Pavie, la route du géant

En un quart de siècle, le saint-émilion du château Pavie s’est imposé comme l’un des plus grands vins du monde. Cette verticale raconte l’histoire d’une ascension


Retrouver cet article dans En Magnum #36. Vous pouvez l’acheter en kiosque, sur notre site ici, ou sur cafeyn.co.


Lorsque Gérard Perse acquit en 1998 le château Pavie, le cru était depuis longtemps une légende de Saint-Émilion et le producteur faisait déjà partie des hommes qui étaient en train de réveiller une appellation longtemps endormie. On a raconté dans ces colonnes l’incroyable saga de cet entrepreneur devenu vigneron hors normes. Celle de Pavie mérite d’être rappelée. Le cru est indissociablement associé à la côte éponyme, dominant la vallée de la Dordogne et ouvrant, sur le flanc oriental du village de Saint-Émilion, une succession de coteaux viticoles qui courent jusqu’à Castillon. Pourtant, la propriété, qui a intégré aujourd’hui le vignoble de Pavie-Decesse, situé sur le plateau qui surplombe Pavie, compte une bonne part de son vignoble en deça et au dessus de la côte, retrouvant d’ailleurs peu ou prou une taille qui fut la sienne sous le Second Empire. Elle s’appuie de fait sur trois parties qui apportent chacune leur contribution au style du vin. Au plateau calcaire, on doit une finesse caractéristique qui complète l’exposition plein sud et les sols bruns et également calcaires de la côte. Le pied de côte, non calcaire mais sableux, joue quant à lui un rôle dans le velouté caractéristique des vins.
Le cru appartenait depuis plus d’un demi-siècle à la famille Valette qui le gérait de manière très traditionnelle. Dès son arrivée, Perse, qui avait fait sensation avec la plénitude et la profondeur atteinte par le vin du château Monbousquet, son premier investissement saint-émilionnais en 1993, transforma radicalement la philosophie de production de la propriété. Vignoble restructuré, vendanges vertes, recherche d’une maturité optimale du raisin, refonte totale du parc de barriques avec une utilisation de barriques neuves systématique et logique au vu de la constitution des vins (même si elle a été réduite dans les deux dernières décennies) et durée d’élevage bien supérieure à ce qui se pratique habituellement à Bordeaux. Perse est un condensé des bonnes pratiques viticoles et œnologiques de cette première partie de siècle. Contrairement à ce qui a été souvent avancé par des prescripteurs plus ou moins désintéressés, le pavie de Perse n’est pas le produit d’une époque, celle du « goût Parker », celle des blockbusters hyper boisés. Plus insidieusement, il n’est pas non plus (ou pas seulement) ce « monstre de puissance » que certains ont trop décrit dans les dégustations en primeur.
Au contraire, cette exceptionnelle dégustation verticale révèle à quel point Pavie exprime les nuances de son immense et complexe terroir dès lors qu’on lui donne le temps de s’exprimer. La fraîcheur, marqueur des grands bordeaux, est ici exceptionnelle. Elle dessine, avec les années de maturité, une trame racée et éclatante, qui apporte à la constitution ample, charpentée et profonde de ce cru solaire une dimension unique. Avec des notes florales et minérales qui s’associent au fruit éclatant de merlots mûrs (mais jamais surmûris, y compris dans le millésime de la canicule, 2003, qui déclencha une polémique restée fameuse et aujourd’hui ridicule), la palette aromatique diversifiée s’est enrichie de notes de fruits rouges frais au fur et à mesure de l’implantation de cabernet-sauvignon (10 % aujourd’hui) et cabernets francs (25 %). Enfin, l’élevage, ambitieux et long, permet avec le temps de garantir l’épanouissement optimal de chaque millésime. La plus importante leçon de cette « intégrale Perse » est de constater l’excellence de chaque millésimes produit. Pavie est au sommet depuis 1998 et il a continué à grimper.

1998
Le premier millésime de l’ère Gérard Perse a toujours impressionné lors des nombreuses dégustations que nous avons réalisées tout au long de son histoire. Un quart de siècle après sa naissance, le vin apparaît dans toute sa splendeur et sa pureté : un joli nez de truffe noire relevé par des nuances de fruits noirs frais, une attaque saline et somptueuse qui se prolonge avec une texture raffinée. Le niveau d’extraction du tannin est idéal et la fusion de la matière avec le bois exemplaire.
99/100

1999
Nez un peu plus léger et floral que le précédent, précis dans la salinité et la tension, délicat, profond et subtil. Le vin développe un style en délicatesse, personnel, dans un millésime moins intense que 1998. La propriété a eu la chance de ne pas subir de grêle comme certains de ses voisins et le vin possède le corps d’un joli millésime et beaucoup de raffinement de texture.
98/100

2000
Le millésime a été plus long à s’épanouir que les précédents, mais cela valait le coup d’attendre car le vin se révèle aujourd’hui à la fois profond et raffiné avec son inimitable parfum de truffe noire sensuel
et sa merveilleuse onctuosité. Cette combinaison de puissance et de fraîcheur, liée au calcaire du sol et
à une acidité surprenante cachée sous des nuances florales racées a produit un vin de grande sève, d’allonge musclée et juvénile. Bref, ce millésime dans sa maturité affiche un grand style complet.
99/100

2001
Sévère en attaque avec néanmoins de jolies notes de pivoine. La subtilité minérale s’impose ensuite, mentholée, développant une brillante fraîcheur. Après plus de deux décennies de garde, le millésime 2000 se révèle maintenant plus complet que ce 2001 pourtant si charmeur pendant les vingt premières années.
96/100

2002
Après une première bouteille marquée par un bouchon imparfait, la seconde retrouve la brillance et la profondeur habituelle. Avec ses notes de pivoine et de truffe noire, le vin séduit dès le premier coup de nez. En bouche, la longueur moelleuse et tendre séduit avec beaucoup de charme.
96/100

2003
Dans ce millésime si particulier en raison de la canicule d’été, ce vin prodigieux a été mal perçu à sa naissance par beaucoup d’experts peu éclairés mais très sûrs d’eux. De fait, sa matière imposante exigeait un long élevage en fûts que trop peu de propriétés ont osé faire, parfois pour des raisons de logistique, mais souvent par routine. Aujourd’hui le vin touche au sublime comme aucun autre vin de la rive droite n’y est parvenu, avec un extraordinaire retour de fraîcheur mentholée qui coiffe un corps au moelleux exceptionnel. Un chef d’œuvre, à apprécier à une température de service ne dépassant pas 18° pour le percevoir à sa vraie dimension.
99/100

2004
Vin complet et racé, au charme de texture évident. Fin, floral et brillant, de la souplesse et de la grandeur, très beau fruit frais. Soutenu par un boisé exemplaire, le tannin se fait extrêmement charmeur.
96/100

2005
Robe brillante et juvénile. Le bouquet, très complexe et riche, se développe dans le verre et idéalement après un carafage. Intense et énergique, le vin affiche une longueur svelte et minérale, pour dévoiler un profil sculptural, avec cette magique combinaison de maturité et fraîcheur qui rend ce terroir incomparable.
98/100

2006
Epoustouflante réussite : grande robe brillante opaque, truffe et minéral, grand fruit précis, longueur svelte, musclé et profond. Le millésime a favorisé l’ADN truffe du cru qui développe ce caractère avec une intensité sans rivale, tandis que commencent à s’épanouir les notes de fruits rouges du cabernet franc.
98/100

2007
Comme pour le 2004, le vin se développe avec un corps et une élégance de texture supérieurs à ce qu’on attend parfois du millésime, avec une touche saline et minérale en finale bienvenue. L’ensemble est velouté, floral et tendre, parfait pour accompagner un gibier à plumes.
96/100

2008
Puissant, d’un bloc, long, encore assez austère dans sa définition. À ce stade, pas dans sa présentation optimale, mais le potentiel paraît inentamé.
94/100

2009
Une jeunesse éternelle, toutes les nuances aromatiques d’un registre floral et fruité, la complexité en plus, signe d’une vendange d’une perfection de maturité encore supérieure à celle des grands millésimes précédents. Longueur généreuse et chair raffinée, grain de tannin subtil, complet et profond. Un nouveau 1929 avec tous les progrès de l’œnologie moderne.
100/100

2010
Un vin de très grand corps et de grand avenir, d’un caractère vraiment différent du précédent avec une minéralité calcaire et truffée impressionnante et une énergie encore un peu sauvage. Mais quelle qualité de boisé et de tension noble dans la fin de bouche !
99/100

2011
Fruité, floral, agréable et long. Beaucoup de nez avec les constantes du cru, truffe, pivoine et minéralité. Une jolie bouteille évidemment un ton en dessous des deux millésimes précédents.
94/100

2012
Avec ses notes de cassis mûr s’associant aux touches minérales et salines, le coup de nez est délicieux et original, le caractère du cabernet franc commençant à entrer en plus grande proportion dans l’assemblage. Beaucoup d’élégance qui le rend prêt à boire.
96/100

2013
Robe brillante et grenat, sveltesse musclée, grande finesse fruitée florale, longueur svelte. L’année fut tardive
et difficile, mais l’on ne s’en rend pas compte avec ce pavie raffiné dans ses notes florales et sa texture, sans évidemment la profondeur des plus grands millésimes.
95/100

2014
Un bouquet solaire avec ses notes de fruits noirs mûrs, une longueur onctueuse et profonde, pleine d’énergie,
une remarquable persistance. Il fera un pavie exemplaire avec désormais la touche un peu plus « intellectuelle »
d’un cabernet franc de maturité accomplie, mais donnant encore plus de droiture dans le soutien tannique.
97/100

2015
Riche, juteux, profond, expressif en bouquet avec ses notes florales, fruitées, ses épices, long et dense, volumineux. Un pavie idéal et sans doute le plus accompli depuis 2009. On adore cette merveille de corps
et de texture et son allonge déjà impressionnante. Mais il faudrait avoir le courage de l’attendre encore au moins dix ans pour un épanouissement absolu.
98/100

2016
Le vin, encore très jeune, impressionne par la précision de son fruit, à la fois mûr et très frais, relevé par des touches salines. En bouche, il affiche un profil intense et profond, développant une grande sève énergique, d’une persistance aromatique remarquable. Encore très loin de son apogée, mais assurément parmi les grands.
98/100

2017
Brillant dans un registre puissant et intense : grand caractère généreux et musclé, bouquet de fruits noirs relevé
par des nuances salines et minérales, profond et lumineux.
97/100

2018
Floral et finement poivré, raffinement de texture, généreux et intense. Corps un peu plus sévère que celui du 2015, moins avancé dans ses dimensions aromatiques, un rien plus simple. Mais quelle énergie !
98/100

2019
Juteux et profond, long et charnu, grande intensité subtile : plus de raffinement aromatique que dans le 2018, texture aristocratique, boisé idéalement fondu, tannin velouté sans égal. Un charmeur, encore dans son adolescence.
98/100

2020
Grande classe, séduction, précision et race, longueur veloutée. On retrouve l’élan, l’éclat et la séduction
des plus grands millésimes avec le même caractère de terroir et cette petite fraîcheur supplémentaire de cabernet. Très grand avenir pour ce monument contemporain.
100/100

À lire aussi