L’homme
Brice de la Morandière n’était pas destiné à reprendre le domaine après des études de droit, Science-Po, l’expertise comptable et une première carrière de chef d’entreprise réalisée en partie aux états-Unis. C’est le décès prématuré d’Anne-Claude en 2015 qui l’a amené à revenir à Puligny pour maintenir le contrôle familial du domaine. Sans bagage technique viti-vinicole initial, le pragmatisme a été son moteur principal. La biodynamie ne repose pas sur des bases théoriques rationnelles et vérifiées, mais elle fonctionne et permet des rendements convenables. Il en a maintenu la pratique, s’est fait conseiller et est allé chercher la compétence de maîtres tailleurs italiens pour favoriser les flux de sève. Les baguettes sont désormais taillées dans le sens de la pente pour gérer l’humidité et l’impact du vent. Les vignes manquaient un peu de vigueur, il a fait apporter un peu d’engrais verts et planter des légumineuses pour décompacter les sols. Les grands crus et le premier cru Les Pucelles sont travaillés au cheval. Il a essayé de multiples ports du feuillage, plus hauts, plus larges. Il n’y a pas eu de révolution au domaine, on n’y fait pas du Brice mais du Leflaive avec la pureté et l’intensité des vins qu’on y connaît depuis des lustres. L’essentiel de la production est vinifié à Puligny, il y a aussi une petite cuverie en Mâconnais. La vendange et le pressurage ont été dissociés pour pouvoir vendanger vite en cas de pluie mais presser lentement.
Le style
Les fermentations alcooliques se font en cuves inox, puis les vins passent une année en fûts, y font leur fermentation malolactique et sont régulièrement bâtonnés avant de retrouver l’inox avant les assemblages. S’il y a un style Brice, c’est un souci constant du détail, de l’hygiène, avec trois temps forts. La date de vendange est décidée en commun avec l’équipe. Le domaine est aujourd’hui médian par rapport aux vignerons voisins avec une recherche de maturité sans sur-maturité. Ensuite, la cinétique de fermentation est son souci majeur pour éviter l’oxydation des moûts que l’on a pu connaître dans les années 1990. En dernier lieu, au bout de la chaîne de production, le bouchage est une étape clé pendant laquelle Brice contrôle en permanence les teneurs en oxygène dissous.
Les gestes
Depuis 2015, sous l’impulsion énergique de Brice, d’importants développements ont été entrepris. Les chais ont été réorganisés, regroupés en un seul lieu et isolés pour éviter l’air conditionné car le sous-sol de Puligny, aux nappes phréatiques affleurantes, ne permet pas de creuser de caves sous une grande partie du village. Les bâtiments existants ont été modernisés, parfois reconstruits et agrandis, avec l’objectif ultime de n’avoir aucun impact sur l’environnement. La conception, les matériaux et l’isolation de la structure permettent un recours minimal aux sources d’énergie extérieures. Un travail en profondeur a aussi été mené sur la précision des vinifications et sur les obturations en introduisant un nouveau type de bouchons permettant une longévité accrue des vins.
Les affaires
Brice de la Morandière n’a pas souhaité s’exprimer sur les différents marchés qui gravitent autour d’une production iconique comme celle du domaine. Malgré la frénésie mondiale actuelle autour des blancs de Bourgogne (qui a vu leur prix augmenter de 14 % lors de la dernière vente aux enchères des Hospices de Beaune, après une hausse de 115 % en 2021), il souhaite maintenir 20 % de la commercialisation en France. Quelques allocations sont parfois possibles sur le site internet du domaine. Mais une fois les bouteilles lancées dans le commerce, la spéculation s’emballe et les prix de départ connaissent de multiples appréciations chez les revendeurs du monde entier. Les vins du Mâconnais s’approchent de la centaine d’euros, notamment pour les pouilly-fuissé. La production de Puligny s’échange pour quelques centaines d’euros en appellation communale et égale, voire dépasse, le millier d’euros pour les premiers crus. Il faut compter plusieurs milliers d’euros pour un bâtard-montrachet dépassé par son voisin, le chevalier-montrachet. Quant à la production de montrachet grand cru, l’unité de compte sur le marché final est la dizaine de milliers d’euros par bouteille. N’omettez pas d’ajouter un s à dizaine. Les acheteurs avisés bien que fortunés se fourniront aux enchères. Angélique de de Lencquesaing, directrice générale d’Idealwine, constate des prix plus raisonnables, souvent inférieurs de moitié aux prix des revendeurs spéculatifs. Sur son site, le domaine Leflaive s’est hissé en 2022 à la quatrième place en valeur parmi les producteurs de blancs bourguignons avec un prix moyen passé en un an de 330 à 550 euros par bouteille, toutes appellations confondues. Il est loin le temps – que Brice de la Morandière a connu dans sa jeunesse – où le domaine n’était pas rentable et devait être renfloué par la famille pour conserver une production qui n’intéressait alors que des amateurs motivés par la dégustation.