Steven Spurrier s’en est allé dans la nuit du 8 au 9 mars 2021, à 79 ans, et c’est toute une époque du vin qui part avec lui. Anglais amoureux de Paris, il s’était installé dans notre capitale pour y établir d’abord un magasin de vin, les Caves de la Madeleine, puis assez vite ensuite une école de dégustation, l’Académie du vin. Dans une France d’alors qui picolait beaucoup mais ne s’intéressait que de très loin au bon vin, il avait apporté ce sens très britannique de la connaissance et de la sélection.
Les meilleurs domaines trouvaient aux caves une ambassade essentielle, leurs propriétaires venaient expliquer verre à la main leur démarche et leurs convictions à l’Académie. Spurrier, qui ne s’est jamais départi de ce que Jancis Robinson qualifie avec justesse de « youthful enthusiasm », savait déjà mieux que quiconque apporter au monde du vin à l’époque bien routinier un cocktail de gaieté, d’élégance, de romantisme et d’impertinence dont il avait bien besoin. Ce fut lui qui organisa, en juillet 1976, pour le bicentenaire de la naissance des Etats-Unis, le fameux « Jugement de Paris » qui lança les meilleurs crus de la Napa Valley mais aussi réveilla les crus bordelais.
A l’Académie, les œnophiles se précipitaient pour suivre des cours et des master class en français ou en anglais dont l’un des principaux professeurs fut bientôt Michel Bettane. Steven continua à travailler à Paris tout au long des années quatre-vingt et l’une de mes grandes fiertés restera d’avoir constitué, pour le premier numéro de La Revue du vin de France dont j’eu la charge en tant que rédacteur en chef, un comité de dégustation d’une extraordinaire compétence et d’une formidable complicité : Michel Bettane, Pierre Casamayor, Michel Dovaz, Georges Lepré et Steven Spurrier.
Quelques temps plus tard, Steven m’annonça son retour à Londres, mais le respect et l’amitié qui l’unissait à Michel comme à moi-même perdura. En Angleterre, Steven continua, avec l’équipe de Decanter en particulier, son œuvre brillante d’exégète et de défenseur des fine wines, français en particulier. Curieux de tout, spirituel et délicieusement bien élevé, ce gentleman du vin symbolisait à lui tout seul ce que l’Angleterre a apporté au vin : elle en a fait une civilisation.
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