Lancés il y a quelques années seulement, les deux grands crus de Gérard Bertrand relèvent d’une conception élaborée
Même si le savoureux demi d’ouverture devenu commentateur Pierre Albaladejo définissait le rugby comme un « sport de contournement », Gérard Bertrand, qui jouait lui troisième ligne, n’a jamais hésité à bousculer l’ordre établi. En rugby certainement, dans le vin assurément. Parti des Corbières avec les cinquante hectares de la propriété familiale de Villemajou, il a bâti un empire viticole en Languedoc, une région qui se cherchait depuis des décennies un autre destin que celui de pourvoyeur de gros rouge pour la France du XIXe siècle et de la première moitié du siècle suivant. Il a produit des millions de bouteilles au rapport qualité-prix impeccablement construit ; il a créé des marques qui sont devenues des références dans les rayons des magasins spécialisés ou non ; il a aussi très tôt compris les enjeux environnementaux en développant des gammes bio ou sans soufre ; il a saisi au bond les nouvelles tendances, celle du rosé ou aujourd’hui celle du vin orange. Mais cet esprit d’entreprise n’a jamais été déconnecté des racines vigneronnes de l’homme. Les deux facettes de la personnalité se sont superposées pour constituer un patrimoine viticole de seize crus dans différents terroirs de ce qu’il n’oublie jamais de qualifier de « plus grand vignoble du monde », ce Languedoc-Roussillon qui concentre effectivement 5 % de la production mondiale de vin. S’y est ajoutée la troisième singularité du personnage, ses convictions environnementales. Tous ses crus sont aujourd’hui cultivés en biodynamie.
Dans cet écosystème très personnel, Gérard Bertrand le compétiteur a toujours eu – et certainement depuis ses débuts – la volonté de s’inscrire dans la hiérarchie des grands vins. Dans un univers cadenassé par l’histoire des vignobles et le conservatisme de beaucoup de professionnels, le défi était immense. Créer un grand cru dans des terroirs reconnus, mais longtemps traités bien en deçà de leur potentiel, ce fut l’aventure de Clos d’Ora, en minervois-la-livinière, renouvelée quelques années après par celle de Clos du Temple, rosé d’appellation languedoc-cabrières. Ces deux vins ont immédiatement impressionné par leur qualité respective, mais aussi par leur prix, comparable à celui de stars bordelaises, bourguignonnes ou rhodaniennes. On ne mesure pas la hauteur du tarif pour une bouteille de La Grange des Pères, autre emblème de l’exceptionnel languedocien, mais ici, le pedigree business-friendly du personnage n’a pas manqué d’interroger les nombreux théoriciens du small is beautiful. Pourtant, Ora comme Temple ne sont pas nés d’un plan marketing, mais de deux terroirs, très tôt identifiés comme exceptionnels. Dès les années 1990, Gérard Bertrand acquiert ainsi des parcelles sur un terroir de marne et de calcaire, sur les hauteurs de La Livinière, où sont cultivées des vignes ancestrales de carignan et de grenache. Il va très vite compléter cet encépagement par de la syrah et du mourvèdre, tous menés en biodynamie.
Dix-sept ans plus tard (!), le premier millésime de Clos d’Ora, 2012, est produit. Le vin a trouvé aujourd’hui son rythme, celui d’un grand rouge profond et méditerranéen où le trio grenache-syrah-mourvèdre s’exprime avec une personnalité unique que complète une pincée d’un carignan intense. Pour avoir dégusté tous les millésimes depuis ses débuts, on est impressionné par sa complexité aromatique, mais aussi par l’équilibre profond, serein, qui se dégage de chaque expression d’une récolte : jamais la moindre faiblesse dans ce vin de grande garde, toujours une diversité de nuances et de textures. Le Clos du Temple procède de la même vision à long terme. Bertrand a pris le premier le virage du vin rosé en Languedoc, dont il est aujourd’hui le porte-drapeau incontestable en France comme à l’export. Il connaît le potentiel des terroirs de schiste et calcaire de Cabrières, dans le piémont des Causses, en matière de rosé. Il y distingue quelques hectares, cultivés toujours en biodynamie et labourés à cheval, associe grenache, syrah, mourvèdre, cinsault à une touche de viognier, le plus aromatique des cépages blancs, vinifie à froid et élève en barriques. Né avec le millésime 2018, Clos du Temple exprime chaque année la plénitude et la pureté d’un rosé hors norme, à la fois réjouissant par son expression aromatique extravertie et apaisé par sa longueur sereine et veloutée. Deux vins, deux expériences, deux références.
Retrouvez le Clos d’Ora et quatre autres génies de la Méditerranée lors de la master class du samedi 4 décembre 2021 à 14h45 :
Génie de la Méditerranée
Présentée par Alain Chameyrat
Domaines Ott, Clos Mireille (blanc)
Domaine Comte Peraldi, Cuvée du Cardinal 1999, ajaccio (rouge)
Château de Pibarnon, Cuvée Henri-Cath 2012, bandol (rouge)
Gérard Bertrand, Clos d’Ora 2012, minervois la livinière (rouge)
Xavier Vignon, châteauneuf-du-pape 1972 (rouge)
Réservez vos places sur www.grandtasting.com/les-master-class-du-grand-tasting/