Cet article est paru dans En Magnum #32. Vous pouvez l’acheter sur notre site ici, ou sur cafeyn.co.
Sainte-Roseline n’était sans doute pas la propriété de Provence la plus difficile à mener sur la route du succès. Ce domaine des Arcs-aux-Argens dans le Var cumule les atouts. D’abord, celui d’avoir été façonné par la grande histoire. Au Xe siècle, on construit là une abbaye en l’honneur de Roseline, bientôt un cloître et enfin une chapelle pour abriter les reliques de la future sainte. L’ensemble est classé monument historique dès les années 1980. Les touristes s’y pressent, laissant derrière eux la proche Saint-Tropez ou la Croisette cannoise. Ils découvrent qu’on y fait du vin. Le vignoble est pourtant l’un des premiers de la Provence, planté dès le XVIe siècle.
Si ce cru provençal est classé en 1955 et que sa réputation n’est plus à faire, il se refait tout de même une santé avec l’arrivée de Bernard Teillaud, promoteur immobilier et père d’Aurélie Bertin, actuelle co-propriétaire avec sa sœur de Sainte-Roseline et du château des Demoiselles. Bien qu’elle s’occupe du projet œnotouristique de la propriété dès le début des années 2000, prendre la direction de ce vignoble de 110 hectares – et de ses nombreuses activités – intimide d’abord la jeune femme. Le milieu du vin est difficile. Il ne lui fait aucun cadeau. Aux commandes à partir de 2007, cette coureuse de fond de haut niveau se met en ordre de marche, se forme, s’entoure d’une équipe performante, renforce ce qui fonctionne.
Tenir la distance
Depuis les années 1970, le lieu entretient un lien fort avec l’art contemporain. Il suffit de pousser les portes de la chapelle pour tomber nez à nez avec une mosaïque monumentale de Chagall. Chaque été, le domaine multiplie les expositions d’artistes confirmés. Autre chantier, le vignoble. Une source en profondeur et les sols argilo-calcaires où sont plantés syrah, mourvèdre, cabernet-sauvignon, grenache, cinsault, tibouren (pour les rouges et les rosés), rolle et sémillon (pour les blancs) permettent une alimentation hydrique maîtrisée. Mais les récentes sécheresses estivales invitent à mettre en place des pratiques culturales adaptées et exigeantes. Aurélie a engagé vite et bien Sainte-Roseline dans des démarches de développement durable. Une reconnaissance de la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise d’abord et le bio avec le millésime 2022.
Éco-conception des produits, préservation de la biodiversité, protection du patrimoine, bien-être des salariés, les actions s’accompagnent de labels difficiles à obtenir : HVE, Vignerons Engagés, ISO 26000, ISO 26000, etc. Sur tous les fronts, Aurélie s’est forgée avec les années une vision de la qualité. Pour les vins des deux propriétés, mais aussi pour sa petite activité de négoce (Roseline Collection). Une vision commerciale aussi, avec la mise en place d’une stratégie de valorisation en adéquation avec la réussite insolente du rosé de la région, suffisamment performante pour convaincre la star planétaire Kylie Minogue de signer un vin de son nom.
Vingt ans après ses débuts, Aurélie s’est imposée comme l’une des figures de la nouvelle Provence viticole, impliquée avec la même volonté dans son tissu interprofessionnel que dans ses activités associatives. Elle incarne aussi, dans cette Provence moderne, un rôle jusqu’ici plutôt rencontré en Champagne ou à Bordeaux. Celui de super propriétaire ou super directeur capable de tout faire et de s’exprimer sur toutes les questions. Quel avenir pour la région ? Cette mère de trois filles sait que la transmission sera demain un sujet sur toutes les lèvres. Elle sait aussi que Sainte-Roseline doit continuer son chemin. Peu de choses la séparent désormais du plus haut niveau. Au fond, le parcours d’Aurélie résume bien la phase dans laquelle est entré le vignoble provençal. Impossible de survivre à la concurrence féroce sans en faire toujours plus. Reconnaissons que nous ne rencontrons pas si souvent autant de détermination.
Photos : Mathieu Garçon.