Ce n’est plus un secret, le Liban produit des vins appréciés des amateurs à travers le monde. Si le vin n’a pas été inventé par les Libanais, son origine connue remontant à 8 000 ans avant notre ère en Géorgie, l’histoire viticole du pays est bien riche de quelques millénaires et son avenir, comme celui du pays, très flou
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Légende photo d’ouverture : Dessin réalisé par O. Bruderer. Il montre l’activité du pressoir à l’époque des Phéniciens. Ce dernier a été découvert dans le Sud-Liban sur le site archéologique de Tell el-Burak, à environ huit kilomètres de la grande ville côtière de Sidon.
La culture viticole du pays du Cèdre remonterait au VIIe siècle avant notre ère, au temps des Phéniciens, ancêtres des Libanais. Ces derniers étaient présents sur un territoire qui correspond en grande partie au Liban actuel. L’empire Ottoman est venu anéantir ce savoir-faire pendant des siècles et les Jésuites l’on réintroduit au XIXe siècle. Dès 1857, les moines installés dans la plaine de la Bekaa cultivent et produisent un vin destiné à leur consommation personnelle. En 1898, une grotte longue de deux kilomètres datant de l’époque romaine est découverte. Elle appartient désormais au château Ksara.
Un passé glorieux
Les fouilles archéologiques entreprises dans le Sud-Liban sur le site de Tell el-Burak, à environ huit kilomètres de la grande ville côtière de Sidon, ont confirmé cette hypothèse phénicienne. Elles ont même apporté une nouvelle certitude, celle de la fabrication du vin par les Phéniciens eux-mêmes, grâce à la mise au jour d’un pressoir vieux de 2 600 ans. C’est une équipe composée d’archéologues libanais et allemands, qui étudie le site depuis 2001, qui a fait cette découverte. Le président de l’Union vinicole du Liban, Zafer Chaoui, explique que du fait de ses dimensions largement supérieures à une production familiale, ce pressoir phénicien constitue « une preuve supplémentaire que le Liban produisait du vin à cette époque, et même avant. On estime que la production de vin au Liban date d’environ 6 000 ans. » Un nombre important de pépins a été trouvé sur le site, montrant que le raisin, cultivé à proximité, était transporté jusqu’au pressoir afin que les baies y soient foulées en soumettant les grappes à une pression légère exercée par la force des pieds pour éclater les peaux et laisser sortir le jus. Cette opération se déroulait dans le grand bassin en pierres enduit de plâtre d’une capacité de 4 500 litres. Le moût ainsi obtenu finissait sa course dans une grande cuve. La gravité était, déjà, au centre du procédé. Les jus étaient ensuite versés dans des amphores en terre cuite et la fermentation et la maturation pouvaient commencer. Ces mêmes amphores servaient pour le transport du vin et son exportation. Peuple de navigateurs et de commerçants hors pair qui a étendu son terrain de jeu sur tout le pourtour méditerranéen, les Phéniciens ne commercialisaient pas uniquement du vin, qu’ils ont rendu très populaire en Grèce et en Italie, mais aussi de l’huile d’olive, du bois de cèdre, du verre et bien d’autres marchandises. Ils ont également répandu l’alphabet. « Cette découverte proche des ports de Sidon et de Tyr confirme que les Phéniciens exportaient le vin vers la Haute-Égypte, Carthage et l’Europe. Pionniers, ils ont propagé la plantation de la vigne et la vinification dans le sud du continent européen », souligne Zafer Chaoui. Célèbre, le vin phénicien en provenance de Sidon est même mentionné dans des textes religieux de l’Égypte antique. Le vin a été utilisé lors des cérémonies et des sacrifices religieux phéniciens. Cette tradition héritée des Cananéens a été reprise par les Juifs et les Chrétiens par la suite.
Le vin victime des crises
Mais l’aventure du vin au Liban ne s’arrête pas à cette glorieuse histoire. Il faut aussi parler d’avenir dans un pays qui subit aujourd’hui la plus longue et grave crise politique et économique jamais connue depuis son indépendance en 1943. « Le secteur vitivinicole souffre à cause de la diminution considérable du pouvoir d’achat, de l’instabilité politique et de la crise engendrée par l’épidémie de Covid-19 qui a restreint les déplacements et contraint à la fermeture des restaurants, bars et divers lieux de consommation. Nous estimons à 20 % la baisse de la consommation locale de vin », précise Zafer Chaoui. Ce chiffre a été confirmé par Edgard Bou Acar, directeur du site de vente en ligne de vins libanais cavisteduliban.fr. Pour ne rien arranger, la crise libanaise est accompagnée d’une crise économique mondiale. Cette dernière a également frappé le secteur de l’hôtellerie, de la restauration et des cafés et entraîné une réduction certaine et importante des exportations libanaises durant le premier semestre de l’année. Zafer Chaoui reste cependant optimiste : « Une reprise durant le troisième trimestre est à signaler, les vins libanais jouissant de niches dans plusieurs pays et comptant plus que jamais sur l’export pour faire face à la crise interne. »
Le chemin de croix
Propriétaires du château Marsyas dans la plaine de la Bekaa et du domaine Bargylus en Syrie, Sandro et Karim Saadé font partie de cette nouvelle génération de vignerons qui se battent pour continuer à produire du bon vin dans un pays où le quotidien est semé d’embûches. C’était déjà le cas avec la gestion de leur domaine syrien qui subit les conséquences du conflit depuis une dizaine d’années. Les deux frères n’ont pas pu s’y rendre depuis le début de la guerre et le dirigent depuis leurs locaux situés dans la capitale libanaise : « La situation est très difficile en Syrie. Pour décider de la date du début des vendanges à Bargylus, des échantillons de raisins sont transportés quotidiennement par taxi pour être goûtés à Beyrouth. La décision de vendanger ou non est alors prise en concertation avec Stéphane Derenoncourt, notre œnologue-conseil. » Comme la plupart de la jeunesse libanaise, les frères Saadé croient encore à un avenir meilleur au pays du Cèdre. L’explosion survenue le 4 août dernier dans le port de Beyrouth a détruit une partie de la capitale et a eu raison des locaux de l’entreprise familiale situés à quelques centaines de mètres de là, mais pas de leur détermination. « Nous sommes chanceux. Toute l’équipe est sous le choc, mais nous poursuivrons notre travail et nous produirons des vins qui continueront, avec ceux d’autres producteurs, à véhiculer une image positive du Liban à travers le monde. »
Un avenir meilleur
Malgré les crises qui traversent le Liban, certains viticulteurs ne se contentent pas de survivre, mais cherchent à donner une identité à leurs vins. « Un peuple qui n’a pas d’histoire, n’a pas d’avenir », telle est la devise de Fabrice Guiberteau, l’œnologue du château Kefraya. Ce Français installé au Liban depuis 2006 est un fervent défenseur d’une viticulture paysanne. Après avoir entrepris un travail considérable d’étude des sous-sols de Kefraya, il a divisé ce domaine de 300 hectares en micro-parcelles. Le travail, respectueux de l’environnement, lui a permis d’obtenir le label Agriculture Biologique. Le choix des cépages internationaux, qui était une évidence quelques années auparavant, est remis en question avec la recherche que Guiberteau a menée sur des cépages autochtones, aussi bien en blanc (obeidi, merwah, meksessé) qu’en rouge (assouad karech, asmi noir). La dernière vague de chaleur que la Bekaa a connue cet été montre bien que ces derniers sont plus adaptés au climat de la région. « Certaines grappes de syrah commençaient à souffrir de la chaleur et de la sécheresse alors que celle d’assouad karech étaient parfaites », souligne l’œnologue. D’autres vignerons, après avoir suivi des études d’agronomie dans des universités à l’étranger reviennent au pays pour créer leur propre domaine ou reprendre les rênes d’un domaine familial. C’est le cas, par exemple, de Sébastien Khoury qui a créé le domaine de Baal à Zahlé après avoir étudié et travaillé quelques années à Bordeaux. Après avoir terminé ses études en France, Roland Abou Khater, fils d’un grand vigneron libanais décédé accidentellement, n’a pas hésité une seconde à perpétuer l’aventure familiale : « C’est une évidence de revenir au Liban et de faire ce que j’ai toujours voulu faire. La situation économique et politique ne m’empêchera pas de réaliser mon rêve aux côtés des gens que j’aime et de poursuivre l’œuvre de mon père. » Cette nouvelle génération de vignerons remercie la nature, si favorable à la culture de la vigne, se bat contre la bêtise humaine et espère en finir avec cette instabilité permanente. Ils n’ont qu’un seul désir, avoir une vie semblable à celle que leurs parents ont connue quelques décennies auparavant ou à celle qu’ils ont vécue pendant leurs séjours en France ou ailleurs.
Six domaines incontournables
Château Kefraya
La belle histoire de Château Kefraya commence en 1946 dans le village du même nom, au pied du mont Barouk, à plus de mille mètres d’altitude, par la construction d’une grande demeure sur une colline artificielle édifiée par les Romains pour surveiller les mouvements de troupes sur la plaine de la Bekaa. En 1951, Michel de Bustros débute la plantation de vignes. Le vignoble s’étend désormais sur 300 hectares. Château Kefraya est considéré comme l’ambassadeur et le porte-drapeau du vin libanais à l’étranger. Les vins sont fruités, fins, précis, élégants et harmonieux. Disponible chez cavisteduliban.fr
Château ksara
Ce domaine historique est créé en 1857 par les Jésuites dans la ville de Zahlé. Depuis 1973, il appartient à un groupe d’investisseurs privés. Avec plus de 2,7 millions de bouteilles par an et une gamme très large, Ksara fait partie des plus importantes caves au Liban. La visite de ses caves romaines est indispensable.
Château Marsyas
Le domaine libanais de Karim et Sandro Saadé, également propriétaires de Bargylus en Syrie, s’étend sur 50 hectares dans la plaine de la Bekaa. Les alluvions accumulées ont engendré un sous-sol calcaire compact, une roche-mère couverte par une pellicule de terre de 40 à 50 centimètres. Le premier vin est fin, structuré, avec un fruit pur. Il est taillé pour la garde. La cuvée B-Qa, un vin de plaisir immédiat, a vu le jour en 2013.
Coteaux du Liban
Cette propriété familiale a été créée par Nicolas Abou Khater sur les hauteurs de Zahlé, dans la plaine de la Bekaa, à 1 100 mètres d’altitude. Après son décès accidentel (en 2009), elle a été dirigée par sa femme Roula. Aujourd’hui, c’est leur fils Roland qui écrit l’avenir du domaine. Le sol est argilo-calcaire et la conduite du vignoble est respectueuse de l’environnement. Toute la gamme vaut le détour à commencer par la cuvée Rouge Passion.
Domaine des Tourelles
Créé dans les années 1860 par François-Eugène Brun, ingénieur français installé au Liban et travaillant dans la plaine de la Bekaa, ce domaine produit du vin depuis 1868. Les vignes sont plantées sur des terres graveleuses et argileuses. Cette historique propriété appartient depuis 2000 à Nayla Issa el-Khoury et Elie F. Issa qui ont largement développé et amélioré la gamme des vins tout en restant fidèles à l’esprit des lieux.
Ixsir
Faire des vins qui ressemblent au Liban et à sa mosaïque de cultures et de religions, telle est la philosophie d’Ixsir, domaine né grâce à la volonté de Carlos Ghosn et de son ami Étienne Debbané. Les vins sont issus d’assemblages de raisins venant de terroirs du Sud, de la Bekaa et de Batroun. Pour les aider, les propriétaires font appel à Hubert de Boüard, consultant et copropriétaire du château Angélus à Saint-Émilion.
Les vins sont disponibles sur le site
cavisteduliban.fr