L’œil bleu dur, le menton énergique et la carrure qui confirme, pierre-jean villa est aussi rieur, créatif, gonflé. Nous l’avons rencontré au pied des pentes abruptes de la Côte-Rôtie. Et comme nous étions ravis, nous l’avons écouté
D’où venez-vous ?
« Mon père était footballeur en Espagne. Il est arrivé dans la région en 1962. Il a rencontré ma mère et s’est installé. Ma mère était fille d’un petit artisan tisseur. C’est mon père qui a créé le club de foot du village, puis il s’est occupé de la ligue Rhône-Alpes. J’étais parti pour faire comme lui, je n’avais pas le même talent. Une école de commerce et je me suis retrouvé dans une banque. Ce n’était pas pour moi. Un de mes copains d’enfance, Yves Cuilleron, a repris le petit domaine de son oncle. Comme je passais mon temps avec lui, j’ai commencé à travailler dans les vignes. Les vendanges, les marchés aux vins, je suis parti avec lui en Hollande, en Belgique. Ma vie, c’était ce monde-là. Je me suis retrouvé en Bourgogne en 1992, responsable des ventes au Clos de Tart. Quand Sylvain Pitiot est arrivé, il m’a donné envie de devenir vigneron. Je suis revenu en 2002 dans le Rhône. »
Vigneron ou négociant ou les deux ?
« Si un jour mes enfants veulent faire un négoce, ça ne s’appellera pas Domaine Pierre-Jean Villa. Georges Vernay m’a dit un jour : “Pour l’instant tout va bien mais le jour où tout ira mal, il faut se débrouiller avec les contrats que tu es obligé d’honorer”. La seule manière de s’agrandir, c’est de passer par des groupements de foncier viticole avec des investisseurs. »
Quels côte-rôtie ?
« Je fais deux côte-rôtie. La cuvée Fongeant est une sélection parcellaire. La cuvée Carmina est un assemblage d’une petite partie de Fongeant complétée par des vignes situées au nord d’Ampuis. Celles-ci sont assez jeunes, je les travaille en vendange égrappée avec des élevages plus courts. Ce sont des vignes tellement vigoureuses qu’elles produisent des baies qui grimpent rapidement en sucre. La maturité alcoolique arrive subitement, la maturité phénolique n’est pas toujours idéale. Si je les laisse avec la rafle, ça durcit un peu la matière. »
Et la vendange entière, c’est mieux que l’égrappage ?
« Avec ces années chaudes, on est content d’en mettre un peu. Ça permet de donner cette fraîcheur. La rafle libère de la potasse et fait chuter l’acidité. C’est ce qui est intéressant, le gain gustatif est supérieur au déficit analytique. Cela dit, il faut faire le vin comme on le sent. Je n’ai pas deux millésimes dans lesquels j’ai la même proportion de rafle. »
Le bio et la biodynamie
« Ce sont des contraintes supplémentaires. Pour réussir, il faut observer et aller contre les idées reçues. Une fois ce stade passé, on devient plus serein. Les grands techniciens de la biodynamie sont des gens hyper rigoureux et des hygiénistes de premier ordre, pas des babas en sandales. La philosophie oblige à une rigueur intellectuelle très forte. Il n’y a pas de filets si on se trompe. »
C’est quoi cette histoire de blanc dans le rouge, de viognier avec la syrah ?
« Nos vignes sont au nord de l’appellation. Dans les vignes plantées, achetées ou reprises, il n’y a pas de viognier. Les anciens m’ont toujours dit que le viognier était surtout planté sur la partie sud. En fait, avant la création des appellations et la séparation entre condrieu et côte-rôtie, tout était complanté. La zone de Condrieu a toujours été plantée en blanc mais vers Tupin, par exemple, il y avait souvent des zones de complantage. Quand on a
décidé de n’autoriser que des vins blancs en AOC condrieu et rouges en AOC côte-rôtie, certains parmi ceux qui étaient au nord avaient parfois jusqu’à 40 % de viognier dans leurs parcelles. C’était impossible de les perdre et il y a eu l’instauration de cette tolérance de 20 %. Si on se rapproche du cœur de l’appellation, vers les terroirs de la Brune et de la Blonde, il y a très peu de viognier. En termes de vinification, je pense que la co-vinification du blanc avec le rouge ne fonctionne pas. Quand on essaie de faire macérer du viognier et de le vinifier comme un rouge, il y a une aigreur et une amertume impossibles. »
À suivre : un grand sujet sur l’appellation côte-rôtie dans En Magnum #21 (novembre 2020).
Photo : Mathieu Garçon