Les mystères de la malolactique

« Avec ou sans malo ? » Combien de fois ceux qui font du blanc ont-ils eu à répondre à cette question ? Méconnue, la fermentation malolactique est capable de tout sublimer. Et puis, parfois, elle peut tout faire tourner au cauchemar


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La fermentation malolactique (FML) n’est pas une fermentation au sens où nous l’entendons couramment. Elle n’est pas due à des levures qui créent de l’alcool à partir de sucres, mais à des bactéries qui transforment un acide, l’acide malique, en un autre, l’acide lactique, qui est moins acide. C’est donc une désacidification biologique. On la connaît depuis finalement assez peu de temps grâce à la thèse d’Emile Peynaud en 1946, fondateur de l’œnologie moderne avec ces travaux. Si cette FML est obligatoire pour les vins rouges dans la mesure où elle garantit au vin d’être stable dans le temps, en particulier d’un point de vue microbiologique, en même temps qu’elle lui apporte davantage de rondeur en bouche, elle est cependant optionnelle pour les vins blancs. Pour résumer grossièrement la situation en France, en matière de vinification des blancs, on évite la FML dans les vignobles du sud alors qu’on la recherche dans les secteurs septentrionaux, où les acidités sont plus marquées.

Alternative au soufre ?
Le vignoble des Charentes constitue pourtant une exception remarquable à cette situation binaire. Il permet surtout de comprendre que la FML n’a pas pour seul rôle d’équilibrer l’acidité du vin. En Charentes, les vins de base qui serviront à la distillation sont vinifiés et conservés sans soufre. Ils peuvent donc s’oxyder et produire ainsi ce que l’on appelle de l’éthanal. En l’absence d’antioxydant (les sulfites sont des antioxydants), l’oxygène de l’air réagit avec l’alcool (l’éthanol) et forme de l’éthanal (qui apparaît aussi pendant la fermentation alcoolique). Au-delà des arômes de pomme blette que sa présence provoque, l’éthanal dans un vin empêche celui-ci d’être distillé sous peine d’enrichir les eaux-de-vie en acétal, ce qui leur confère une odeur d’alcool à brûler. Seule solution possible : « faire la malo ». Car après avoir consommé l’acide malique (puis l’acide citrique), les bactéries lactiques dégradent l’éthanal jusqu’à le faire disparaître et, donc, permettre la distillation. Ainsi, cette autre propriété sous-estimée (mais pourtant cruciale) de la FML permet-elle, dans tous les vins, de limiter la dose de sulfites à employer. Autrement formulé, laisser le temps aux bactéries lactiques de consommer l’éthanal, c’est réduire drastiquement les doses de soufre. Un milligramme par litre d’éthanal rend inopérant 1,5 mg/l de soufre, ce qui est considérable. Une FML bien gérée évite d’avoir à sulfiter de façon importante. Victoire de la microbiologie sur la chimie.

Bactéries double-face
D’autres aspects sensoriels systématiquement négatifs sont liés à l’action des bactéries lactiques et expliquent, en partie, une certaine défiance historique des vignerons envers ces microorganismes. Maladie de l’amertume, maladie de la tourne, maladie de la graisse, production d’amines biogènes et, bien sûr, goûts de souris, provoqués par les bactéries lactiques associées aux levures brettanomyces en l’absence de protection des vins (manque de sulfites). La FML fait pourtant partie intégrante du procédé de vinification et permet d’obtenir des résultats sensoriels très intéressants quand elle est maîtrisée. Encore faut-il savoir lesquels on veut obtenir d’elle en fonction des conditions spécifiques propres à chaque cépage, chaque terroir, chaque millésime. Si la FML profite au chardonnay en lui permettant de gagner en gras et en complexité aromatique, elle agira différemment avec du sauvignon blanc dont l’aromatique subit sous l’effet de la malo des transformations radicales et peu appréciées, comme une perte de fraîcheur et de typicité aromatique.

Étudier toujours plus
En matière d’arômes d’ailleurs, les notes beurrées, lactées, « pain de mie » sont à juste titre associées à la réalisation de la FML. Mais leur intensité dépendra du profil du vin, de la bactérie à l’œuvre et des conditions d’élevage. Beaucoup de réactions au cours de la FML sont d’ailleurs largement méconnues. Divers travaux sont en cours afin de qualifier et quantifier l’impact aromatique des bactéries lactiques, en particulier sur les notes fruitées. Aussi, comment expliquer que les vins blancs pour lesquels la FML s’est déroulée en barrique voient leurs arômes boisés immédiatement mieux fondus ? Alors, faire ou ne pas faire cette FML ? Récemment, une troisième voie s’est ouverte. Elle consiste à faire ce que l’on appelle improprement une FML partielle. Il ne s’agit pas de faire partiellement la FML, mais plutôt d’assembler certains vins ayant fait leur malo à d’autres qui ne l’ont pas faite. C’est une fois de plus l’art humain de l’assemblage qui permet l’harmonisation de ces proportions de vins, dicté par un choix sensoriel et technique qui permet de « paramétrer » l’acidité des vins avec la plus fine précision et de décider, au final, pour le futur vin, du gain en gras, suavité, complexité tout en préservant fraîcheur aromatique et tension en bouche. Certes, la FML des vins blancs n’est pas obligatoire. Mais elle participe à l’élaboration des vins blancs de qualité et au génie des plus grands d’entre eux. Et elle continuera probablement à y participer grâce à ses nombreux apports sensoriels et même si de nombreux vignerons commencent à la bloquer, au moins en partie, afin de conserver de l’acide malique et un surcroît de fraîcheur. Reconnaissons qu’il est plutôt bienvenu dans le contexte actuel.

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