Clos Rougeard, le retour de la comète

Le rachat de Clos Rougeard par la famille Bouygues en 2017 laissait présager quelques changements afin que ce mythe de la Loire retrouve de sa superbe. Ils ont eu lieu sans déloger le formidable esprit qui y règne et la légende continue de s’écrire


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Qu’est-ce qu’un vin iconique ? Dans l’univers des vins cultes qu’En Magnum a la chance de parcourir depuis maintenant trente-cinq numéros, cette définition a souvent été protéiforme. Tantôt, l’icône désigne la consécration du vin de terroir, triomphe du génie du lieu qui rencontre le génie humain. Ailleurs, sans abandonner cet attribut qui la relie à la terre, elle se définit par son succès, sa faculté presque irrationnelle à émouvoir de manière universelle et à s’élever en majesté sous la forme d’une marque commerciale (au sens le plus noble du terme) comme un vin d’adoration aussi bien pour le profane qui fantasme sur son goût que pour le connaisseur qui le vénère.
Clos Rougeard est tout cela à la fois. Situé à Saumur, c’est le mythe absolu de la vallée de la Loire, une légende parmi les plus grands domaines français et un modèle ultime de la viticulture mondiale. Longtemps, c’était avant tout l’histoire d’une famille, celle des Foucault. Incarnations de la figure du vigneron français, à l’image d’Henri Jayer en son temps ou d’Aubert de Villaine, Lalou Bize-Leroy, Jean-Louis Chave ou encore Emmanuel Reynaud aujourd’hui, Bernard et le regretté Jean-Louis (dits Nady et Charly) Foucault appartenaient au cercle ultra restreint des vignerons « à part », statut unique chéri par les amateurs de vins fins dans le monde. Et puis un jour, en 2017, après avoir concerné huit générations de Foucault, l’histoire du domaine a arrêté de s’écrire avec eux. Martin Bouygues, l’homme d’affaires, est devenu le propriétaire de Clos Rougeard. Pour ses adorateurs, le monde a semblé s’arrêter, la tristesse s’est muée en inquiétude et l’inquiétude parfois en colère. Le pouvoir de l’argent l’emportait une nouvelle fois sur tout, achevant par une dernière banderille une partie de la France rurale qui semblait céder le dernier bastion de sa résistance à un ennemi invisible, tapi dans l’ombre à guetter les dissensions des familles et leurs difficultés à transmettre. La même ombre qui s’était projetée sur les propriétés familiales qu’étaient les châteaux Montrose et Tronquoy (ex-Tronquoy-Lalande) à Saint-Estèphe, s’avançait maintenant jusque dans la Loire pour noircir les derniers rêves d’un monde sur le point de disparaître. Voilà (avec exagération) le tableau qu’on put en faire certains. « Quand l’opportunité d’acquérir le domaine Clos Rougeard s’est présentée, mon père n’a pas eu forcément conscience d’acheter l’un des domaines les plus désirés de la vallée de la Loire », nous a pourtant confié en 2023 Charlotte Bouygues, la directrice de la stratégie des propriétés rassemblées sous son nom de famille, lors d’un long entretien à propos des ambitions du groupe.

Les hommes
Six ans après le rachat de Clos Rougeard, de nouvelles installations techniques ont vu le jour et la famille a tracé une feuille de route pour les prochaines années. Celui qui n’y a jamais été a de quoi être surpris en découvrant le domaine. L’un des plus grands vins du monde se fait là, entre les murs d’un bâtiment de verre et de métal, étonnant dans le paysage. On entre sans être intimidé dans ce bâtiment imposant, aux allures de hall de gare. Il fut un temps où c’était d’ailleurs sa vocation. L’essentiel n’est pas là, mais sur terre et sous la terre. Dans les deux cas, c’est la même, celle de l’appellation saumur-champigny, un peu d’argile en surface, des mètres de tuffeau en-dessous. On cherche à l’exprimer par la vigne ou bien on le creuse pour y faire des caves fraîches et humides. Le domaine Clos Rougeard est domicilié dans le petit village calme de Chacé. Inutile de chercher la vigne qui fait son vin, aucune n’est à portée de regard. Son vignoble couvre aujourd’hui 15 hectares. Il a été récemment agrandi de trois hectares qui attendent de répondre au cahier des charges strict imposé par la nouvelle équipe. « Cela s’est fait suite à une opportunité qu’on ne pouvait pas laisser passer », précise Pierre Graffeuille, le directeur général des propriétés Bouygues dans le Bordelais, en Bourgogne (Domaine Rebourseau à Gevrey-Chambertin) et ici, dans la Loire.
C’est lui qui a nommé Cyril Chirouze à la tête de Clos Rougeard en 2020. L’ex-technicien du château des Jacques dans le Beaujolais est un homme calme, pragmatique, méthodique face au travail qui l’attend pour continuer à faire vivre le mythe. Pierre précise : « La propriété était très incarnée par les frères Foucault. C’est un challenge pour nous parce qu’en termes de notoriété, la barre est très haute. Aujourd’hui, on veut y travailler dans le respect et la continuité ». Et évidemment, il sait que tout se joue à la vigne.
Cyril Chirouze rappelle l’essentiel : « La viticulture menée par les Foucault avant notre arrivée a toujours été exemplaire. Ici, tout le vignoble est en bio depuis huit générations et n’a jamais vu le moindre produit chimique ». Nombre de vignerons sont venus observer la viticulture de Charly et Nady à une époque où peu d’entre eux avait développé une conscience environnementale poussée. Pionniers de l’agriculture biologique, les Foucault l’étaient aussi dans la manière de penser leur vignoble et les vins de leur gamme.

Les vins
Un héritage lourd à porter, mais plutôt heureux pour Pierre Graffeuille : « Tout ce qui a été entrepris depuis le rachat l’a été dans l’esprit de ce que faisaient les Foucault. Au fond, rien n’a changé sur la propriété et les travaux étaient nécessaires. En ce qui concerne la conduite du vignoble, sa tenue, mais aussi sur le sujet des vinifications, notre volonté est de réaffirmer ce qui a été fait par les Foucault. Il n’y a aucune raison de changer cette vision ». Et cette vision est simple…

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