur intense et brillante, potentiel magnifique.
99

2017
Notes de mûres, bouche gourmande et tendre. Vin charmeur et fruité, avec beaucoup de fraîcheur et une dimension néanmoins plus limitée que celle des millésimes suivants.
94

2018
Grande classe, spectaculaire par sa droiture, son intensité et sa profondeur, racé et précis, tannin sculptural, énergie brillantissime et fraîcheur unique. Assurément un millésime de légende pour VCC et le début d’une nouvelle période de grâce pour le cru.
99

2019
Ample, gourmand, riche et généreux. Profondeur musclée, saveur délicate et beau potentiel entre opulence et fraîcheur.
97

2020
Magnifique réussite dans un millésime de grand potentiel. Profondeur florale brillante, allonge savoureuse, fraîcheur et verticalité. Il entre incontestablement dans la légende du cru.
99

À lire aussi