On casse les codes du vin ou on s’en inspire pour imposer son style. le choix est là, c’est aussi le choix d’une époque, d’une civilisation. Notre dégustateur en chef a choisi son camp
Nous avons parfois la chance ou la malchance de vieillir, mais la société, qu’elle avance ou qu’elle recule, selon notre point de vue, n’en n’a cure. Ma génération avait son goût formé par ses études et une culture humaniste fondée sur le respect de l’histoire et des grands créateurs du passé, une présence constante dans nos consciences. La technologie fait vivre les suivantes dans un univers temporel et spatial complètement différent où l’instant présent efface le passé et l’immédiateté du succès attire plus que la recherche d’une gloire future. Le vin et son goût ne peuvent rester à l’écart d’un aussi formidable changement. Parallèlement au refus de toute autorité, dont la plus jubilatoire manifestation est le plaisir de casser tout code, la tradition en matière de vin ne veut plus rien dire à une majorité de jeunes consommateurs et d’influenceurs. Plutôt, ils s’en méfient. En bons disciples de Rousseau qui s’ignorent, dopés par la passion du soupçon, ils laissent parler leur cœur et généralisent leurs préférences à partir d’instants séparés de tout lien ou toute recherche de constance ou d’absolu. Leur vrai combat est ailleurs, on les comprend. La survie de la planète devant les dangers de la surpopulation leur importe plus que la continuation d’une civilisation qui l’a mise en danger.
Pour le vin, on donnera à la patte plus d’importance qu’au style. Le style, pour notre génération, était la recherche d’une perfection formelle qui rendait tout contenu de pensée ou toute production humaine capable de défier le temps. Cette recherche permettait de dépasser la faiblesse de l’individu pour viser la force de l’universalité. La patte, au contraire, est le triomphe de l’individu sur l’universel. Une expression originale, personnelle, irréductible, considérée comme plus authentique, plus libérée des conventions ou des paresses de la société, plus proche d’un « naturel » qui a remplacé l’idéal de l’effort à accomplir pour se surpasser. Seule exception, qui devrait d’ailleurs faire réfléchir, le sport, où l’idéal de la victoire reste un concept universel, toute condition sociale, tout environnement économique ou politique confondus […]