J’ai rencontré Christian Flacelière très tôt dans ma carrière de journaliste, dès qu’elle s’est orientée vers le sujet du vin. Dans la seconde moitié des années quatre-vingt, la communauté des journalistes et critiques de vin paraissait fermée, intrigante, presque secrète. Quelques têtes dépassaient, on les croisait au hasard d’un déjeuner de presse, on écoutait leurs débats qui me semblaient parfois byzantins tant il s’agissait de couper une grappe de raisin en quatre, tantôt triviaux tant il s’agissait de se plaindre de la maigreur du montant des piges. Bien peu paraissaient se rendre compte du bonheur qu’il y avait à faire ce métier : Christian, lui, savourait. La moustache frétillante à la Clark Gable et le sourire charmeur éternellement affiché, il m’avait accueilli avec une gentillesse sincère et un respect d’égal à égal qui m’avait ému et que je n’ai jamais oublié. Son parcours était déjà riche, un passé dans la publicité, un autre à diriger un bar à vin (dont il se souvenait en riant de soirées plus belles que ne l’était le compte d’exploitation), puis un véritable travail de pionnier de cette profession qui se réinventait dans les colonnes de La revue du vin de France et celles de GaultMillau.
Christian appréciait ce métier de journaliste du vin, mais je crois qu’il goûtait plus encore de savourer tous les bonheurs de la civilisation du vin. Une belle bouteille partagée dans un restaurant ou chez lui entre amis, une balade dans un vignoble ou une rencontre passionnante avec une ou un vigneron, il faisait son miel de tout cela, avec gourmandise (un de ses pêchés mignons) et bonté (son autre pêché mignon). Dans les années soixante-dix était sorti un film intitulé « Sérieux comme le plaisir ». Cela me parait une bonne définition de la conception que se faisait Christian de notre profession, et que je partage totalement.
Une autre dimension essentielle de Christian est celle du couple qu’il a formé avec Bernadette. Je me souviens de leur maison sur les toits de Montmartre et de celle au pied de l’autre rive, de nos rencontres à quatre et de nos magnifiques filles respectives qui ont presque le même âge. La force d’un couple, la force d’une famille, c’est aussi un témoignage, une leçon que nous conserverons toujours.
À son épouse Bernadette et à ses filles Aurore et Eléonore, toute l’équipe de Bettane+Desseauve présente ses condoléances. So long, mon ami Christian.