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Ils n’avaient rien en commun. Pourtant, leur vision similaire de la vigne et du futur de Chinon les a unis. Christophe est la cinquième génération à reprendre le domaine familial de la Perrière à Cravant-les-Coteaux, dont il est maire depuis seize ans. Jean-Martin est arrivé en 1996, fraîchement diplômé, pour reprendre la direction du domaine du Roncée. En 2003, ils s’associent pour mutualiser leurs ressources et équipements. « L’ambition initiale était seulement d’être plus performants, mieux organisés et stabilisés », confie Christophe. Lui a la fibre commerciale. Jean-Martin a la technique. Ils savent que leur force est d’allier leurs atouts. Leur projet est de fabriquer de grands vins. Les graves argilo-silicieuses de la Perrière et du Roncée leur permettaient déjà, avant les autres, d’obtenir des cabernets francs fruités tout en préservant la structure typique de Chinon. En 2007, ils reprennent le château de Saint-Louans, puy calcaire caractéristique du chinonais qui produit aujourd’hui leurs cuvées les plus qualitatives, dont un chenin élevé dans trois types de fûts différents avant assemblage. En 2009, ils acquièrent le château de La Grille, son flacon historique et ses vieilles vignes de cabernet franc sur 34 hectares. Ils y font aujourd’hui un rouge équilibré et un surprenant blanc de noirs pétillant naturel.
« Jean-Martin a beaucoup apporté à Chinon en tant qu’ancien président d’Interloire, et actuel président de l’appellation, avec sa vision de la viticulture », estime Christophe, admiratif. Le technicien a notamment initié l’arrêt du labour afin de préserver le carbone et l’azote dans les sols et permettre à la vigne de puiser plus profondément au cœur de ce terroir si particulier. Parallèlement, la famille de Christophe Baudry a servi de locomotive dans son évolution et son rayonnement. Depuis, l’appellation est reconnue, « elle a de l’avance par rapport aux autres rouges de Loire, sans aucun chauvinisme », affirme Christophe, facétieux. L’avenir de Chinon reste pourtant un sujet de préoccupation pour Jean-Martin Dutour. « Si l’on décide de conserver le cahier des charges tel quel, le style va forcément changer avec le réchauffement climatique. Il va falloir adapter les techniques et le discours. On pourrait aussi intégrer de nouveaux cépages comme l’artaban, le vidoc ou le floréal, pour tenter de reproduire l’identité chinonaise. »
Nouveau challenge
Après La Chapinière, terre consacrée au sauvignon acquise en 2020, l’éventail des domaines Baudry & Dutour s’est encore agrandi avec le vignoble de la famille Nau en appellation bourgueil. « On ne cherchait pas à se développer davantage, mais on ne pouvait pas passer à côté de cette opportunité », explique Jean-Martin. Les deux associés ont immédiatement réalisé que les sols du domaine étaient exceptionnels et étrangement semblables aux calcaires légèrement argileux de Saint-Louans. Si l’appellation soufre d’une mauvaise réputation, l’AOC saint-nicolas-de-bourgueil ayant pris l’ascendant, surtout à l’étranger, grâce à sa particule et sa référence christique qui lui ont servi de gage de qualité, les terroirs de Bourgueil ont un potentiel énorme. D’autant plus dans ce domaine qui déploie quatre de ses dix-huit hectares sur des coteaux. À la richesse du sol et de la pente, le duo a ajouté une approche parcellaire pour obtenir deux cuvées aux profils aromatiques bien distincts, l’un plus tannique, l’autre plus fruité. Au chai, du béton uniquement, le bois est laissé aux autres domaines, pour préserver leurs personnalités, leur identités respectives. Les deux amis cherchent à inscrire leur démarche dans la même logique qu’à Chinon. Il s’agit de devenir une référence, pour changer l’image de l’appellation. Ils peuvent désormais montrer leur savoir-faire à l’échelle de la Touraine tout entière. Le binôme est beau à regarder, l’un ne prend pas la parole sans l’approbation de l’autre. L’association paraissait improbable à l’époque. Ils ont depuis longtemps mis fin aux doutes.