Laurent Macle touché par la grâce

Dans le domaine qui porte son nom et qui a vu quatre générations de sa famille se succéder, Laurent Macle prend son temps. Avec sa sœur Christelle, il regarde les modes passer sans jamais s’éloigner du chemin du grand vin. Chez lui, il est jaune

Le glissement de terrain qui a endommagé la D51 en juillet 2021 continue de tromper notre GPS qui nous égare. Il faut slalomer pour monter jusqu’au village perché de Château-Chalon, extrêmement tranquille en cette fin d’hiver. Dans une ruelle, le domaine Macle est discret, fidèle à lui-même. Le Wine Advocate de Robert Parker se vantait d’avoir assisté à la toute première dégustation en dehors du domaine, à Santander, en 2013. Laurent et Christelle, représentants de la cinquième génération des Macle, sont bien chez eux. La famille, d’origine italienne, est établie là depuis le milieu du XIXe siècle. Auguste, le grand-père, a commencé à faire de la bouteille. Jean, le père, a arrêté l’activité d’élevage pour se consacrer à la vigne en 1966, année de naissance du domaine tel qu’on le connaît. Laurent en a repris les rênes en 2003, après une dizaine d’années passées avec Jean. Il a réduit à dix hectares la taille du vignoble parce qu’il voulait passer en bio et se consacrer à l’essentiel. On sent ici le poids de l’histoire et de la tradition. Datées du XVIIe siècle, les caves du domaine sont un sympathique dédale sombre et humide où sont entreposés quantité de vieux fûts et de foudres. Les Macle possèdent trois hectares de savagnin, tous en appellation château-chalon. Si le vin jaune est le prestige du Jura et le château-chalon, le prestige du vin jaune, Macle est le prestige du château-chalon. Pourtant, pas un mot plus haut que l’autre, pas de voitures de luxe garées dans la cour. Ce n’est pas la Côte-d’Or.
Laurent respecte le savoir-faire des aïeux. « Tout est égrappé. On fait les fermentations alcooliques et malolactiques en cuves. J’entonne en juillet ou en août, quand les caves sont chaudes, pour que les levures travaillent bien. C’est la mode des vins jaunes de grenier parce que ça va plus vite (les vins jaunes sont élevés soit en caves, soit dans des greniers ; ces derniers, plus chauds, donnent souvent des vins plus puissants, ndlr). Mais il y a moins de complexité. Ici, il n’y a jamais eu de fûts neufs. Et pendant longtemps, pas de pipette, pour ne pas trouer le voile. » Mais il est aussi plus aventureux. Il fait un côtes-du-jura dit Tradition, où seulement 20 % de savagnin a connu un élevage oxydatif. Il fait même un côtes-du-jura ouillé, parfaitement sec. Son père n’aimait pas ça, sa sœur toujours pas non plus d’ailleurs. Du coup, le domaine le met peu en avant et le vend surtout à l’export. Il est pourtant très bon, comme tout le reste. Mais l’orgueil de la famille, qui va s’étendre avec l’arrivée de Carmen, la deuxième fille de Laurent, reste le château-chalon. Une dégustation chez les Macle n’en est pas une si l’on ne goûte pas quelques vieux millésimes, parfois même très vieux. L’avantage du château-chalon est qu’il est quasiment immortel, récompensant ceux qui parviennent à domestiquer ses déconcertants arômes qui évoquent le champignon, la noix, le curry. Le jeu en vaut la chandelle. Qui y prend goût ne peut plus s’en passer. Chez les Macle, loyaux envers leurs clients fidèles, il n’est pas si cher que ça. Même si, comme chacun sait, le vin jaune perd 6 % de son volume chaque année lors de l’élevage, ce qui explique sa bouteille unique, le clavelin, qui ne contient que 62 centilitres. Après tout, quand on aime, on ne compte pas.

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