Dans l’ombre de la colline magique, la vaste appellation se fait une place au soleil. C’est aussi un premier choix pour l’amateur et ça, c’est nouveau. Explications
Cet article est à retrouver en intégralité dans Le Nouveau Bettane+Desseauve 2024 (pages 292 à 297). Vous pouvez l’acheter sur notre site ici ou en librairie.
À première vue, rien de spectaculaire. Une vaste plaine qui s’étire vers le sud en direction de Valence. La colline de l’Hermitage, omniprésente, dissimule par son relief le village de Crozes-Hermitage qui a donné son nom à l’appellation. Sur la rive drômoise du Rhône, sa rive gauche, l’AOC crozes-hermitage regroupe aujourd’hui onze communes, au niveau du 45e parallèle. Du nord au sud, Serves-sur-Rhône, Érôme, Gervans, Crozes-Hermitage, Tain-l’Hermitage, Larnage, Mercurol, Chanos-Curson, Beaumont-Monteux, La Roche-de-Glun et Pont-de-l’Isère la bien nommée, point de confluence entre le Rhône et l’Isère, qui borde l’appellation au sud. Franchie la rivière, notamment à Châteauneuf-sur-Isère, il n’y a plus de vignes en appellation, seulement quelques-unes en IGP. Deux mille hectares en production sur les trois mille permis par le cahier des charges, soit la surface la plus importante du Rhône-nord, permettent au vignoble de Crozes-Hermitage de devancer celui de Saint-Joseph. On y a planté ces dernières années jusqu’à 80 hectares par an.
Selon Yann Chave, co-président de l’interprofession de Crozes-Hermitage, il resterait plus vraisemblablement 500 à 600 hectares à planter. Autre co-président, Jacques Grange, de la maison Delas, voit là une chance : « C’est incontestablement l’appellation du nord de la vallée du Rhône qui a encore un potentiel de croissance en termes de surfaces et de développement sur des terroirs de belle qualité ». Certains pointent du doigt les risques, à l’image de Ludovic Beau, directeur général de la cave de Tain : « Attention à ne pas tuer la poule aux œufs d’or, même si nos adhérents ont aussi profité de ces nouveaux droits, ce qui leur a permis de se développer ». Actuellement, 55 % des surfaces sont en bio, certifié ou en passe de l’être. Globalement, le vignoble a meilleure allure qu’il y a dix ou quinze ans. Les vignes sont souvent palissées même si l’on trouve des plantations en échalas, adaptées pour résister au mistral et réduire les risques de grillure du raisin l’été.
Pour les cépages autorisés, c’est très classique du Rhône-nord. Syrah pour les rouges, marsanne – de très loin le plus présent – et roussanne pour les blancs. Officiellement, il est possible d’apporter jusqu’à 15 % de cépages blancs dans une cuve de rouge, une pratique quasiment abandonnée tant les vignerons manquent de vins blancs.
Extension et ascension
Les vins rouges représentent 90 % des volumes, les blancs, un bon 10 % et il n’y a pas de vins rosés. Cette production est à 80 % consommée en France et les premiers marchés à l’export sont le Royaume-Uni et les États-Unis. Quelques dates-clefs permettent de raconter l’appellation : 1937, année de reconnaissance de l’appellation, à l’époque limitée à la seule commune de Crozes-Hermitage ; 1952, année de l’extension de l’appellation aux onze communes actuelles, ce qui entraîne de larges campagnes de plantation et permet l’ascension quasi ininterrompue des vins depuis une bonne trentaine d’années. Comme le résume Xavier Frouin (Cave de Tain) : « Historiquement, le crozes-hermitage était le prolongement de ce qui ne pouvait pas être de l’hermitage. Progressivement, on a basculé vers la zone des Châssis, qui a migré de zone arboricole à zone viticole. » Arboriculture et viticulture, avec un peu de culture céréalière, ont longtemps été les activités majeures du secteur. La pêche et l’abricot rapportaient plus que le raisin.
Encore aujourd’hui, de nombreuses familles de vignerons ont conservé quelques hectares de fruitiers. Le basculement définitif vers la viticulture intervient dans les années 1990. En 1992, à la suite d’une grève massive des transporteurs routiers, la récolte de fruits, prête à être expédiée, pourrit sur pied. À partir de 1993, la sharka, un virus qui provoque une maladie grave chez les arbres fruitiers à noyau, anéantit les vergers de pêchers. Le tout dans un contexte croissant de concurrence avec les productions agricoles venues d’Espagne et du Portugal, sans parler des gelées de printemps d’autant plus féroces que les hivers plus doux font bourgeonner les fruitiers plus tôt qu’autrefois.
L’appellation a aussi bénéficié des plans d’aménagement de l’après-guerre. Les travaux du canal du Rhône, qui rendent possible la navigation fluviale de Lyon jusqu’à Marseille, permettent aux arboriculteurs de mettre en place un puissant réseau d’irrigation sur une bonne partie du secteur des Châssis. Longtemps traversée par la fameuse nationale 7, l’appellation est coupée en deux dès 1965 par l’autoroute du Soleil, qui facilite le transport des fruits et du vin. L’extension de 1952 a rendu complexe la lecture des terroirs de Crozes-Hermitage. Schématiquement, quatre blocs se découpent…
(Photos de l’auteur)