Après avoir relaté son parcours chaotique de néo-vigneronne dans le Languedoc, Laure Gasparotto, notre consœur du Monde revient dans son nouveau livre sur ses années bourguignonnes et son passé de jeune historienne. Un témoignage que nous saluons pour sa portée universelle
Vos premiers pas en Bourgogne, dans les années 1990, ont tracé votre voie. Direz-vous que vous étiez au bon moment, au bon endroit ?
Le bon moment, oui. Au début des années 1990, le monde du vin est en plein changement. La maitrise de l’œnologie bouscule les hiérarchies. Le recours aux fûts neufs, le pigeage mécanique, les tables de tri provoquent une rupture. J’ai pu mesurer ce qui se faisait avant et ce qui pouvait se faire à ce moment. Et au bon endroit, c’est vrai aussi. J’entendais beaucoup de vignerons dire : « Il est hors de question je fasse un vin pour plaire, je le fais comme le terroir le donne. » C’est une région complexe mais cette complexité m’est apparue comme naturelle. J’ai compris en visitant d’autres régions à quel point la Bourgogne m’a donné des clés pour comprendre les autres vignobles.
Le titre de votre livre fait référence à la fameuse locution latine Si vis pacem para bellum (si tu veux la paix, prépare la guerre). Comment en êtes-vous arrivé à ce « détournement » ?
C’est inspiré par l’esprit du traité d’Arras, texte qui scelle la réconciliation de la France avec la Bourgogne en 1435. La paix permet alors au duc Philippe Le Bon de se recentrer sur le mécénat : peinture, musique et aussi agronomie. Le vin de Bourgogne devient le meilleur de ses ambassadeurs. Le pouvoir encourage les Bourguignons à s’occuper de leurs terres et définit le cadre qui leur permettra de faire des vins uniques.
Votre livre rend hommage à une génération d’hommes et de femmes qui a marqué la Bourgogne ces dernières années : Louis-Fabrice Latour, Aubert de Villaine, Hubert de Montille, Dominique et Éric de Surmain, etc. Et parmi la nouvelle génération ?
Je pense à Olivier Lamy à Saint-Aubin, qui a une certaine générosité pour faire découvrir son travail. Je pense aussi à Claire Naudin dans les hautes-côtes-de-nuits. Ils sont des représentants de ces nouveaux territoires de la Bourgogne et montrent que l’on n’a jamais fini de l’explorer. Ils rendent ce vignoble contemporain tout en étant dans la transmission.
Vous écrivez : « La Bourgogne n’a cessé d’être elle-même, même dans ses moments les plus difficiles ». C’est le message que vous voulez faire passer aux vignobles de France et ailleurs ?
S’inspirer de la Bourgogne, ce n’est pas la copier, c’est comprendre ce qu’elle est. Reprendre des codes d’ailleurs pour recréer des vins dans un autre lieu n’a pas de sens. En Australie, j’ai vu des gens qui cherchaient à faire du meursault. À l’inverse, j’ai rencontré des vignerons en Israël, formés à Beaune, qui ont compris qu’il leur fallait se chercher eux-mêmes, comprendre leur territoire, plutôt que de planter du chardonnay sur un côteau comme on le ferait Bourgogne.
Laure Gasparotto, Si tu veux la paix, prépare le vin, Editions Grasset
17,50 euros
Photo : J.-F. Paga