J’apprends avec une profonde tristesse le décès de Michel Dovaz. Je lui dois beaucoup et certainement le commencement d’une seconde vie professionnelle consacrée à l’univers du vin. Il était l’un des derniers acteurs survivants du fameux « jugement de Paris » de 1976 et de la large victoire des vins américains sur les vins français. Il fut en 1977 mon professeur de dégustation à l’école créée par son ami Steven Spurrier. Mon parcours personnel l’amusait. Sa personnalité faisait mon étonnement et mon admiration. Né dans une famille intellectuelle et libérale de la Suisse romande, sa culture était impressionnante et variée, aussi bien sur des sujets historiques, politiques, philosophiques – il était un voltairien convaincu – automobiles et jazzistique.
Formé à l’école polytechnique de Zurich, il n’ignorait rien de la mécanique non pas horlogère mais automobile et collectionnait les voitures remarquables sur ce critère. Il savait fouiller dans leurs moteurs même s’il les laissait se rouiller dans son vaste garage de Villemaréchal. Il avait même participé aux Mille Miles, l’une des courses les plus célèbres du monde, avec l’un des bolides de Fangio dont il était propriétaire. Il se passionnait pour les concerts de bon jazz avec ses amis suisses. « Castellomaniaque », il était incollable sur la plupart des châteaux privés ou publics de France, de Suisse ou d’Italie qu’il visitait à bord d’une de ses voitures de collection. Il avait logé Jean-Luc Godard lors de sa première venue en France dans le « garage littéraire » dont il était actionnaire et où l’on parlait alternativement mécanique, cinéma, jazz et littérature. Sauf erreur de ma part, je crois d’ailleurs que le grand cinéaste s’en est inspiré au début de Pierrot le Fou.
C’est dans le domaine du vin qu’il aura laissé la plus grande trace. Avant de le connaître comme professeur, j’avais lu ses livres et étais impressionné par la précision factuelle et presque chirurgicale de son style qui contrastait avec la boursouflure ampoulée propre à la tradition française du genre. C’est avec une même précision et par la recherche de l’exactitude dans la connaissance des faits qu’il cherchait à transmettre dans son enseignement.
En 1981, nous rencontrions tous les deux Chantal Lecouty qui venait de racheter une Revue du vin de France moribonde. Elle apprenait à déguster à l’école de Steven Spurrier et nous demanda de venir l’aider à remonter le contenu et la diffusion de la revue. Je pense que Michel et moi-même y avons plutôt réussi, particulièrement avec l’arrivée de Thierry Desseauve en 1989. Dès 1993, Michel avait progressivement cessé de participer à nos dégustations. Il était en charge de toute la Champagne dans le Guide Hachette et s’occupait aussi brillamment de la rubrique livre où ses comptes-rendus cinglants savaient parfaitement reconnaître la compétence dans une marée de prétention ou d’inculture. Il me manquera.
Ses parents et son frère Claude ne sont plus de ce monde mais je tiens à transmettre à son ancienne compagne Muriel de Potex avec laquelle Thierry Desseauve et moi-même avons longtemps collaboré ma sympathie dans ce moment difficile.
Photo : Mathieu Garçon