Xavier Vignon : « Le cahier des charges est une vraie chance »

Plus de vingt-cinq ans que Xavier Vignon est installé dans le Rhône méridional. Après avoir été œnologue consultant aux quatre coins du monde, il exploite aujourd’hui 40 hectares sur différentes appellations, dont celle de Châteauneuf-du-Pape. Le réchauffement climatique, c'est son combat et sa source de créativité. Propos recueillis par Valentine Sled


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Châteauneuf-du-pape est-elle une appellation d’avenir ?
Il y a trente ans, c’était l’appellation la plus qualitative du Rhône méridional. Aujourd’hui, c’est la plus délicate à exploiter. Les quartiers situés au sud de l’appellation sont très sensibles à la sécheresse tout en devenant meilleurs les années humides. Le plateau de Mont-Redon est au contraire souvent inondé, mais il résiste bien à la chaleur et les vignes qui y sont plantées gagnent en qualité avec le réchauffement. Le vrai avantage de cette appellation, ce sont ses galets roulés qui préservent la chaleur emmagasinée pendant la journée. Cette constance permet d’avoir des tannins fins et beaucoup de fruit. Les galets permettent aussi une bonne rétention de l’eau accumulée par l’argile en-dessous, là où le calcaire le ferait sécher immédiatement.

Châteauneuf sait aussi s’adapter grâce à ses cépages.
Le cahier des charges de l’appellation permet d’en utiliser treize, sans être restrictif quant à la formule d’assemblage. On a l’opportunité d’aller chercher du terret noir, du vaccarèse, de la counoise ou du muscardin qui sont de vieux cépages plus résistants aux fortes chaleurs, oubliés ces dernières années et pourtant admis dans le cahier des charges. C’est une vraie chance que n’ont pas les vignerons corses, par exemple, contraints de sortir des appellations pour revenir aux cépages autochtones.

L’année 2024 est particulière. Il a beaucoup plu avec une chaleur modérée. Est-ce une amélioration par rapport aux derniers millésimes très chauds et secs ?
Avoir eu beaucoup d’eau est une bonne chose pour nous. Les sols ont été réapprovisionnés pour les prochaines années. C’est peut-être la région viticole qui en a le plus bénéficié, car elle est aussi la plus précoce. D’après les premiers tests, on revient sur un millésime à peu près « normal », tel qu’on pouvait en produire il y a vingt ans. La contrepartie de cette humidité, c’est qu’elle attire les maladies, notamment le mildiou. On constate aussi que le raisin est plus tardif que les autres années, il va falloir le prendre en compte pour les vendanges. En tout cas, on n’a jamais vu la région si verte pendant l’été.

La situation vinicole dans le Rhône méridional a-t-elle beaucoup changé par rapport à vos débuts ?
Quand je suis arrivé, les vins du Rhône avaient très mauvaise réputation. On peinait à faire des vins qualitatifs, les mûrissements étaient tardifs, on manquait de sucre et d’alcool, la chaptalisation était répandue. Aujourd’hui, c’est l’inverse. On essaye de réduire ces taux, qui ont considérablement augmenté en raison du réchauffement climatique, dans un contexte où l’on vendange déjà deux à trois semaines plus tôt. Les combats d’hier sont devenus les problèmes d’aujourd’hui. Les températures augmentent à une vitesse fulgurante depuis une quinzaine d’années et le Rhône méridional est forcément une des régions viticoles les plus exposées à la sécheresse.

Certains terroirs deviennent plus qualitatifs. Sont-ils à privilégier pour l’avenir ?
Je m’intéresse de plus en plus aux appellations ventoux et beaumes-de-venise. On associe cette dernière au muscat et à ses sables alors qu’elle a les terroirs les plus diversifiés de la région. On y trouve une trentaine de sols différents, parmi lesquels les plus qualitatifs, comme des éboulis calcaires identiques à ceux de Gigondas. Les sables ont par ailleurs une bonne capacité de rétention, j’y ai planté du picpoul, du vaccarèse et de la counoise avec de jolis résultats. Mais les AOC beaumes-de-venise et ventoux ont surtout ce sol merveilleux, issu du Trias, concentré de tous ces terroirs en un. Ni trop sec, ni trop humide, il garde la fraîcheur tout en donnant du corps, c’est vraiment l’idéal pour le vin. Si j’étais une vigne, je voudrais vivre sur du trias. Ces appellations ont enfin des parcelles très élevées, jusqu’à 600 mètres d’altitude. J’ai acquis treize hectares en ventoux en avril 2023 et j’en suis très satisfait.

Quelles sont les solutions concrètes au vignoble pour amortir les effets du réchauffement climatique ?
À l’époque où l’on cherchait à éviter l’acidité, le palissage s’est développé dans la région, car il permettait aux feuilles de se développer davantage et aux raisins de gagner en sucre, et donc en alcool. Avec les contraintes d’aujourd’hui, il vaut mieux revenir au gobelet, même s’il nécessite un travail manuel. Il faut aussi privilégier les expositions nord et est pour éviter l’excès d’ensoleillement. L’altitude est également une solution. Elle favorise les écarts de température et donc la création de tannins et le maintien de l’acidité. On fuyait les sols peu drainés hier, ils sont désormais devenus très intéressants car ils ont une meilleure rétention d’eau. Le mistral est aussi un atout car il préserve le raisin quand il est mûr, il permet à l’eau de s’évaporer en concentrant ses sels minéraux, un autre contrepoids pour le sucre.

Et en cave ?
Le premier enjeu est la date de récolte. Il faut viser le moment optimal pour avoir le bon taux d’acidité. Les vendanges dans le Rhône sont délicates car le mûrissement des raisins est très hétérogène avec les différents cépages, terroirs, altitudes et expositions. Elles s’étalent sur deux mois et demi là où d’autres régions les font en deux ou trois semaines. Cela nécessite d’avoir l’œil et une bonne connaissance de ses vignes. Au chai, l’enjeu est plus porté sur les assemblages. Ils vont varier chaque année en fonction de ce que donne la vigne, le but étant de retrouver le même style. La richesse de l’assemblage est qu’elle permet au vigneron d’avoir sa patte. Je me suis essayé à assembler plusieurs millésimes afin d’exploiter les atouts de chacun en palliant les défauts des autres. Certains expriment le terroir, d’autres le climat, parfois c’est le cépage qui ressort. On obtient des vins complexes de cette manière.

Le réchauffement est presque devenu une source d’inspiration pour vous ?
En essayant d’y trouver des solutions scientifiques, mon côté créatif s’exprime. En 2015, j’ai eu l’idée de faire ma première cuvée Almutia, un blanc de noirs en appellation châteauneuf-du-pape. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le cahier des charges précise les cépages, mais pas la couleur du vin. Rien ne m’empêchait donc de garder les premiers jus de mourvèdre pour en faire un vin blanc, afin d’exploiter leur acidité. Plus les années passent, plus le résultat est satisfaisant, on n’obtiendrait jamais un châteauneuf blanc aussi tendu. Cette fraîcheur, on l’a aussi dans une cuvée 100 % viognier en appellation vacqueyras qui provient de parcelles en altitude.

Comment envisagez-vous le vin dans le futur ?
Globalement, la clé, c’est de migrer au nord et en altitude. Je pense qu’il y a une vraie latitude d’adaptation par ces deux vecteurs. Mais à terme, la limite sera le manque d’eau, que l’on ne pourra pallier d’aucune manière. J’aimerais un jour essayer de faire du vin dans un endroit vierge, pourquoi pas la Bretagne, ou même l’étranger. Seule certitude, plus on avance dans le temps, moins les vins que l’on produit vieillissent correctement, car la bonne conservation est liée au PH, l’acidité. Les vins que l’on produisait il y a trente ans étaient imbuvables sur le moment et le devenaient des années après. Ceux que l’on produit aujourd’hui sont bons immédiatement mais ne le seront bientôt plus. J’ai ouvert l’autre jour un châteauneuf-du-pape de 1972 qui était délicieux et qui a encore un potentiel de garde énorme. Un jour, peut-être que l’on ne boira que des vins du XXe siècle.

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