Les Gimmonet, équilibristes du champagne

En Champagne, la création n’est pas réservée aux seules maisons de Reims et d’Épernay. La famille Gimonnet entretient son besoin de créer, au service de l’expression la plus pure


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Grand, la petite soixantaine, Didier Gimonnet est le cadet de sa génération. Il descend de la mezzanine où se trouve son bureau pour nous recevoir. C’était sa chambre d’enfant. Il a grandi là. Le champagne Pierre Gimonnet est une affaire de famille. C’est le grand-père qui a donné son prénom au domaine quand il a décidé, en 1925, de quitter la ferme familiale à proximité pour s’installer sur huit hectares de terres à vignes. À l’époque, le champagne n’est pas exactement l’Eldorado. Sur le tarif de 1935, Pierre vend du vin blanc pour les bistrots, du jus de raisin pasteurisé et du champagne, qui n’est pas le plus cher. En 1955, son fils Michel Gimonnet, le père de Didier, revient au domaine après avoir fait Supélec. Ce n’est toujours pas la fête pour la région. Il a fallu attendre la fin des Trente Glorieuses. Le retour de Michel n’était pas prévu, mais son frère est parti travailler ailleurs. Cela lui a souri puisqu’il est devenu directeur du vignoble chez Moët & Chandon, pour qui il a glané quelques centaines d’hectares. Didier et son frère Olivier sont arrivés quant à eux dans les années 1980. « Mon retour non plus n’était pas prévu, mais Olivier ne s’est pas entendu avec notre frère aîné, pour des questions de caractère. Une entreprise familiale, c’est particulier. Un mélange de rationnel et d’affectif. Mais Olivier et moi, on était d’accord. » Une habile répartition des tâches leur permet de ne pas se marcher sur les pieds. À Olivier le vignoble, à Didier, plus extraverti, la vinification et le commerce. « Nous restons polyvalents. Olivier, qui vient officiellement de partir en retraite, passait 40 % de son temps en cave. » Didier est précis. Il donne toujours des chiffres.

La relève est là
L’actualité chez Pierre Gimonnet, c’est la montée en puissance de la quatrième génération, Armand, le fils d’Olivier, et Pierre-Guillaume, l’un de ceux de Didier. Les deux trentenaires sont ingénieurs agricoles et ont leur diplôme national d’œnologue. « Ils aiment le style de la maison, qui est bien en place. Mais ils devront faire face à des changements viticoles et environnementaux. Les raisins qu’on récolte ont beaucoup changé en quarante ans. Avant, l’enjeu c’était de ramasser des raisins qu’on n’était pas obligé de chaptaliser. Maintenant c’est d’avoir des raisins qu’on n’est pas obligé de réacidifier. » Didier nous révèle la méthode du domaine qui comporte trente hectares de vignes, quasiment toutes situées dans un périmètre de deux kilomètres et demi autour de la maison. « Pour avoir de bons équilibres, il faut 90 à 95 jours entre la fleur et la vendange. Ce n’est pas tant le degré qui est important, ou le rapport sucre-acidité, mais l’équilibre. Il faut laisser à la plante le temps d’aller chercher des minéraux dans le sol. Aujourd’hui, on a le même équilibre que celui qu’obtenaient nos parents, mais avec dix jours de moins. »

Un style unique
Sinon, ce qui ne change pas au domaine, c’est le style, celui des chardonnays du nord de la côte des Blancs. L’essentiel de ses vignes est situé à Cuis, Cramant et Chouilly. « Il faut distinguer le nord de la Côte du sud. Au nord, la craie plus douce donne des vins crémeux, en dentelles. Le sud est plus pierreux, avec un style plus structuré. » La gamme est classiquement étagée, avec deux bruts sans année, des cuvées d’assemblage et des cuvées de terroir millésimées par village. « Le champagne, à 90 % pour cent, c’est un brut sans année qui donne le style de la maison, son identité. Après, on peut s’amuser avec quelques parcellaires, mais pas l’inverse. Nos cuvées de terroir ne représentent pas plus de 10 % de nos approvisionnements de chaque village, pour ne pas dépouiller les bruts. » On discute hiérarchie en Champagne, cette dénomination grand cru et premier cru donnée aux villages. On lui suggère que c’est très lié à la distance entre les villages et les cuveries des maisons de négoce, à Reims ou Épernay, à une époque où le transport était plus lent. « C’est réducteur. Cuis est très proche d’Épernay, mais a beaucoup de vignes exposées au nord. C’est un premier cru. Il faut raisonner en terroir. Cramant donne de très grand vins huit années sur dix. À Cuis, on a 20 % de très grand vins, quatre ans sur dix. » L’essentiel est de révéler ce terroir. « Pour cela, on utilise des contenants neutres. Pierre avait fait des essais. Il a gardé l’inox. Il a brûlé tous ses fûts. » Chez les Gimonnet, la recette est simple, de la craie, du chardonnay, des cuves inox. Pas de maquillage, mais de l’équilibre et de la pureté.

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