Les piliers de la terre de Cantenac-Brown

C’était un projet attendu. Le château Cantenac-Brown, à Margaux dans le Médoc, a révélé aux yeux du monde ses nouvelles installations. Cuvier dernier cri, chai-cathédrale merveilleux, la propriété bascule dans le monde fermé de l’artisanat de luxe au service des vins de lieu

Permettons-nous d’émettre un jugement personnel, partagé d’ailleurs par l’ensemble de notre équipe, à propos des nouvelles infrastructures du château Cantenac-Brown : il s’agit peut-être du plus beau chai au monde. Cette propriété de Margaux n’en avait pas besoin pour être considérée comme l’une des plus remarquables du Médoc. Il y avait déjà ce magnifique château de style Tudor, témoin des origines écossaises de John Lewis Brown, le fondateur de ce cru classé en 1855. Il y avait aussi ce parc à l’anglaise datant de 1806, exceptionnel par ses dimensions et sa beauté, avec ses grands arbres majestueux, son petit étang plein de charme et ses nombreuses dépendances qui forment un petit hameau à l’extrême nord du plateau de Cantenac, l’un des plus qualitatifs parmi les terroirs margalais. On comprend bien que la famille Le Lous, propriétaire du château depuis 2019 ne s’est pas lancée dans un chantier aussi monumental pour des raisons esthétiques. En 2021, pour le supplément vins et spiritueux du Journal du Dimanche, Tristan Le Lous, ingénieur agronome et passionné de vins qui représente sa famille dans la gestion de la propriété, nous détaillait ses ambitions : « L’idée est de viser le plus haut niveau possible en termes de qualité environnementale. L’un des éléments importants à prendre en compte (…) était de ne pas utiliser de ciment dans la construction. À lui seul, le ciment est responsable de 20 % de la production de gaz à effet de serre dans le monde. Nous sommes donc obligés de construire avec des matériaux alternatifs, en l’occurrence de la terre, avec une construction en pisé qui consiste à piler à la main de la terre pour la solidifier ». L’annonce de ce chantier inédit avait attiré la lumière sur un cru qui avait pour habitude d’être plutôt discret et suscité de nombreuses attentes envers cette marque qui évolue dans un univers de concurrence très fort. Trois ans plus tard, en prenant la mesure de ce qui a été réalisé, l’effet escompté est sans doute décuplé tant ce chai entièrement construit en bois brut et en terre crue est une merveille architecturale.

Un travail d’équipe
Pour la réaliser, la famille Le Lous a pu compter sur deux grands artisans. D’abord, Philippe Madec, architecte pionnier en matière de projets écoresponsables. La contrainte donnée par la famille était de taille : réaliser ce nouveau chai uniquement avec des matériaux biosourcés, naturels et non traités, en provenance de la région Nouvelle-Aquitaine afin de limiter le bilan carbone d’une telle construction. Pour se passer de ciment, il a donc eu recours à la technique du pisé qui consiste à compresser de la terre afin de la solidifier. L’inertie thermique donnée par ces nouveaux murs d’enceinte larges d’un mètre par endroits permet aussi d’éviter le recours à la climatisation. « Faire mieux avec moins », résume Tristan Le Lous. L’autre grand monsieur de cette réussite s’appelle José Sanfins. Ce Médocain d’origine portugaise a passé son enfance sur une île de l’estuaire. Il aime la presqu’île, sa lumière, ses habitants. Fils de vignerons (il a encore un peu de vignes au Portugal en plus d’une jolie propriété à Margaux, le château Chantelune), l’homme est la mémoire de Cantenac-Brown, présent sur place depuis 1989. S’il a connu plusieurs gouvernances, dont celles d’Axa Millésimes, le projet de la famille Le Lous a trouvé en lui de quoi s’enrichir. Avec son expérience, son bon sens et son humilité, José Sanfins a suivi chaque étape du chantier et accompagné les différents corps de métiers et les ouvriers souvent locaux qui ont participé à la construction. Vinificateur de talent, il a aussi insisté pour avoir un outil technique ultra performant afin de pouvoir donner le meilleur du potentiel du terroir et révéler avec encore plus de panache et plus immédiatement la force des grands cabernet-sauvignon, ce qui est le cas avec l’excellent vin du millésime 2023 présenté cette année en primeur. Concrètement, l’outil a complètement été revu. Cantenac-Brown s’est d’abord doté d’un nouvel espace de réception de la vendange, récemment agrandie avec les acquisitions du château Charmant et du château La Galiane, lui permettant de trier avec plus de soin les raisins issus de ses 75 hectares de vignes.

Une charpente pour l’avenir
Tout l’itinéraire technique s’effectue ensuite par gravité, comme l’acheminement des baies jusqu’aux nouvelles cuves tronconiques, dont l’intérieur est recouvert d’une couche d’inox poli miroir, nécessitant deux fois moins d’eau lors de leur nettoyage. Soixante-dix cuves de 50 à 120 hectolitres contre trente-trois auparavant permettent à l’équipe technique de vinifier séparément chaque parcelle. Moments décisifs dans la vinification, remontages et écoulages ne nécessitent plus aucune pompe grâce à quatre cuves élévatrices qui assurent tous les transferts de vin. Enfin, que dire du au chai à barriques ? Qui le découvre ne peut rester indifférent devant le spectacle de sa charpente majestueuse en bois massif, digne des plus belles forêts de cathédrale. En forme de coque de bateau renversé, elle a été assemblée par des Compagnons du Devoir. Une fierté pour José Sanfins que « cet ouvrage qui, en plus de profiter au vin de Cantenac-Brown, montre aussi la qualité et le savoir-faire de l’artisanat français ». Tout, par ailleurs, dans ce nouveau chai silencieux, a été pensé avec soin en gardant à l’esprit qu’il s’agissait d’un endroit de travail et qu’il devait répondre aux défis exigeants posés par l’élaboration des grands vins, notamment en ce qui concerne les conditions de ceux qui y travaillent. La propriété, qui produit trois vins (en plus de son grand vin, un deuxième nommé Brio et le blanc Alto), a vu les choses en grand pour basculer dans une autre dimension sans renier son identité ni s’éloigner des objectifs du projet initial : s’engager vers l’avenir via une voie d’excellence à la hauteur des attentes des consommateurs en matière de développement durable. Sans aucun doute, le projet inspirera d’autres vignobles, partout dans le monde. Tant mieux, c’est tout Bordeaux qui en sort grandi et plus brillant que jamais.

À lire aussi