Le peuple du midi

Sans ces êtres lumineux, la région ne serait sans doute par sortie de la nuit. Pionniers, acteurs historiques, réenchanteurs, ils ont fait du Languedoc ce qu’il est aujourd’hui


Cet article est paru dans En Magnum #33. Vous pouvez l’acheter sur notre site ici, ou sur cafeyn.co.


Devant le succès rencontré par les pionniers qui ont démontré que l’on pouvait faire de grands vins en Languedoc, de nombreux vignerons intelligents installés de plus longue date décident dès les années 1990 de rompre avec les traditions et d’améliorer l’encépagement, les chais et les élevages. Certains créent à partir d’un domaine familial des négoces de pointe qui permettent de repenser le modèle dans la région. Bien d’autres domaines historiques sont sortis de la coopération et ont créé et commercialisé des vins de grande qualité. Ils sont trop nombreux pour les citer tous, mais leurs cuvées figurent dans nos sélections et dans notre guide des vins.
Quelques pionniers reconnus, des domaines historiques qui se réinventent, il n’en faut pas plus à la presse française et internationale pour décréter, au milieu des années 1990, que le Languedoc est une Californie française, véritable eldorado viticole qui permet beaucoup. Beaucoup de viticulteurs âgés, désabusés ou ruinés, offrent des vignes à céder quand elles ne sont pas à l’abandon, faute de repreneur. Le Languedoc dispose pour ceux qui veulent tenter l’aventure du potentiel pour faire de grands vins et d’une image qui ne demande qu’à être améliorée. Surtout, le prix de l’hectare de vignes est alors au plus bas, de l’ordre de 10 000 euros par hectare planté quand il vaut dix fois plus cher ailleurs et parfois bien plus.

 

LES PIONNIERS


Demandez à cent vignerons talentueux qui a fait bouger les lignes en Languedoc, la plupart citeront Olivier Jullien.

Olivier Jullien (Mas Jullien)
Demandez à cent vignerons talentueux qui a fait bouger les lignes en Languedoc, la plupart citeront Olivier Jullien. Ce fils d’apporteur en coopérative a pris conscience de la qualité des terroirs languedociens, créé sa propre exploitation et attiré dans son sillage nombre de vignerons qui ont suivi ses traces et démontré le potentiel des terrasses du Larzac. Tout a commencé au début des années 1980. Son BTS viti-oeno en poche, Olivier Jullien n’avait pas de vignes. Il a commencé à en louer pour faire son vin et a réussi à le vendre en installant des panneaux publicitaires pour capter les touristes de passage et en posant des flyers photocopiés sur les pare-brise. Il se souvient d’un salon de vins où il proposait ses bouteilles à 30 francs (environ 15 euros de 2023). Il retrouve à la fin du salon Marlène Soria (Peyre-Rose) et Christophe Bousquet (Pech-Redon). « Tu as vendu une quille ? Non, aucune. » Pas facile de faire admettre un prix pourtant raisonnable aux consommateurs qui ne voyaient à l’époque en Languedoc que des pinards. Les premiers professionnels à acheter son vin ont été des Belges, sans préjugés sur les vins de la région. Les prix des grands bordeaux avaient considérablement augmenté, ils cherchaient d’autres sources d’approvisionnement pour leur clientèle. Puis, quelques restaurateurs comme les patrons du Mimosa à Saint-Guiraud ont envoyé beaucoup de leurs clients chez Olivier. Il a ensuite repris ses études pour obtenir un diplôme d’œnologue afin de mieux comprendre ce qui se passait vraiment dans un raisin et dans un chai. Curieusement, la tradition est allée ici de fils en père. Dix ans après le démarrage de Mas Jullien, le père d’Olivier, viticulteur coopérateur de son état, a lui aussi créé son domaine, Mas Cal Demoura, une aventure aujourd’hui brillamment poursuivie par les Goumard.

Un gantier de Millau, Aimé Guibert (ici avec sa femme Véronique Guibert de la Vaissière), se promène dans les années 1970 et tombe sous le charme d’un mas avec quelques hectares de vignes. La seconde génération composée de Samuel, Gaël, Amélien, Roman et Basile assure la gestion du domaine et les vinifications depuis le décès de leur père en 2016.

 

Aimé Guibert (Mas Daumas-Gassac)
Un gantier de Millau, Aimé Guibert, se promène vers Aniane quand il tombe sous le charme d’un mas accroché à quelques hectares de vignes. Conseillé par Enjalbert, professeur à l’université de Bordeaux et spécialiste de la géologie viticole, il y fait planter en 1972 des cabernet-sauvignon non clonées. Ces vignes, issues d’une collection d’un pépiniériste, proviennent de grandes propriétés bordelaises des années 1930 et 1940. En 1978, Emile Peynaud, alors œnologue star du bordelais, suit à distance et conseille par téléphone la première vinification. L’exposition au nord des pentes du vignoble accentue l’effet d’un microclimat froid et réduit les heures d’ensoleillement, surtout durant l’été. La floraison de la vigne a lieu ici environ trois semaines plus tard que la moyenne du Languedoc, ce qui convient parfaitement au cabernet-sauvignon. Qualité et curiosité ont fait de Daumas-Gassac, annoncé comme le vin de pays le plus cher du monde, un succès.

La famille Roux (Prieuré Saint-Jean-de-Bébian)
Dans les années 1970, le domaine Prieuré Saint-Jean-de-Bébian se transforme sous la houlette du propriétaire qui l’avait acheté en 1952. La famille Roux plante des cépages nobles venant des différentes régions viticoles françaises (syrah de chez Jean-Louis Chave, grenache du château Rayas, mourvèdre du domaine Tempier à Bandol) et conserve les cépages locaux (cinsault, carignan). En blanc, l’orientation est clairement donnée aux cépages de Châteauneuf-du-Pape (roussanne, marsanne et clairette). Passé entre les mains d’anciens propriétaires de La Revue du vin de France reconvertis en vignerons, puis revendu à des russes qui l’ont cédé récemment à un régisseur français, le domaine est une référence depuis la fin des années 1970.

Michel Louison (Château des Estanilles)
En 1976, Michel Louison, un autodidacte, fut l’un des pionniers de l’appellation faugères en y introduisant la syrah – cépage qui fit la renommée du château des Estanilles au début des années 1980 – et les méthodes rigoureuses des grands châteaux bordelais. Il fut également l’un des premiers à embouteiller sa production dans le Languedoc.
En quelques années, sa propriété est devenue la référence qui a fait connaître l’appellation. Le domaine a été repris depuis avec passion par Julien Seydoux.

Petit-fils de vignerons, Jean Orliac a débuté comme chercheur à l’université de Montpellier après des études à l’école d’agronomie de Montpellier et une maîtrise de sciences économiques.

Jean Orliac (Domaine de l’Hortus)
Petit-fils de vignerons, Jean Orliac a débuté comme chercheur à l’université de Montpellier après des études à l’école d’agronomie de Montpellier et une maîtrise de sciences économiques. En 1978, tout en poursuivant sa carrière de chercheur, il retourne à la terre en trouvant cinq hectares de vignes en piteux état à Pic Saint-Loup. Après des replantations massives, son premier vin sort en 1990 et obtient de Robert Parker une note de 95 sur 100. Tout est relativement facile ensuite et les clients affluent. L’homme a su fédérer les vignerons autour de lui et sa vision qu’il résume ainsi : « Il faut sortir du cycle infernal manifestation-subventions-distillation. Jetons les bases de l’appellation pic-saint-loup ». Il y a trente ans, le nom de cette zone viticole n’était même pas connu à Montpellier, pourtant tout proche. Le domaine de l’Hortus en est aujourd’hui un représentant incontournable.

Jérôme Joseph et Laurent Calmel (Calmel & Joseph)
Ces deux-là ont parcouru le monde avant de se poser près de Carcassonne en 1985. À l’origine négociants sans chai, Jérôme Joseph et Laurent Calmel décident de créer l’ensemble de leurs vins avec pour ambition d’être au niveau des meilleurs producteurs locaux. Leur gamme s’est élargie depuis avec des vins de cépage impeccablement vinifiés et des cuvées dans la plupart des crus du Languedoc, parfaites représentations de ce que permettent leurs terroirs respectifs.

Sylvain Fadat (domaine d’Aupilhac)
Sylvain Fadat s’est consacré aux vignes familiales à la fin des années 1980, à une époque où il fallait tout réinventer. Il a osé miser sur un carignan que beaucoup délaissaient jusqu’à lui consacrer une cuvée dédiée, défrichant des terres d’altitude sur le terroir des Cocalières pour que ses vignes s’y sentent bien. Initiateur du bio puis de la biodynamie, c’est depuis le leader incontesté de Montpeyroux, un terroir à part au milieu de l’appellation terrasses-du-larzac.

Robert Skalli (Fortant de France)
La famille Skalli, négociante en Algérie puis implantée en France à partir de 1961, a fédéré en 1987 un groupe de professionnels entraîné par Robert Skalli et Jacques Gravegeal pour créer la dénomination « vin de pays d’Oc ». Cette même année, Robert Skalli lança les premiers vins de cépage français sous la marque Fortant de France. Repris par le groupe Boisset en 2011, la marque propose des vins en IGP pays-d’oc qui mettent en avant les cépages. Une success story puisque cette IGP représente aujourd’hui plus de 50 % de toute la production du Languedoc.

Marlène Soria (Domaine Peyre Rose)
Cet emblématique domaine du Languedoc est dirigé par la discrète mais non moins emblématique Marlène Soria, fille de vignerons dont la première vie professionnelle n’était pas la vigne mais l’immobilier, la vente de propriétés de vacances. L’achat personnel d’une propriété a été le point de départ d’un changement radical. Marlène Soria a défriché la garrigue pour planter des vignes. Si rien ne la prédisposait au grand vin, le charme exceptionnel de ce bout du monde installé sur les hauteurs de Saint-Pargoire, à cinquante kilomètres à l’ouest de Montpellier, en a décidé autrement. Tombée amoureuse de ce paysage au milieu des bruyères et des cistes roses, elle a décidé d’y produire son vin. Tout a commencé en 1989, premier millésime apporté à la coopération locale. Le sentiment de ne pas aller au bout de ce que le terroir permettait imposa naturellement la mise en bouteilles au domaine dès le millésime 1990. La notoriété a ensuite progressé au rythme de l’intérêt croissant pour le Languedoc. Depuis, l’engouement pour Peyre Rose ne s’est pas démenti. Il est favorisé par la rareté des vins. Les rendements souvent inférieurs à 20 hectolitres par hectare ne multiplient pas le nombre de bouteilles et Marlène ne les commercialise qu’à leur apogée. En ce moment, vous trouverez le 2012.

Passionné, Christophe Bousquet produit des vins très identitaires, comme le permet ce splendide terroir, qui ne ressemblent à aucun autre dans tout l’arc méditerranéen.

Christophe Bousquet (Château Pech-Redon)
Pech-Redon, situé au sommet du massif de La Clape, a été repris en 1988 par la famille Bousquet. Passionné, Christophe Bousquet produit des vins très identitaires, comme le permet ce splendide terroir, qui ne ressemblent à aucun autre dans tout l’arc méditerranéen. Christophe a repris la présidence de l’interprofession languedocienne (CIVL) pour faire bouger les lignes de la qualité et tenter d’apaiser l’éternel conflit d’intérêts entre le négoce et la production, pourtant totalement interdépendants.

 

LES HISTORIQUES


Famille Jeanjean
L’histoire de Jeanjean raconte à elle seule toute la saga des vins languedociens. Du fondateur si pressé qu’on l’appelait « Père la Minute » au développement brillant du groupe AdVini dont elle est le premier actionnaire, ce groupe familial basé dans les contreforts du Causse, à Saint-Félix-de-Lodez aura su se transformer au gré des multiples révolutions du Languedoc viticole. Elle a conservé ses racines et ses principes : acteurs majeurs du négoce local, les Jeanjean peuvent aussi s’enorgueillir de s’appuyer sur un beau patrimoine de vignobles comme le spectaculaire Devois des Agneaux d’Aumelas, sur le causse calcaire ou le remarquable tertre du Causse d’Arboras en terrasses-du-Larzac.

Jacques Boscary (Château Rouquette-sur-Mer)
Jacques Boscary a presque fait partie des pionniers du Languedoc nouveau avec son château acheté en 1942 en très mauvais état par sa famille. Il n’a eu de cesse de replanter ce vignoble et fait de longue date l’un des meilleurs vins de La Clape. Goûtez ses délicieuse entrées de gamme puis plongez dans ses grandes cuvées.

Les frères Vaillé (Domaine de La Grange des Pères)
En 1992, les frère Vaillé ont transformé le domaine familial en le baptisant La Grange des Pères. Avec une qualité parfois variable, mais souvent de premier plan, il s’est imposé comme une référence incontournable du Languedoc avec des vins devenus mythiques depuis la disparition récente de Laurent Vaillé.

Frédéric Pourtalié (Domaine Montcalmès)
L’exploitation familiale comptait 30 hectares de vignes intégralement vinifiés en cave coopérative. En 1998, Frédéric Pourtalié et son père Jean-Marie ont décidé de créer une cave particulière. La première vinification en rouge a lieu en 1999. Seulement 5 000 bouteilles étaient produites alors. Le succès mérité est venu rapidement, la production actuelle est de 50 000 bouteilles par an, la gamme est essentiellement constituée d’un seul grand vin rouge qui figure parmi les plus fins du Languedoc.

Les sœurs Losfelt (Château de l’Engarran)
C’est le respect d’un patrimoine familial qui a servi de moteur à la reprise par les deux sœurs Losfelt (photo d’ouverture), Diane et Constance, de ce domaine et sa magnifique demeure, une folie montpelliéraine bâtie vers 1730. Elles produisent avec une régularité sans faille des entrées de gamme délicieuses et de grandes cuvées plus ambitieuses sur le terroir injustement méconnu de Saint-Georges-d’Orques aux portes de Montpellier.

La famille Bories (Domaine Les Ollieux-Romanis)
C’est en 1978 que la famille a repris l’exploitation du domaine Les Ollieux-Romanis, une partition du grand domaine Les Ollieux qui avait été scindée en deux plus d’un siècle plus tôt. Malgré les temps difficiles, elle a réussi à lui donner un second souffle puis à reconstituer en 2006 le domaine historique au grand complet. Inspiré par le château La Voulte Gasparets et sa mythique Cuvée Romain Pauc, le dynamique Pierre Borie est l’un des meilleurs représentants actuels des Corbières et nous régale avec une gamme irréprochable.

À partir de leur magnifique château de Pennautier, Miren et Nicolas de Lorgeril ont bâti une belle entreprise viticole.

Famille Lorgeril
À partir de leur magnifique château de Pennautier, dans le secteur si intéressant aujourd’hui de Cabardès (parfait point de rencontre entre influences océaniques et méditerranéennes), Miren et Nicolas de Lorgeril ont bâti une belle entreprise viticole, s’appuyant sur des domaines situés dans des secteurs d’altitude (outre Pennautier, le minervois Borie blanche et les faugères et saint-chinian de Ciffre) mais aussi des innovations séduisantes comme le tonique ô-de-rosé. Début 2021, les Lorgeril ont en entamé sur l’ensemble de leurs vignobles une collaboration avec les consultants Simon Blanchard et Stéphane Derenoncourt : le résultat, en particulier à Pennautier, est aussi novateur que réussi.

LES RÉENCHANTEURS


Basile Saint-Germain (Domaine Les Aurelles)
Basile Saint-Germain, architecte-paysagiste à Vence, est venu s’implanter en 1995 dans la zone de Pézenas. C’est un vigneron pointilleux, peu ont poussé l’exigence à ce niveau de détails. Il produit aujourd’hui l’un des rouges les plus qualitatifs et régulièrement le meilleur blanc de la région. La transmission est en cours et Basile tient à ce que
Les Aurelles continuent à briller au firmament de la région.

Vincent Goumard a été le président qui a participé à doter cette zone d’une appellation spécifique détachée des coteaux du Languedoc, l’AOC terrasses-du-larzac.

Isabelle et Vincent Goumard (Mas Cal Demoura)
Fondé au début des années 1990, le Mas Cal Demoura fait partie des domaines précurseurs ayant contribué à la révolution qualitative des vins du Languedoc. Depuis 2004, après avoir abandonné une carrière prometteuse de consultants parisiens, Isabelle et Vincent Goumard concentrent leur énergie à interpréter les grands terroirs autour de Jonquières. Vincent a également été le président qui a participé à doter cette zone d’une appellation spécifique détachée des coteaux du Languedoc, l’AOC terrasses-du-larzac.

Grégory Hecht et François Bannier (Hecht & Bannier)
La maison de négoce et d’élevage créée en 2002 par Grégory Hecht et François Bannier se consacre aux vins du pourtour de la Méditerranée, de Collioure à la Provence. La connaissance approfondie des vignobles et des caves est la base de leur métier : ils visitent chaque année plusieurs centaines de domaines pour ne sélectionner que les plus beaux raisins et les meilleurs jus, pour les assembler ensuite et proposer de parfaits représentants des meilleurs terroirs.

Julien Zernotte (Domaine Le Pas de l’Escalette)
Julien a fait ses armes à Menetou-Salon après ses études d’œnologie, Delphine était attachée de presse chez Skalli. Ils voulaient créer un domaine qui leur appartienne. Après l’achat de vignes dont un restaurateur parisien ne savait que faire et la location d’une ancienne bergerie, pour y habiter et y faire le vin, l’aventure a démarré en 2001. À 350 mètres d’altitude, au sommet de ce qui est devenu depuis l’AOC terrasses-du-larzac, le domaine propose aujourd’hui les vins les plus frais de l’appellation, délicieux de l’entrée au sommet de la gamme. Au bout de vingt-deux ans, toutes les dettes viennent d’être remboursées, une nouvelle vie commence.

À lire aussi