Un demi-siècle après l’explosion de la colère vigneronne à Montredon (deux morts, un vigneron et un gendarme), trente ans après l’émergence de producteurs volontiers rebelles et de vins qui marquèrent les mémoires, le Languedoc semble enfin lancé sur la voie d’un succès pérenne et durable. De grands vignerons entrepreneurs et des artisans brillants ont su interpréter à la fois individuellement et collectivement la diversité de terroirs et la très grande variété de cépages que l’ancienne Narbonensis gallo-romaine – déjà vouée à la production viticole – offre en terrain de jeu. Le Languedoc est devenu, lentement mais puissamment, la terre de tous les possibles. On y produit des vins de cru d’une force de caractère impressionnante comme des vins de cépage aussi novateurs que savoureux. Longtemps uniquement vouée aux rouges, la région s’est ouverte avec succès aux blancs, aux rosés, aux bulles et même aux vins orange. Bénéficiant de conditions climatiques adaptées, elle s’est imposée comme le fer de lance des viticultures bio en France et dans le monde. Enfin et surtout, elle réunit des personnalités aussi multiples que complémentaires pour construire un avenir sinon serein, du moins prometteur. Au-delà de cet incontestable succès, le Languedoc envoie aussi un message à beaucoup d’autres régions viticoles, celles qui semblent s’étonner d’un déficit d’intérêt des consommateurs sans pour autant changer en rien leur routine comme celles qui vivent leur succès présent à la façon de rentiers enfermés dans un confort solitaire et hautain : aucune position n’est acquise éternellement, seules les remises en question sincères, le travail et l’innovation construisent la réussite.
Cet éditorial et l’ensemble de ce numéro sont dédiés à la mémoire de
Jean-Michel Cazes, l’homme-protée de Lynch Bages, du Médoc et de nombreuses aventures viticoles aux quatre coins de la planète. Il nous a quittés au début de l’été, dans sa terre tant aimée de Pauillac, entouré de l’affection des siens et de tous les amoureux du vin. Jean-Michel, lui, savait que le vin était un sport de combat et de convictions (voir En Magnum n°25). Il avait été d’ailleurs l’un des premiers à comprendre le potentiel du Languedoc en créant en Minervois le domaine de L’Ostal Cazes, comme il fut l’un des grands artisans dans les années 1980 du renouveau du vin de Bordeaux. En plus de cinquante ans de carrière viticole, à force d’énergie, de talent visionnaire et de charisme, il aura fait passer le vignoble, ses vins et ses marchés dans une autre ère.
Photo : Fabrice Leseigneur