Bordeaux : innover pour mieux régner

La viticulture et l’œnologie n’ont cessé de constituer deux sujets de recherche et de développement du vignoble bordelais et de tous ceux qui le servent. Ce constat encourageant n’empêche pas les interrogations


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Tous les vignobles français sont désormais concernés par leur futur. Adaptation agronomique au réchauffement du climat, adaptation à l’avenir des marchés et donc des attentes du public et, hélas, adaptation aux manœuvres du lobby hygiéniste qui aimerait condamner à mort tout produit contenant de l’alcool. Je parcours régulièrement notre vignoble et je ne vois pas partout naître des réponses intelligentes : les idéologies politiques ou catégorielles et géographiques ne sont pas vraiment compétentes en la matière. Bordeaux sur ce point alterne le meilleur et le pire. Le pire, c’est l’ineptie de la réponse concernant la production la plus fragile, celle qui à force d’avoir abaissé ses prix, en mettant en péril la pérennité de son existence et en refusant de modifier un style qui ne convient plus au goût du public, aboutit à des arrachages massifs, un vrai drame pour la préservation du territoire et l’emploi local. Le meilleur, ce sont les atouts qui ont fait la force et la réputation des vins de qualité. Je peux témoigner de l’étonnante transformation d’une agronomie naguère conservatrice, routinière, productiviste et insouciante des enjeux écologiques. Celle qui est pratiquée aujourd’hui dans des centaines de châteaux, sur les deux rives de la Garonne, est sans doute la plus intelligente que je connaisse dans notre pays. Tout ce qui sépare encore les pratiques des propriétés certifiées en bio ou en biodynamie des autres tend à s’amenuiser même si les disputes de vocabulaire ou l’amour pour les normes et les certificats – nous sommes en Gaule – persistent. Quelques crus illustres sont désormais certifiés et leur nombre augmente régulièrement. Rien que pour le Médoc, Sauternes et leurs grands crus classés en 1855, six châteaux sont certifiés en biodynamie, neuf en bio et treize sont en conversion. Soixante-trois autres sont au niveau 3 (le plus élevé) de la norme Haute valeur environnementale (HVE). Beaucoup d’autres sont encore sur certains points plus avancés, mais les pesanteurs de l’évolution des critères de certification leur interdisent la labellisation ou une fierté parfaitement justifiée les détourne de la demander. Après tout, on ne doit pas faire commerce de vertu, et dans la vie courante les contrôles sont assez nombreux pour ne pas en rajouter de supplémentaires.
Viticulture modèle
Les désherbants chimiques ont pratiquement disparu dans tous les crus classés, comme dans les meilleurs non classés, et l’utilisation de décoctions de plantes pour aider la vigne à se protéger elle-même davantage contre les champignons parasites, au prix de quelques pertes de récoltes inévitables, se généralise. Des essais de couverts végétaux qui refroidissent les sols et, paradoxalement, régulent mieux leur hygrométrie se multiplient. La taille et le palissage sont de plus en plus réfléchis avec comme seule limite l’insuffisance en nombre et en formation des ouvriers agricoles, malgré des salaires plus que compétitifs. L’aisance financière aide naturellement au renouvellement des équipements qui permettent de travailler avec plus de précision et d’économie de produits et d’énergie. Le château Montrose, par exemple, a fait le choix de tracteurs électriques qui ne rejettent pas de CO2, tandis que les châteaux Pontet-Canet, Latour et quelques autres, qui se font de plus en plus nombreux, font revenir le cheval, éventuellement les moutons et les vaches (comme au château Palmer) et donc la vie animale dans le travail du sol. Les sols sont de moins en moins tassés et la parcellisation du vignoble, encouragée par la multiplication des cuves de vinification, oblige à mieux comprendre le détail des terroirs et à adapter de façon rationnelle la conduite de la vigne à chaque cas particulier. Car l’œnologie continue de progresser dans la connaissance de toutes les interactions qui permettent de retrouver dans le vin tout le potentiel du raisin. Les anciennes pratiques énergiques dans la réception du raisin disparaissent. Les vendanges mécaniques se font de plus en plus rares dans les meilleurs crus, les conquets de réception musclée à vis sans fin ont fait place à l’usage de la gravité pour des raisins qui arrivent en petites caisses ajourées et sont minutieusement triés. On contrôle ainsi non seulement l’état sanitaire, mais aussi la maturité de chaque baie et on envoie dans les cuves – grâce au progrès des égrappoirs – ces même baies intactes qui ressemblent à des beaux grains de caviar…

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