Kyriakos Kynigopoulos : « La Bourgogne était un peu au bout du rouleau »

Avec plus de 200 clients en Bourgogne et dans le monde, l’œnologue Kyriakos Kynigopoulos est l’un des plus fins observateurs de l’évolution des vins blancs. Après quarante ans sur place, il admet que tout a changé (ou presque)


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Comment c’était, la Bourgogne, il y a quatre décennies ?
Quand je suis arrivé, la Bourgogne était un peu au bout du rouleau. Les rouges avaient souvent des défauts, pas assez de couleur, des tannins séchants, des acidités excessives. En 1985, ils vendangeaient trop tôt pour ne pas risquer de perdre la récolte. Pour les blancs, les Bourguignons avaient oublié les pratiques des anciens qui faisaient que les vins étaient de grande garde. Avec quelques vignerons, comme Jacques d’Angerville et « l’oncle Vincent », le père d’Anne-Claude Leflaive, on a repris les choses au début et fait les modifications nécessaires. En 1990, le vrai changement a commencé. Mais il a fallu vingt ans pour qu’il se diffuse progressivement à l’ensemble du vignoble.

Qu’est-ce qui a changé ?
Aux vignes, les domaines faisaient des rendements excessifs, ce qui avait pour conséquence que les maturités n’étaient pas bonnes. Ils allaient à la facilité, avec les désherbants notamment. Le travail du sol a débuté en 1991 quand Anne-Claude Leflaive a commencé la biodynamie sur la parcelle de son puligny premier cru Clavoillons. Les sols étaient comme du béton. La viticulture a évolué aussi. Il y a eu des changements sur le matériel végétal. Les sélections clonales ont progressé. On est à la troisième génération avec la sélection de l’Association technique viticole de Bourgogne (ATVB) qui est presque de la massale. Ce progrès se voit plus en côte de Beaune qu’en côte de Nuits, dans la mesure où c’est plus compliqué d’arracher une parcelle de Chambertin.

Et ces problèmes de premox, oxydation prématurée des vins blancs, qui ont marqué la fin des années 1990 ?
Sur les vins blancs, on n’a pas été assez attentifs dès le début. On poussait très loin les maturités dans les années 1990. Il était impensable qu’un meursault premier cru Charmes ne soit pas à 14° degrés d’alcool. S’il y a beaucoup d’alcool, cela entraîne la formation d’éthanal, surtout avec l’apport de l’oxygène des fûts neufs. L’éthanal est une éponge à SO2. Vous sulfitez, mais il ne reste pas grand-chose et le vin s’abîme. Il y avait aussi les pressurages « sauvages » qui provoquaient des phénols. On ne séparait pas les fractions de presse et les raisins étaient trop triturés dès la réception de vendange. On ne faisait pas non plus assez attention à l’importance des lies dans le vin blanc, qu’on éliminait avec des débourbages trop radicaux. À l’époque, on négligeait l’acidité dans le vin blanc, qui joue un rôle dans l’assimilation du SO2 actif. Avec un bon pH, neuf grammes de SO2 suffisent. Avec un mauvais pH, neuf grammes de SO2 et vous oxydez. Et puis, il y a sans doute eu des problèmes de bouchons. Pour des raisons économiques, les bouchonniers réduisaient légèrement le diamètre des bouchons, ce qui entraînait des problèmes d’étanchéité.

Ces dix dernières années, il y a eu de vives discussions sur la date de vendanges. Autrefois, on faisait des blancs trop mûrs, disiez-vous. Le sont-ils désormais suffisamment ?
Cette mode agace Michel Bettane. Vendanger tôt pour préserver l’acidité, c’est une sorte de justification, mais très imparfaite. Il faut atteindre une certaine maturité pour récupérer tout ce que les racines sont allées chercher dans le sol. L’acidité, il vaut mieux la créer en travaillant les sols. Quand je suis arrivé chez Henri Germain à Meursault en 1990, il m’a dit : « Si tu me fais les malos, tu seras mon œnologue ». Il avait des pH très bas et n’y arrivait pas. Cette bonne acidité était due au fait qu’il travaillait très bien les sols et n’avait jamais mis de potasse. Coche-Dury aussi avait des équilibres parfaits, sans doute dû au travail des sols. Les vins blancs de Bourgogne sont uniques. Pour faire un grand vin blanc, il faut un sol adapté, c’est primordial. Sans un sol de qualité, on ne fait pas de grands vins blancs. Quand je suis allé à Savennières dans la Loire en 2014, je leur ai dit d’arrêter de bricoler. Le consultant avant moi, au château de Chamboureau, ne s’était pas intéressé au fait qu’il y avait trois schistes différents, donc trois terroirs, autour du château. En Galice, où je travaille également, j’observe la même chose avec le granit et le cépage albariño. Le climat joue aussi là-bas avec l’apport de l’océan. Ici, il y a des couloirs de pluie, de vent, de soleil. D’une parcelle à une autre, c’est différent. Chez Leflaive, Sauzet ou Fontaine-Gagnard, il y a autant de premiers crus que de vins différents.

On a trouvé le juste milieu désormais en matière de maturité ?
En Bourgogne, on fait de la haute couture. Chaque parcelle a sa maturité. Quand Jean-Yves Roulot vendange ses Bouchères, tout le monde dit « Roulot vendange ». Mais non, il ramasse seulement les raisins des Bouchères, car c’est un climat précoce, et il attend les autres, plus tardifs. Il faut comprendre chaque parcelle et la vendanger au bon moment. Je me souviens qu’Anne-Claude Leflaive a passé tout le domaine en biodynamie en 1997, une année chaude. Elle avait les meilleurs pH de toute la côte car elle travaillait ses sols.

Et pourtant, elle a été touchée par les premox.
Elle subissait beaucoup d’influences. À l’époque, je passais deux jours dans la cave avec Pierre Morey pour goûter les collages (technique douce de filtration pour clarifier le vin). Pour moi, le collage, c’est indispensable. Anne-Claude était proche de Nicolas Joly qui disait qu’il ne fallait pas coller. Elle avait un fort caractère et n’écoutait pas toujours les bonnes personnes.

Il n’y a donc pas qu’une seule façon de faire d’excellents vins blancs.
On peut choisir d’atteindre la pleine maturité et sacrifier un peu d’acidité. Ou bien chercher le point d’inflexion qui paraît idéal entre maturité et acidité. Mais plein d’autres facteurs interviennent. L’eau, par exemple. Les grands millésimes se font quand il y a des pluies au mois d’août qui permettent la synthèse de l’acidité. Et la vérité des blancs n’est pas celles des rouges. 2014 et 2017, c’est grand pour les blancs, pas pour les rouges. Mon rôle, c’est de vulgariser ce que j’ai appris, notamment sur l’autolyse des levures. Rien n’est simple, plusieurs facteurs se conjuguent, de la vigne jusqu’à la fin de l’élevage, avec tout le travail sur les lies sur lequel on progresse également.

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