Ostiane Icard, le visage du mythe

En Magnum avait laissé le domaine de Trévallon entre les mains d’Éloi Dürrbach. Trois ans après sa disparition, c’est sa fille, Ostiane Icard, qui a entrepris d’écrire la suite, avec le même talent


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Importateurs, cavistes, bien d’autres encore, voient Éloi dans son visage. Il est là, dans les traits sans doute, dans cette rondeur pouponne dégagée par une queue de cheval et égayée par deux grands yeux couleur noisette. Dans les expressions bien sûr, comme toutes les filles qui ressemblent terriblement à leur papa. Pour Ostiane, Éloi n’est jamais vraiment parti. Le créateur du domaine de Trévallon est là, comme il était là avant sa mort soudaine entre la cave et la fontaine de la cour, en novembre 2021. « On n’avait pas besoin de parler », raconte-t-elle, loquace et enjouée. « J’ai appris en l’écoutant parler aux clients, au banquier, aux employés. Je crois que j’ai pris une partie de sa personnalité. » Une relation exceptionnelle, faite de silences complices et de confiance mutuelle : « Je m’en suis rendu compte après l’avoir perdu. Il disait qu’il fallait accepter les choses que l’on ne maîtrise pas ». Dans le mas entouré de platanes vit désormais seule sa mère, Floriane. Ostiane s’est installée avec son mari et ses deux enfants, Lauriane, 12 ans, et Lilian, 9 ans, dans un cocon à quelques kilomètres de là. Des trois enfants des Dürrbach, c’est elle qui a mordu à l’hameçon, très jeune, même si Isoline et Antoine restent très attachés au domaine familial. Elle goûtait volontiers, passait son temps à la cave, étiquetait et enveloppait les bouteilles du précieux papier de soie. Elle s’est formée en commerce et en jobs variés qui lui ont donné de l’expérience pour ce métier multitâche. En 2009, elle a 24 ans, elle se sent mûre : « Papa était ravi que je revienne. Il venait de rompre avec son importateur américain, Kermit Lynch, et avait besoin d’aide ». Elle est habitée par ses grands-parents, les artistes René et Jacqueline Dürrbach, qui avaient donné la terre où tout a commencé, dans les années 1970. « Ils m’ont transmis la patience, l’écoute, la connexion de l’art à la nature, à la matière, aux éléments naturels, au mariage plante, terre, bois. » Nous faisons le tour du domaine. Les treize hectares sont morcelés entre trente-cinq parcelles que la jeune femme me décrit par le menu. À chaque tournant se trouve une nouvelle vigne avec son cépage, sa personnalité propre, chaque pied unique issu d’une sélection massale orchestrée par le pépiniériste Lilian Bérillon.

Une simplicité biblique
Le Gaudre, ruisseau qui court entre les communes de Saint-Etienne-du-Grès et de Saint-Rémy-de-Provence, sépare aussi le mas Chabert – où se dore essentiellement la syrah – des vignes de Trévallon. Là s’enchaînent des poches de calcaire plantées de cabernet-sauvignon, mais aussi une parcelle de cinsault car « c’est le moment de ce cépage », déclare Ostiane, trois cents pieds de muscat, « la touche d’épice pour le blanc », jubilait Éloi, et plus loin encore, le chardonnay. La vigneronne est soucieuse du réchauffement climatique qui menace Trévallon malgré la fraîcheur naturelle apportée par la pinède et les chênes blancs des Alpilles. Elle veille sur chaque cep, surveille la moindre faiblesse ou signe d’esca. Plus le temps avance, plus elle arpente les rangs et s’adonne à la taille, là où « tout se passe ». Dans la fraîcheur de la cave, elle aime aussi s’immiscer et décider, épaulée par son frère Antoine. Elle a, là aussi, gardé la philosophie paternelle, celle qui gagne et qui a fait la force de Trévallon dès ses débuts, en 1973. Un seul vin rouge, un seul, ni second vin, ni cuvée spéciale. Tout dans 45 000 bouteilles bon an mal an, 3 000 magnums dès les années 1980, 300 jéroboams (3 litres), 60 impériales (6 litres) depuis 1995. Syrah et cabernet-sauvignon à parité, envers et contre l’AOC baux-de-provence qui interdit, depuis sa création en 1995, l’utilisation de plus de 25 % du cépage bordelais. Passé de la dénomination vin de pays des Bouches-du-Rhône à celle d’IGP alpilles aujourd’hui, le vin se fiche de ces querelles imbéciles. Il s’offre, grandiose, dans ce terroir magique taillé à coup de dynamite et de convictions pour donner vie à des rouges subtils, d’un rare équilibre et qui se savourent après des années de garde. Elaboré dans une simplicité biblique, il ne connaît ni égrappage, ni soufre (sauf après malo et à l’embouteillage), à peine un contrôle de température, une lampée de soutirage, un long vieillissement en foudre, une clarification au blanc d’œuf, pas de filtration. Changera-t-elle le style des vins d’Éloi ? « Les vignes évoluent, le climat change », reconnaît-elle. « Inévitablement, on fait moins d’extraction qu’avant, les vins gagnent en finesse et élégance. » Est-ce dû à l’âge des vignes ?, questionne-t-elle avec raison. Il est encore tôt pour le dire.
Le 2012 se livre, très élégant, à point, nourri de patience et de réserve, ciselé par le calcaire et la garrigue. Quant au blanc 2022, confidentiel, il mêle agrumes, fleurs et verveine dans un bouquet puissant et bougrement rafraîchissant.

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