Trois ans de réflexion, trois ans de travaux et 18 millions d’euros d’investissement. Pour cette propriété du Médoc, c’est une révolution Par Anne Korrigan
Là où il y a une volonté, il y a un chemin. Pour Clarke, cinquante ans d’efforts auront été nécessaires pour se trouver une route sûre. Avec ses 55 hectares d’un seul tenant, la propriété médocaine acquise en 1973 par le baron Edmond de Rothschild est le cœur et le cru fondateur d’Edmond de Rothschild Heritage Wines. Pourquoi le plus riche de tous les Rothschild achète-t-il alors ce château oublié, ce vignoble en piteux état, dans la plus petite des appellations médocaines (qui ne compte aucun cru classé) quand ses cousins possèdent Mouton et Lafite, deux crus de légendes à Pauillac ? « Pour ne pas renforcer l’hégémonie de la famille dans l’élite des vins », disait-il. S’il a hérité d’une immense fortune, l’homme a créé seul ses entreprises (banque, finance, etc.). Œnophile passionné, il voit Clarke comme son œuvre et le rêve comme le meilleur des crus bourgeois, l’icône de son appellation. Sur ces terres argilo-calcaires atypiques en Médoc, il reprend tout à zéro. Tâche ardue et immense qui lui coûte des millions. Il réunit des spécialistes des sols, de la vigne et de l’œnologie comme le professeur Emile Peynaud ou le consultant Jacques Boissenot et dote la propriété des dernières technologies. Les premiers millésimes, présentés trop jeunes, sont mal goûtés par la place de Bordeaux. Clarke ne s’impose pas malgré des progrès continus. L’année 2016 est celle des nouveaux défis et de la mise en place d’une nouvelle équipe sous la houlette d’Ariane de Rothschild, avec Fabrice Darmaillacq à la tête de l’exploitation et le conseil d’Eric Boissenot, l’œnologue spécialiste du Médoc.
Six ans de réflexion et de travaux de 2017 à 2023, le projet Impulse redéfinit et redynamise Clarke. « Nous avions besoin d’optimiser le vignoble, de moderniser nos outils techniques, de rationaliser tous nos process pour être à la hauteur de nos ambitions », explique Fabrice Darmaillacq. Et se placer pour de bon dans le viseur des consommateurs. Le renouvellement accéléré du vignoble (30 ans d’âge moyen) planté à 7 000 pieds par hectare s’achèvera en 2032. Les vecteurs d’amélioration identifiés tiennent compte des effets du changement climatique déjà constatés et anticipent ses conséquences prévisibles. Les sols argilo-calcaires permettent de résister aux aléas climatiques, favorisent la maturation lente du fruit et la préservation de son acidité naturelle. Ils accueillent les merlots, soit 70 % de l’encépagement. Les cabernet-sauvignon (30 %) sont plantés sur les sols gravelo-sablonneux. Les cabernets francs font leur réapparition sur 4,5 hectares. Labellisé HVE et SME, Clarke pratique une viticulture durable et de précision à l’échelle intraparcellaire. Zéro herbicide, des engrais verts issu du couvert végétal, cuivre et soufre prophylactiques en début et en fin de campagne, intrants de synthèse limités. Depuis 2022, le nouveau cuvier gravitaire et parcellaire de cinquante cuves béton (10 à 160 hectolitres) accueille les baies récoltées manuellement au pic de la maturité. Fermentation par co-inoculation, extractions douces, élevage de seize mois dans un chai réhabilité (les précieux vins de presse ont, eux, leur chai enterré), pour l’assemblage, Boissenot dispose désormais d’une palette inégalée.
Mal compris et mal jugé à ses débuts, Clarke est devenu un vin élégant, puissant, frais, aux tannins soyeux, taillé pour être dégusté jeune ou mature. À ses 150 000 bouteilles s’ajoutent les 15 000 de la cuvée Le Merle blanc, issue de sauvignon blanc, sauvignon gris, muscadelle et sémillon, élevée en cuve inox et en barrique. Et comme l’art de vivre fait partie intégrante de la propriété, les jardins ont été encore embellis et les chais et la nouvelle salle de dégustation magnifiés par l’intervention d’artistes et d’artisans. De quoi être vu autrement