Peur sur le vin

Sans repères pour savoir dans quelle direction avancer, sans moyens pour se réorganiser, la filière des vins français serait-elle devenue le souffre-douleur de notre société ? Attention, les dangers qui la guettent viennent aussi de l’intérieur


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Décidément, le modèle bourguignon est plus que jamais à la mode. Sur le fond, c’est-à-dire sur le choix d’élaborer des vins monocépage issus de lieux-dits individuels, donc forcément en volume limité, je n’ai rien à redire, même si, par éducation, je préfère la production de vins d’assemblage, par sympathie pour tout ce qui est intervention de l’intelligence humaine et production plus largement disponible. Il faut en revanche commencer à s’inquiéter d’une dérive collatérale comme l’histoire de l’agriculture en a trop souvent connu dans le passé : la multiplication de micro-exploitations agricoles que l’on imagine plus conformes à une certaine éthique du métier et que l’on voit comme un tremplin pour des aventures individuelles. On ne compte plus le nombre de jeunes ou moins jeunes professionnels, désabusés par un premier métier ou par l’état actuel du monde, qui se reconvertissent dans la viticulture, créant de petits domaines, souvent achetés dans des secteurs peu connus et rendus attractifs par le prix modeste des vignes. Il leur faut apprendre un métier difficile, se battre avec les caprices de la nature et surtout avec un marché encore trop hiérarchisé où défendre une marque individuelle, sans grands moyens de communication et dans l’indifférence d’acheteurs débordés par le nombre des autres marques disponibles. Le prix le plus bas fera la différence entre elles, bien plus que la qualité réelle du produit. Et comme ce prix bas ne permet pas, même à court ou moyen terme, de produire une qualité susceptible de plaire à un public pour qui le vin devient une boisson choisie, l’avenir d’une telle aventure à Bordeaux, au Larzac ou en Anjou est loin d’être assuré.
La tentation de s’engager dans une filière bio, compréhensible sur le plan éthique, l’est moins sur le plan commercial ou même agronomique. Elle augmente le coût de production, mais pas le volume de production en année difficile. La faillite est vite arrivée et la filière viticole finira par en souffrir comme ce fut le cas dans le passé, notamment dans la filière café un peu partout dans le monde entre 1800 et 1980. Rappelons les faits. D’abord, un énorme développement des plantations de café, lié à la demande de la consommation, passant régulièrement des mains de petits producteurs à celles de gros exploitants, avec de constantes tragédies humaines. Puis la ruine de ces mêmes exploitations en raison des guerres ou des crises politiques et économiques. Et le désastre d’une agriculture productiviste, la destruction de savoir-faire paysans, entraînant celle des paysages, des petits villages et de la biodiversité. Et enfin, avec la mondialisation, le retour de la demande à la recherche de la rentabilité de cette agriculture. Retour peu reluisant, marqué par une opposition entre des acheteurs géants, comme Nestlé ou Starbucks, et la résistance de plus en plus résiliente des petits producteurs, coincés entre l’hypocrisie de mouvements humanitaires censés les défendre, trompeurs pour le consommateur, et le manque de moyens, malgré l’ambition ou la générosité de centaines de petits commerçants-artisans tentant la voie du « café de spécialité ».
À la différence du café, qui n’est pas pris en grippe par des lobbys hygiéniques, le vin doit aussi se battre contre ses ennemis de l’intérieur, qui voudraient en faire une boisson criminelle. La filière médiatique détruite en France par la loi Evin, ou ailleurs par les pays qui voudraient en implanter une semblable, n’a plus la force de le défendre. Ajoutons des politiques qui n’imaginent même pas la catastrophe pour nos territoires, nos paysages, notre patrimoine écologique, nos villages, leurs micro-économies, leur attractivité, qui se produirait avec la disparition de nos vignes. Les centaines de micro-producteurs auront encore moins de force pour se défendre dans les vignobles qui n’auront pas su produire des marques suffisamment fortes et crédibles, avec la diffusion que mériterait l’adaptation de leur qualité au désir d’un nouveau public. On peut même imaginer que la survie du produit viendra de la Chine ou du « Grand Sud » où, comme par hasard, le café devient encore plus rentable que le thé, sans parler du vin.

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