Inutile de le dissimuler : tout va mal. Les grands de ce monde jouent à un drôle de Monopoly dans lequel l’augmentation des taxes remplace la case « Allez en prison ». Dans ce trente-neuvième numéro d’En Magnum, Michel Bettane et Philippe Bussang n’en finissent plus de s’inquiéter pour l’avenir des vins de Bordeaux (mais assurent avoir des solutions), Mathilde Hulot se penche sur celui des caves coopératives tandis qu’Antoine Pétrus sonne carrément le tocsin pour réveiller la jeune génération coupable apparemment de se désintéresser des beaux flacons, et même des autres. En attendant quelques nouveaux dégâts provoqués par le dérèglement climatique, tout amateur de bons vins se doit de déprimer. À ce stade de la conversation, posons quelques contre-feux à cette bérézina annoncée.
Le vin est moins à la mode qu’il y a dix ou vingt ans ? Et alors, est-ce si désespérant que les jeunes jet-setters d’aujourd’hui préfèrent écluser des shots de tequila plutôt qu’une bouteille de « Dom Pé » ? L’industrie du vin demeure une filière que consommateurs comme acteurs distinguent en toute connaissance de cause. Ce choix éclairé d’acheter une bouteille de vin, cet engagement dans des métiers exigeants, mais passionnants, concernent désormais dans chaque pays des minorités et non plus des majorités d’êtres humains. Comme toute activité économique, c’est à la filière de s’adapter à cette nouvelle donne et non l’inverse. Les grands vins se vendent moins ? N’y aurait-il pas un tout petit rapport de cause à effet entre les tarifs astronomiques fixés pour nombre d’entre eux et les capacités financières des consommateurs ? Les gens de ma génération ont tous le souvenir de grands flacons achetés à des tarifs certes élevés, mais accessibles : des trésors de cave qui ont construit l’imaginaire de millions d’amateurs à travers le monde. Aujourd’hui, ces grands crus sont devenus inaccessibles sauf à quelques clubs très fermés de happy few internationaux. Ces consommateurs richissimes ont-ils la même fonction d’ambassadeurs enthousiastes que les œnophiles d’antan ?
Dernier point, et non des moindres, jamais dans l’histoire multimillénaire du vin l’exigence de qualité n’a été autant partagée. Tous les vignerons ne font pas du bon vin, mais de plus en plus s’y emploient. Avec passion, force de travail et conviction que leur métier, entre terre, plante et ciel, est important pour notre planète. Cet engagement-là, que le vigneron languedocien Gérard Bertrand a qualifié de « multidimensionnel »1, sera autrement plus fort que les crises successives qui surgissent et continueront à bousculer nos habitudes.
1. Gérard Bertrand, Le vin multidimensionnel, éditions Origine Nature.
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