À la frontière franco-espagnole, façonnée par le traité des Pyrénées de 1659, une excroissance de la chaîne des Pyrénées part du Canigou pour plonger dans la mer Méditerranée. C’est le massif des Albères. Sa façade littorale s’appelle la côte Vermeille. Sur un territoire qui s’étend sur quatre communes (Collioure, Port-Vendres, Banyuls-sur-Mer et Cerbère) ainsi que deux hameaux (Cosprons et Rimbau), une même aire géographique délimite de façon assez singulière quatre vins différents : l’appellation collioure, l’IGP côte-vermeille (vins secs blancs, rosés et rouges) et les AOC banyuls et banyuls grand cru pour leurs vins doux naturels (blancs, rosés et rouges pour la première, rouge uniquement pour la seconde).
Entre les murs
Sur les 1 260 hectares actuellement en production, l’appellation banyuls occupe 530 hectares et banyuls grand cru, 60 hectares. Le sol, c’est du schiste : son acidité va donner de la tenue aux vins. Ce schiste a permis de façonner des dizaines de kilomètres de murettes un peu partout, sans lesquelles la viticulture en coteau serait impossible. Ici, les vignobles sont façonnés et maçonnés avant d’être plantés. Héritage et patrimoine culturel, ces murettes rendent toute mécanisation du vignoble impossible dans la plupart des parcelles.
Viticulture héroïque
Le climat, méditerranéen évidemment, a pour particularité d’être sec, surtout ces dernières années. Cela affecte les rendements (moyenne de 17 hl/ha en 2022, 18 hl/ha en 2021) et menace à terme l’existence même de toute viticulture. D’autant que sur ces fortes pentes, toute idée d’irrigation est incongrue. Pire, lorsqu’il pleut, il pleut trop, de façon soudaine et brutale. Ces fameux épisodes méditerranéens que l’on qualifie de cévenols du côté de Montpellier, entraînent tout sur leur passage. Ces conditions de pluviométrie particulières sont à l’origine d’une véritable architecture paysagère, unique au monde, avec le système des agulles (prononcer « agouille »), sorte de canaux d’évacuation. Toujours constituée d’une agulle centrale et d’agulles secondaires qui partent en travers, l’agulle finit par se jeter dans un ruisseau après avoir collecté les pluies de tout le coteau. Un aménagement aussi spectaculaire qu’efficace, qui n’existe que de ce côté-ci des Pyrénées.
Roi grenache
Les cépages autorisés sont nombreux, mais la variété dominante est le grenache, surtout rouge, mais aussi blanc ou gris. Les vignes sont toujours montées en gobelet, à l’exception de quelques fonds de vallée en cordon. Elles sont d’un âge moyen très élevé, au moins 70 ans mais souvent beaucoup plus, l’informatisation du vignoble mise en place en 1950 ne permettant pas d’entrer des données antérieures. Ici, on travaille dans le sens des lignes de pente afin d’éviter le ravinement. Les vendanges sont manuelles, aucune machine ne pouvant circuler.
Face à la mer
Pour chaque parcelle, plus que la pente, l’altitude et l’exposition sont fondamentales pour définir le profil des vins que l’on va produire, les banyuls étant plutôt issus des faces sud, avec des altitudes qui partent du niveau de la mer pour s’élever à plus de 400 mètres, des hauteurs de plus en plus recherchées ces dernières années. La proximité de la mer permet l’apport d’embruns salins qui se déposent sur le sol et sur les raisins, conférant aux vins une identité certaine que n’ont pas les parcelles situées à l’intérieur des terres.
Deux appellations, tout un monde
Avec la création de l’AOC banyuls dès 1936 et celle de banyuls grand cru en 1962, le style des vins est varié. Banyuls blanc pour des vins élevés en mode réducteur ; banyuls ambré pour des blancs élevés en mode oxydatif ; banyuls rimage pour des rouges en mode réducteur ; banyuls traditionnel élevé minimum 24 mois en mode oxydatif ; banyuls grand cru, enfin, pour des vins avec 75 % de grenache noir minimum, élevés sous bois, généralement en mode oxydatif.
Pour l’éternité
Ces vins de garde quasi éternelle sont mutés, avec des sucres résiduels qui varient suivant les styles des producteurs, généralement entre 80 et 120 grammes par litre. Ils sont moins recherchés par les consommateurs qu’il y a un siècle, d’où la nécessité pour la région d’avoir développé l’appellation collioure. La vente est aujourd’hui très locale, bénéficiant du fort afflux touristique l’été. Entre vente directe, cavistes et restaurants, c’est 70 % de la production qui s’écoule ainsi.